Après des mois - voire des années - d'une enquête parsemée de rebondissements aussi incroyables que rocambolesques, Gaston Maspero a enfin découvert la provenance d'artefacts circulant illégalement sur le marché des antiquités.
En ce début d'été 1881, alors qu'il est en vacances en France, il mandate ses proches collaborateurs afin d'identifier précisément la tombe de laquelle ils proviennent.
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| Le 6 juillet 1881, Mohamed Abd el-Rassoul guide Emile Brugsch, Ahmed Effendi Kamal et Thadéos Matafian du Service des Antiquités à la Cachette des Momies Royales (DB 320) |
C'est ainsi que, le 6 juillet 1881, Emile Brugsch, conservateur-adjoint du Musée du Caire à qui il a laissé les "pouvoirs nécessaires pour agir en lieu et place", Ahmed Effendi Kamal ainsi que Thadéos Matafian se retrouvent, sur la rive ouest de Louqsor, au pied du rocher de Chaak al-Tablyah, dans le cirque rocheux de Deir el-Bahari. Celui qui les guide n'est autre que Mohamed Abd el-Rassoul qui, avec ses frères, avait découvert l'hypogée dix années plus tôt, en 1871, puisant depuis, régulièrement, dans son contenu. Sentant que l'étau se resserrait, et suite à une dissension familiale il s'était rendu de lui-même au Moudir de Qena afin d'avouer les faits…
Après avoir enlevé les pierres qui en masquaient l'entrée, c'est au moyen d'une corde qu'ils pénètrent dans la tombe, composée de trois couloirs et de deux chambres.
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| Situation et plan de la Cachette des Momies Royales (DB 320) publiés dans l'étude d'Emile Brugsch "La tente funéraire de la princesse Isimkheb provenant de la trouvaille de Deir el-Bahari" |
Référencée ensuite "DB 320" (DB = Deir el-Bahari), elle est plus généralement dénommée "Cachette de Deir el-Bahari" ou "Cachette des momies royales". En effet, suite aux déprédations commises dans la Vallée des Rois à la fin de l'époque ramesside, le grand prêtre Herihor qui dirigeait la région thébaine aux environs de 1100 av. J.-C., les avaient mises à l'abri dans cette tombe, originellement connue pour avoir été celle de la princesse Inhâpi. "Là, avaient été regroupées, après le pillage des nécropoles royales, 53 momies, dont celles de plusieurs rois et reines de la fin de la Deuxième Période intermédiaire et du Nouvel Empire (Seqenenrê-Taâ II, Ahmès-Nefertari, Amenhotep Ier, Thoutmosis Ier, Thoutmosis II, Thoutmosis III, Ramsès Ier, Séthy Ier, Ramsès II, Ramsès III, Ramsès IX, etc...)" précise Christian Leblanc dans "Le Bel Occident".
Emile Brugsch ("La trouvaille de Deir-el-Bahari") raconte : "Il fallait s'avancer en rampant, sans savoir où l'on mettait les pieds. Les cercueils et les momies entrevus rapidement portaient des noms historiques". Face à une telle profusion, à une telle richesse, il reconnaît bien humblement que : "Le rapport de Mohamed Abd-er-Rassoul, qui paraissait exagéré au début, n'était guère que l'expression atténuée de la vérité : où je m'étais attendu à rencontrer un ou deux roitelets obscurs, les arabes avaient déterré un plein hypogée de pharaons"…
L'étendue de la découverte le sidère, le stupéfie. "A côté des cercueils et jonchant le sol des boîtes à statuettes funéraires, des canopes, des vases à libation en bronze… et, tout au fond, la tente funèbre de la reine Isimkheb, pliée et chiffonnée comme un objet sans valeur qu'un prêtre trop pressé de sortir aurait jeté négligemment dans un coin"…
C'est quelques années plus tard, en 1889 exactement, qu'il se penchera plus précisément sur cet artefact exceptionnel : il lui consacrera une étude affinant alors le récit de sa découverte...
"Un examen plus attentif me fit découvrir une niche, remplie entièrement par une masse difficile à reconnaître au premier abord, et ayant la forme d'un gros paquet de toile de momie enroulée. Après l'avoir soigneusement enlevé et transporté hors du puits à la lumière, je reconnus, en déroulant le paquet, une tente funéraire en cuir multicolore. La tente forme un dais dont le plafond présente un rectangle de 2m80 de longueur sur 2m40 de largeur. Sa hauteur est de 2m16. La matière employée paraît être de la peau de chèvre d'une qualité très molle et flexible, qui a gardé sa souplesse jusqu'à nos jours. La partie supérieure, ainsi que les frises de deux côtés latéraux et du devant, portant des dessins, sont composées de pièces de peau de différentes grandeurs et de différentes formes, tandis que les carrés verts et rouges, assemblés en damier, sont formés de morceaux assez réguliers. Tous les dessins, à l'exception des carrés, ont été découpés dans des bandes de cuir de différentes couleurs et superposés après. Le tout a été cousu assez soigneusement. Quant aux couleurs mêmes, elles ont gardé leur fraîcheur à un haut degré ; seul sur le morceau qui forme le plafond, la teinte bleue des deux bandes extérieures, représentant le ciel, a pris un ton grisâtre, ne laissant que çà et là une petite tache qui a gardé la couleur primitive. Quant aux ornements, quoique exécutés sans aucun soin dans leurs détails, ils ont certainement été composés par la main d'un maître, et ils forment un ensemble fort élégant, dont les lignes sont extrêmement gracieuses".
