samedi 5 mars 2016

Les derniers adieux à Jean-François Champollion

Jean-François Champollion "Le Jeune", déchiffreur des hiéroglyphes, fondateur de l'égyptologie Figeac, 23 décembre 1790 - Paris, 4 mars 1832
Portrait le représentant en habit égyptien, réalisé par Salvatore Cherubini à Medinet Habou, en juillet 1829
(acquis par le Musée Champollion de Vif en juin 2022)

Mi-décembre 1831, dans un état de fatigue extrême, Jean-François Champollion doit se résigner à abandonner ses cours au Collège de France. En janvier, épuisé par des crises de goutte et d'apoplexie, rongé par la phtisie, il veut lutter encore… Touchant sa tête, il implore "Mon Dieu, encore deux ans pourquoi pas. Trop tôt, il y a encore tant de choses là-dedans" … Mais, début février, il s'enfonce dans un délire dont il ne ressortira que brièvement …

Rosine son épouse, sa fille Zoraïde, son cher neveu Ali dont il avait choisi ce prénom "arabe",  Jacques-Joseph, en frère fidèle et dévoué, ne le quittent pas dans sa lente agonie … Lorsqu'il recouvre quelques rares moments de lucidité, Jean-François tente d'exprimer ses dernières volontés … "Je veux être enterré au Père Lachaise, près de Fourier", une ultime reconnaissance à Joseph Fourier, célèbre physicien et mathématicien qui, après la campagne d'Égypte avait été nommé préfet de l'Isère et qui, d'une certaine façon, avait façonné le destin des deux frères … 
Jean-François Champollion "Le Jeune", déchiffreur des hiéroglyphes, fondateur de l'égyptologie
Figeac, 23 décembre 1790 - Paris, 4 mars 1832
Portrait réalisé en 1831 par Léon Cogniet - Musée du Louvre - inv. 3294

Sur une note retrouvée, il a écrit : "Un cercueil en noyer avec des vis"... Il s'inquiètera aussi du transport de l'obélisque. L'obélisque qu'il a choisi lui-même à Louxor, et qui revient sur le "Luxor", navire commandé par l'un de ses très chers amis Verninac de Saint-Maur, "homme de cœur et de grande culture", celui-là même qui commandait "L'Astrolabe" lors de son retour de l'expédition franco-toscane.

Il demandera enfin à revoir sa "tenue d'égyptien", qui lui rappelle certainement les plus beaux jours de son existence :  son tarbouche, son caftan … et ses babouches de Gournah… "Ali lui souleva la tête et posa les mains qui se refroidissaient déjà sur le costume arabe, les sandales, les carnets de notes égyptiens, … Les yeux à demi éteints flamboyèrent d'un ultime éclat tandis qu'il regardait comme fasciné les reliques si chères" (Hermine Hartleben).
L'expédition franco-toscane en Egypte - 1828-1829 dans les ruines de Thèbes
réunie autour de Jean-François Champollion et Ippolito Rosellini
Huile sur toile de Giuseppe Angelelli - Musée égyptien de Florence

Le 3 mars, son état est jugé désespéré et l'extrême onction lui est administrée… Le génial déchiffreur s'éteint le 4 mars, il n'a que 41 ans…

C'est dans la belle église baroque Saint-Roch, située dans le premier arrondissement de Paris, que se dérouleront, à 11 h le 6 mars 1832, Jour de Mardi Gras, ses obsèques. Cette église, Jean-François l'a fréquentée, lorsqu'il venait de s'installer à Paris pour étudier au Collège de France, il avait à peine plus de 17 ans. Il y rencontrait alors le vicaire Cheftitchi, "son meilleur professeur de copte et l'entendait dire la messe dans la langue de 'ses' chers Rhamsès et Thoutmès" …

