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| Pierre Jacotin (1765 - 1827), chef des ingénieurs géographes de la campagne d'Egypte |
Les stratèges, aussi éclairés et inspirés soient-ils, ne peuvent guider la progression de leurs troupes s’ils n’ont pas une connaissance extrêmement précise du terrain où doit se dérouler leur plan de bataille.
Telle est la situation du général Bonaparte débarquant à Alexandrie début juillet 1798, à la tête de son armée d’Égypte forte de 54.000 hommes. Il n'existe, à cette époque, aucune carte suffisamment exacte de l'Égypte. Il y a bien celle de Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville (1697-1782) : "mais, quoique ce grand géographe ait placé, de son cabinet, avec une sagacité et une exactitude qui ont lieu d'étonner, les principaux lieux que l'Égypte renferme, ils ne sont pas en assez grand nombre, et cette carte est à une échelle trop petite, pour guider une armée dans sa marche et y marquer ses stations". Dans un premier temps : "des officiers de l'armée y (suppléent), en faisant un itinéraire de cette marche depuis Alexandrie jusqu'au Caire, (...) très utile pour tracer sur la carte la route de l'armée et ses campements".
Outre leur utilité stratégique immédiate, les relevés topographiques qui seront établis tout au long de la Campagne d’Égypte revêtent un intérêt beaucoup plus général, plus “scientifique”. Pierre Jacotin (1765 - 1827), chef des ingénieurs géographes réunis à l'état-major de l'armée d'Orient, le définit en ces termes : "Indépendamment des grands avantages que cette conquête pouvait procurer sous les rapports politiques et commerciaux, il y en avait un bien considérable sous le rapport des sciences et des arts : on sait que l'Égypte a été leur berceau, et qu'il y existe beaucoup de monuments de son ancienne splendeur ; mais ils étaient peu connus, et le sol sur lequel ils reposent ne l'était pas davantage. Les voyageurs curieux qui ont cherché à les connaître ne pouvaient guère s'écarter des rives du fleuve sans courir les plus grands dangers ; quels qu'aient été leur talent et leur courage, les descriptions qu'ils nous ont transmises de ce qu'ils ont pu voir se ressentent des difficultés et des obstacles qu'ils ont rencontrés. Il était réservé à la France de conquérir ces contrées célèbres, de les décrire avec fidélité, et de donner cette impulsion qui depuis a fait faire encore des recherches et des découvertes importantes. Pour atteindre à ce but, des savants illustres dans tous les genres, qui n'avaient rien à ajouter à leur réputation, ne craignirent point de quitter leurs foyers, de partager les périls et les fatigues de l'armée, guidée par des chefs que leurs lumières mettaient à même d'allier l'amour des sciences avec la gloire des armes. Cet exemple fut suivi par des artistes distingués, et par une jeunesse éclairée, pleine d'ardeur pour les découvertes."
Pierre Jacotin a fait ses premières armes de géomètre avec l’établissement du "Plan Terrier" (cadastre) de la Corse, opération à laquelle il collabore activement sous la direction de son oncle Dominique Testevuide. C’est encore dans le sillage de son oncle qu’il rejoint l’équipe de géographes affectés à l'expédition d'Égypte pour établir la carte du pays. Il participera à cette mission, en se voyant confier, après l’assassinat de Dominique Testevuide, la direction du corps des ingénieurs géographes : "avec un talent rare, une ardeur et un dévouement infatigables. Non content de diriger au Caire le corps des ingénieurs, de provoquer et de coordonner leurs travaux, il se (livre) lui-même aux opérations topographiques, et il (parcourt) les provinces." Au cours de la première moitié de l'année 1799, il parcourt même à pied la route entre Le Caire et Saint-Jean d'Acre : "relevant au pas et à la boussole les marches et les camps de l'armée".
Considéré comme le principal auteur de la "Carte topographique de l'Égypte et de plusieurs parties des pays limitrophes", Jacotin est nommé membre de la commission des Sciences et des Arts dès sa création, puis de l'Institut d'Égypte.
