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| à g. : le comte de Marcellus à dr. en haut : illustration de E.J. Andrews (1842) en bas : aquarelle de Prisse d’Avennes (1832) |
Secrétaire d'ambassade à Constantinople (1815-1820) où il a accompagné le marquis de Rivière, il mène à bien l’achat de la “Vénus de Milo”, trouvée par un cultivateur de Plaka, pour le roi de France Louis XVIII afin qu’elle soit exposée au musée du Louvre.
Au cours d’un périple dans le Moyen-Orient, il visite l’Égypte, du 20 juillet au 9 août 1820, séjour au cours duquel il rencontre Méhémet Ali et se lie d’amitié avec le colonel Joseph Sève, le futur Soliman Pacha, responsable de la nouvelle armée égyptienne. Il relatera quelques épisodes de ce court séjour dans ses Souvenirs de l’Orient, ouvrage publié en 1839.
Le récit qu’il propose de sa visite au site de Guizeh est plus inspiré par la fibre esthétique (les effets de la lumière sur les pyramides) et émotionnelle (réflexions dans le sépulcre royal) que par des observations techniques. À chacun son registre de compétences ! Mais qui se plaindrait que les pyramides, aujourd’hui comme hier, donnent encore à rêver ?
MC
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“Après quelques chaumières dressées à l'abri des dattiers, j'atteignis la ligne stérile ; et là, de violentes bouffées du khamsin nous enveloppèrent d'un nuage de poussière si épais que, tout près de terre, je ne voyais plus la route frayée : force était, d'ailleurs, de tenir les yeux constamment fermés pour les dérober à cette pluie battante de petits cailloux et de sable ; nos précieuses montures résistaient seules aux assauts du vent, sans ralentir leur marche ; enfin, l'ouragan cessa comme le jour. La lune, faible encore, parut derrière la première pyramide, quand j'y arrivais ; et cette clarté, si chère aux ruines, rendit à la tombe de Chéops toute sa majesté. L'ombre du monument s'étendit au loin sur l'arène, et la nuit renouvela les illusions que le jour m'avait fait perdre. À mon approche, il m'avait semblé que la hauteur des pyramides décroissait insensiblement. Elles m'avaient apparu comme des collines géantes, quand je les contemplais des bords du Delta ; en marchant sur elles, au contraire, elles se rapetissaient, et ne se montraient plus à mes yeux que comme des constructions presque ordinaires.![]() |
| Gravure de Gaetano Zancon (1820) |
Ma tente se dressa sur le sable, et en un instant elle fut assiégée par les Arabes des hameaux voisins, qui venaient en foule nous offrir leurs services, et par quelques Almées dont les danses devaient charmer notre veillée. Je les avais vues sans plaisir au Caire ; ici, je ne voulus occuper mes yeux que des pyramides, et je passai les premières heures de la nuit à errer autour des colosses, remontant les âges depuis Bonaparte jusqu'à ces rois inconnus qui n'ont pu jouir de leur sépulcre. (...) Vers trois heures, les Arabes, guides des pyramides, me réveillèrent pour me conduire au haut du monument de Chéops, où j'avais désiré parvenir avant le lever du soleil. (...)
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| Illustration "Saturday Magazine" (1840) |
Je prolongeais mon extase en même temps que ma station à ce magnifique observatoire où je ne devais plus remonter, quand mes Arabes me firent expliquer (...) que la chaleur toujours croissante rendrait le retour plus pénible. Je leur cédai lentement, après avoir lancé quelques pierres détachées sur les faces latérales de la pyramide où le chemin n'est plus ouvert : ma pierre bondissait de roc en roc, mais je la perdais de vue avant qu'elle eût gagné le sol. Je déchargeai mes pistolets en l'air : la détonation fut sourde, sans écho, et Ali, que j'apercevais comme un point noir au bas de la pyramide, où il m'attendait, ne l'entendit pas ; enfin je jetai un dernier regard sur cet admirable panorama, et remettant le bout de la corde à mes Arabes, je commençai à descendre. (...)
Enfin, exténué, haletant, et les jarrets rompus, je tombai sur le sable, à l'ombre de la pyramide, où je restai complètement immobile pendant dix minutes. J'avais mis une demi-heure à monter, et un quart d'heure à descendre. Quand je repris mes sens, j'étais encore à l'ombre de la pyramide ; car les pyramides ont une ombre, n'en déplaise à quelques historiens de l'antiquité. Il est vrai qu'elles n'ont pas d'ombre vers midi, dans les longs jours de l'année, et qu'alors elles ne cachent plus le soleil. C'est là l'effet que mon compatriote Ausone a voulu peindre dans ce vers : “Ipsa suas consumit pyramis umbras” (“La pyramide absorbe elle-même son ombre”). Mais cette ombre qui ne paraît pas à midi, sur des surfaces inclinées, mérite-t-elle bien le nom de phénomène ?
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| Photo de Bonfils |
Après avoir surmonté ce premier obstacle, je me trouvai dans un long corridor qui conduit en montant, à la chambre sépulcrale. Ce corridor étroit a des espèces de trottoirs à gauche et à droite, de trois pieds d'élévation. Mes Arabes couraient sur les deux trottoirs à la fois, sautant de l'un à l'autre ; puis ils s'arrêtaient, les jambes écartées, secouant leurs torches ; et de loin, presque nus, ils apparaissaient sous ces voûtes lugubres comme des géants, ou plutôt comme ces spectres, fils des illusions de la nuit, qui grossissent et s'allongent dans nos imaginations rêveuses. Au milieu de ces prestiges fantasmagoriques, les cris de mes guides réveillaient les échos des sombres défilés, et mieux encore les chauves-souris, dont les ailes rasaient nos figures.
Je parvins ainsi à la chambre du sarcophage royal, et je m'assis sur les rebords de granit noir, méditant sur tant de merveilles et de mystères accumulés autour d'un tombeau.
À la lueur des torches, je visitai tous les contours du royal sépulcre ; les parois de ces murs monolithes de la base au sommet, leurs signes hiéroglyphiques, les conduits qui partent du centre de l'édifice pour aboutir on ne sait où ; puis je retournai vers l'entrée par le même couloir. Je venais de dessus la pyramide ; j'étais dedans ; on me proposa d'aller dessous, et de me suspendre par une corde dans un puits profond de cent quatre-vingts pieds, dont je voyais à mes pieds l'étroite ouverture. J'étais las de la chaleur et de l'obscurité de ces vastes souterrains : je demandai à revoir le soleil. À peine réjoui de sa lumière, j'allais pénétrer dans la pyramide voisine, nouvellement ouverte par M. Belzoni ; mais on me fit observer qu'elle n'offrait qu'un intérêt secondaire et incomplet jusqu'ici.
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| Le Sphinx, par Taylor (1830) |





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