"Une nombreuse députation de l'lnstitut et du collège de France, les conservateurs du Musée et de la bibliothèque, des députés, des étrangers de distinction étaient venus en foule rendre les derniers honneurs à ce célèbre savant, M. le Comte de Forbin, M. Silvestre de Sacy, M. de Humboldt, M. Arago, se trouvaient aux quatre coins du drap mortuaire et ont accompagné le corps de l'illustre défunt jusqu'au cimetière de l'est (Père Lachaise) où MM. Walckenaër et Letronne de l'Institut ont prononcé des discours funèbres". Comment d'ailleurs ne pas citer cette phrase du merveilleux hommage rendu par M. Walckenaër : "Peu d'hommes sont capables de rendre leur courage et leur dévouement aussi profitables aux sciences que M. Champollion"…
Jean-François Champollion tenant en main le "Tableau des signes phonétiques", emblématique de sa découverte
Tableau de Victorine-Angélique-Amélie de Rumilly - Musée de Vif dans l'Isère

Une oraison funèbre sera prononcée plus tard par Silvestre de Sacy. On peut s'étonner de la raison qui a présidé à ce choix, car il ne lui avait pas toujours apporté son soutien … On se souvient qu'il avait écrit à François-Joseph  à propos de son frère "Je ne pense pas qu’il doive s’attacher au déchiffrement de l’inscription de Rosette. Le succès dans ces sortes de recherches est plutôt l’effet d’une heureuse combinaison de circonstances que celui d’un travail opiniâtre qui met quelque fois dans le cas de prendre des illusions pour des réalités". Un jugement, on ne peut plus hâtif  et erroné, mais … l'heure de la reconnaissance était arrivée : "Il a ressenti sans doute la douceur de ce plaisir pur et inappréciable, qu'inspire la découverte d'une vérité longtemps et péniblement cherchée; mais le ciel n'a pas permis qu'il jouît, pendant de longues années, de la considération, de l'estime, de la gloire auxquelles il avait droit. Cette gloire, Messieurs, cette estime, elle restera attachée à son nom, aussi longtemps que le culte des lettres et des sciences se conservera parmi nous".

Si nombre de personnalités présentes regrettent le savant et bien sûr l'inestimable apport à la connaissance de l'antiquité, nombreux sont là en amis, parce que Jean-François fut "bon, indulgent, serviable, digne en tout de sa haute réputation et du respect qui environna sa vie."

Dans la division 18 du Père Lachaise sa tombe fut recouverte de lauriers et "son cercueil fut déposé, suivant son vœu non loin de Fourier, le mathématicien, le préfet, l'ami, l'initiateur".

Plus tard, Rosine son épouse "fit élever à ses frais le monument simple mais digne que l'on peut voir aujourd'hui encore dans l'allée des Acacias. Une grande dalle de pierre porte l'inscription suivante :
ICI REPOSE JEAN-FRANÇOIS CHAMPOLLION
NE A FIGEAC, DEPT. DU LOT, LE 23 DEC. 1790
DECEDE A PARIS LE  4 MARS 1832
Tombe de Jean-François Champollion dans la division 18 du cimetière du Père-Lachaise à Paris 


Un obélisque de grès y a ensuite été ajouté, avec ses seuls mots gravés …"Champollion le jeune", mais le symbole est là, solaire, lumineux … 

M. de Forbin, directeur des musées royaux s'adressera au roi "pour lui demander de faire exécuter en marbre le buste de M. Champollion jeune pour être placé dans le musée égyptien dont il est le fondateur".
Jean-François Champollion - Figeac - 23 décembre 1790 - Paris, 4 mars
Buste en marbre (1863) du déchiffreur de hiéroglyphes, fondateur de l'égyptologie
Musée du Louvre RF 4637 - photo © 1987 RMN-Grand Palais (musée du Louvre)

Le conseil municipal de la ville de Figeac, réuni le 11 mars 1832, décidera, afin de perpétuer la mémoire de l'illustre enfant du pays, de l'érection d'un monument, Place de la Raison. Un obélisque, en granit du pays, haut de près de 8 m, rappelle celui qui "le premier pénétra dans les mystères de l'écriture et des monuments de l'antique Égypte".
La ville de Figeac, a érigé, Place de la Raison, un obélisque en mémoire à l'enfant du pays, Jean-François Champollion, 
qui "le premier pénétra dans les mystères de l'écriture et des monuments de l'antique Égypte"