La Carte de l'Égypte : "comprend 47 feuilles, numérotées du sud au nord, à l'échelle de 1/100.000e ; lui est jointe une Carte géographique en 3 feuilles au 1:1.000.000, ainsi qu'un Tableau d'assemblage. Pendant les trois années de l'Expédition, 37 ingénieurs civils et militaires, (travaillent) aux relevés : l'astronome Nicolas-Antoine Nouet (détermine) la position de 36 points (longitude et latitude), 41 % des levés sont faits à la planchette et au graphomètre, le reste au pas et à la boussole.”
"Tous ces matériaux, précise un rapport de Jacotin, ont été appuyés sur les observations des astronomes de l'expédition, circonstance importante et qui donne à la carte un grand prix, quelque regret qu'on puisse éprouver d'avoir laissé plusieurs lacunes, soit dans les montagnes et les vallées qui environnent l'Égypte, soit même en quelques points de l'Égypte inférieure. En effet, la série des points astronomiques est tellement serrée qu'il n'y a aucune chance d'erreur un peu notable dans la situation respective des principaux lieux, ni dans celle du cours du Nil, de ses branches et de ses grands canaux. Indépendamment de ce canevas si précieux pour la rédaction de la carte, une quantité très considérable, et qui fait plus des deux tiers du pays, a été levée géométriquement ; savoir, à la planchette et au graphomètre, et au moyen de bases mesurées sur le terrain avec de bonnes chaînes métriques. En outre, plusieurs trigonométries partielles, exécutées avec le plus grand soin, ont servi à assujettir les levés des environs des principales villes, telles que Syène et les cataractes, Esné, Thèbes, le Caire, Alexandrie, Damiette, etc.: une partie a été levée à la boussole avec des bases mesurées au pas."
Pour des raisons à la fois militaires (capitulation du général Jacques-François de Menou face à l’armée britannique) et personnelles (blessure à la suite d'un grave accident, premier germe d’une maladie à laquelle il succombera), Pierre Jacotin retourne en France, en prenant bien soin au préalable de soustraire le résultat des travaux des ingénieurs et des géographes aux Anglais qui souhaitent l’utiliser pour faciliter leur mainmise sur l’Égypte. Deux précautions valant mieux qu’une, la Carte, une fois terminée et gravée (juin 1804), est placée sous scellés, comme secret militaire, et sa publication a été interdite jusqu'à la Restauration. Puis, en 1814, avec l'arrivée de Louis XVIII au pouvoir, la Carte mise sous séquestre est publiée. Achevée en 1818, elle est distribuée à partir de 1823.
Jacotin meurt le 4 avril 1827, à Paris, d'une gangrène de la jambe. Il est enterré le lendemain au cimetière du Père-Lachaise, 39ème division, dans le carré des généraux. Sa tombe est ornée d'un obélisque.
Dans son article "Mémoire sur la construction de la carte de l'Égypte", il a écrit : "Une contrée aussi intéressante que l'Égypte, où la géométrie fut inventée et mise en pratique pour partager les terres après les débordements du Nil, méritait sans doute qu'on employât les procédés savants aujourd'hui en usage, pour établir les fondements de la carte du pays : c'était en quelque sorte un hommage à lui rendre que d’effectuer par ces méthodes l'opération dont nous étions chargés."
On ne saurait trouver plus éloquent résumé d’une vie grandement consacrée à faire de l’Égypte un territoire mieux connu et reconnu : "sous le rapport des sciences et des arts".
Marc Chartier
sources :
http://www.napoleon-empire.net/personnages/jacotin.php
http://napoleon-monuments.eu/ACMN/Jacotin.htm
http://www.bib.ens.fr/La-carte-de-l-Egypte.810.0.html
https://books.google.fr/books?id=bFM-AAAAcAAJ&pg=PA655&lpg=PA655&dq=M%C3%A9moire+sur+la+construction+de+la+carte+de+l%27Egypte&source=bl&ots=y4PE4YAgl7&sig=sXoKVY4EhS7QAsKe42C79L1CHS8&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi8hZSZ_L_LAhVJVhoKHQ-gA4gQ6AEIIzAB#v=onepage&q=M%C3%A9moire%20sur%20la%20construction%20de%20la%20carte%20de%20l'Egypte&f=false




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