Dans "Les merveilles du musée égyptien du Caire", Silvia Einaudi nous en offre une description précise et colorée : "La partie centrale de la tente est décorée comme un ciel étoilé dominé par les images de la déesse Nekhbet en forme de vautour aux ailes déployées. Cette partie de la tente est reliée à quatre panneaux constitués de morceaux cousus ensemble qui formatent la couverture latérale du baldaquin. Le sommet de chaque panneau est décoré du motif caractéristique des signes khékhérou. Immédiatement au-dessous se trouve une frise compartimentée dans laquelle sont représentées les figures suivantes : un scarabée ailé tenant un disque solaire entre les pattes antérieures, deux papyrus et une antilope agenouillée sur le signe neb. La partie inférieure de chaque panneau est composée d'un motif à damiers vert et rouge".
La tente était destinée à recouvrir la "cabine" de la barque funèbre où était déposée la momie lors de la traversée du Nil pour rejoindre la rive ouest, la rive des morts, là où se trouvent les demeures d'éternité. On retrouve cette scène sur de nombreuses parois de tombes thébaines.
Malgré la fragilité de la peau qui s'est craquelée, cette tente est, et demeure, une œuvre d'art, un hymne à la couleur, avec des représentations d'une beauté touchante… Chaque décor est un bonheur pour les yeux…
Quant aux inscriptions hiéroglyphiques, certaines sont de belles et émouvantes prières, comme celle-ci : "Repose doucement dans les bras d'Isis cette protectrice des nobles membres …". D'autres donnent des informations sur la famille de la princesse Isimkheb (Isetemkheb, Asetemakhbyt) qui vécut au cours de la XXIe dynastie.
Pour Silvia Einaudi : "Les inscriptions hiéroglyphiques tracées autour des figures rapportent les titres du premier prêtre d'Amon-Rê, Masaharta, le cartouche du père de ce dernier, Pinnedjem Ier, ainsi que le nom et les titres de la propriétaire du catafalque Asetemakhbyt". Pour Mélodie Boussalmi ("L'or des pharaons - 2500 ans d'orfèvrerie dans l'Egypte ancienne") : "Fille du grand prêtre d'Amon Menkhéperrê, et épouse de Pinedjem II, également grand prêtre d'Amon à Thèbes, Isisemkheb appartenait à l'élite sacerdotale thébaine alors en charge de la Haute-Égypte".
Cette tente funéraire a été enregistrée au Journal des Entrées du Musée du Caire sous la référence JE 26276. Elle est depuis quelques années exposée dans une vitrine du NMEC (National Museum of Egyptian Civilization) à Fustat. Légèrement ouverte sur un côté, elle laisse voir un magnifique cercueil momiforme de bois peint. Il ne s'agit cependant pas de celui d'Isimkheb II, mais de celui de sa cousine Isimkheb IV qui fut également trouvé dans la DB 320…
marie grillot
sources :
Gaston Maspero, Emile Brugsch, La trouvaille de Deir-el-Bahari, Imprimerie Française F. Mourès & Cie, Le Caire, 1881
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626666s/f9.image
Emile Brugsch, La tente funéraire de la princesse Isimkheb provenant de la trouvaille de Deir el-Bahari, Le Caire, 1889
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5806025m/f6.item.texteImage
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, 1915
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6572454w/f29.item.r=bracelet.texteImage#
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
Christiane Ziegler, L'or des pharaons - 2500 ans d'orfèvrerie dans l'Egypte ancienne, Catalogue de l'exposition de l'été 2018 au Grimaldi Forum de Monaco
Sergio Donadoni, Zahi Hawass, Glauco Mantegari, Laura Marucchi, Christian Orsenigo, Patrizia Piacentini, Elmar W. Seibel, Egypt and the pharaohs From the Sand to the Library - Pharaonic Egypt in the Archives and Libraries of the Università degli Studi di Milano - Editor Patrizia Piacentini
Christian Leblanc, Angelo Sesana, Le Bel Occident de Thèbes Imentet Neferet, De l'époque pharaonique aux temps modernes, Une histoire révélée par la toponymie, L'Harmattan, 2022




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