Des témoignages et de nombreux hommages afflueront vers Jacques-Joseph, inconsolable … Ippolito Rosellini, "alter ego" toscan du déchiffreur, publiera à Pise, "Un tribut de reconnaissance et d'amour à la mémoire de Jean-François Champollion le Jeune"... Dans une nécrologie publiée dans "Le Temps", Charles Lenormant - qui avait lui aussi fait partie de l'expédition - louera ses grandes qualités : " … une promptitude  qui commande le résultat, cette force d'intuition qui n'appartient qu'au génie, et en même temps cette candeur dans l'investigation de la vérité, cette noble simplicité à avouer l'erreur quand elle est reconnue, cette résignation tranquille à ignorer ce qu'il n'est pas temps de savoir". 

Même John Gardner Wilkinson (qui avait pourtant refusé de le rencontrer alors qu'il séjournait à  Thèbes) enverra, depuis Gournah, des condoléances attristées saluant "l'inestimable talent de ce savant".

Quant au grand François-René de Chateaubriand, il écrira ces mots empreints d'une profonde et élégante vérité : "Les admirables travaux de votre frère, éclairés de vos propres lumières, auront la durée des monuments qu'il vient de nous expliquer".
Les Frères Champollion
à gauche, Jean-François Champollion "Le Jeune" (Figeac, 23 décembre 1790, Paris, 4 mars 1832)
déchiffreur des hiéroglyphes, fondateur de l'égyptologie
à droite, Jacques-Joseph Champollion-Figeac (Figeac, 6 octobre 1778, Fontainebleau, 9 mai 1867)
archéologue, historien

Si l'héritage intellectuel que laissa Jean-François est inestimable, l'inventaire de ses biens matériels se révéla fort pauvre, laissant Rosine et Zoraïde dans une relative précarité… Jacques-Joseph obtiendra "de Louis-Philippe l'assurance que sa belle-sœur et sa nièce feraient l'objet d'une attention particulière de l'Etat". Il veillera à ce que les archives de son frère soient acquises par la Nation. Il se chargera de publier la "Grammaire égyptienne" - somme de recherches dont le découvreur espérait qu'elle serait sa "carte de visite pour la postérité" - ainsi que le "Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique" et les "Monuments de l'Égypte et de la Nubie"… Tout au long de ses trente-cinq années durant lesquelles il lui survivra, il aura à cœur de perpétuer la mémoire de ce frère tant aimé, celui qui "avait été plus que sa propre existence" …

marie grillot

sources :
Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988
Alain Faure, Champollion, le savant déchiffré, Fayard, 2004
Jean-François Champollion, Sa vie et son œuvre, Hermine Hartleben
Correspondances, Figeac et les frères Champollion, Karine Madrigal, Musée Champollion, Figeac 
Karine Madrigal : des archives pour mieux connaître les frères Champollion
https://egyptophile.blogspot.com/2016/01/karine-madrigal-des-archives-pour-mieux.html?q=madrigal
La "Lettre à M. Dacier" : Acte fondateur du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion -  Interview de l'égyptologue Karine Madrigal
https://egyptophile.blogspot.com/2022/08/la-lettre-m-dacier-acte-fondateur-du.html?q=dacier
Observations sur le catalogue des manuscrits coptes du musée Borgia … Jean-François Champollion, Antoine Isaac Silvestre de Sacy
https://books.google.fr/books?id=tAwGAAAAQAAJ&pg=PA47&lpg=PA47&dq=hommage+silvestre+de+sacy+Champollion&source=bl&ots=RusZzWQbHV&sig=ZzDP-OQK2PjhG2m4DjU2NHNmcEo&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiW5__A7qfLAhVJChoKHQa7BokQ6AEISzAJ#v=onepage&q=hommage%20silvestre%20de%20sacy%20Champollion&f=false
Notice publiée dans la revue de la Société de phrénologie de Paris, le 12 novembre 1833, par le Docteur Janin
Champollion un génie perturbateur, Jean Maumy
Champollion, journal d'une vie, Musée Champollion Figeac
Musée Champollion - Aux origines de l'égyptologie - Editions Beaux Arts, 2021





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