"Chef-d'œuvre de l'art" selon Victor Fournel (XIXe s.), "inattendue et cocasse" selon un article de "Jeune Afrique" (1974), "banale" selon Rifa’a al-Tahtâwî, l’horloge monumentale qui surplombe la cour à la fontaine aux ablutions de la mosquée Méhémet Ali, au coeur de la Citadelle du Caire, suscite à la fois des divergences d’appréciation et des questions non encore totalement résolues.
Remontons donc le temps, en compagnie de Robert Solé : "En avril 1846, Ibrahim pacha, le fils de Mohammed Ali, vient se faire soigner en Europe. Il est reçu en grande pompe à Paris, où il peut admirer l’obélisque de Louqsor dans son nouvel environnement [place de la Concorde]. Cinq mois plus tard, la France offre au vice-roi d’Égypte une horloge de style arabe, d’une valeur de 100.000 francs, qui ira garnir la cour centrale de la Citadelle du Caire. Présenté comme un remerciement pour le don de l’obélisque, le cadeau de Louis-Philippe apparaître d’autant plus dérisoire que le mécanisme tombera vite en panne." (Le Grand Voyage de l'Obélisque, Seuil, 2006)
Sans plus attendre, les données complémentaires à notre disposition se présentent dans leur imprécision et leurs variantes. Même la date de livraison de l’horloge ne fait pas l’unanimité, puisque l’année 1845 est également souvent citée.
On lit même dans une recherche mentionnée par le "Guichet du savoir" : "S'agit-il d'ailleurs d'un don de Louis-Philippe ? Ce don a-t-il été consenti contre celui de l'obélisque de Louxor ? Ce dernier a été offert par le vice-roi d’Égypte Mohammed Ali en 1830 à Charles X, alors roi de France, et érigé en 1836 sur la place de la Concorde sous le règne de Louis-Philippe. Dix ans sépareraient donc les deux dons ?"
De surcroît, le cadeau fut-il vraiment livré en état de fonctionnement ? Ou bien, endommagée lors de son transport, l’horloge était-elle d’emblée condamnée à rester figée dans son silence ? Sans informations précises, laissons en place les points d’interrogation. Il apparaît toutefois, d’après certaines publications, que l’horloge à carillon de la Citadelle a été "réparée" courant 2003 (article d’Al-Akhbâr de cette même année), et que : "c’est en 2003, grâce à une coopération avec l’ambassade de France en Égypte, qu’un investisseur privé a permis au mécanisme de se mouvoir à nouveau" (Dominique Auzias, Jean-Paul Labourdette, Égypte 2013-2014, collection Petit Futé).
Nous lisons par ailleurs, dans le "Bulletin d'Information Archéologique" - n°27, 1er semestre 2003 : "Un projet de restauration est en cours de réalisation à la mosquée de Mohamed Ali, construite dans le style impérial turc. Les ouvriers ont monté un échafaudage jusqu’au niveau de l’horloge 'pain d’épice'. (...) C’est la troisième fois que l'horloge est réparée. Mohamed Abdel-Latif, responsable pour les antiquités islamiques, (rappelle) que la première fois fut pendant le règne de roi Fouad, et la deuxième fois pendant le règne de son fils, Farouk. Puis l'horloge s’est arrêtée à nouveau et ne fonctionnait plus jusqu'au début de cette année, lorsque le gouvernement français a offert de la restaurer dans son état d'origine."
Reste enfin "la" question primordiale, celle relative à l’appréciation d’ordre esthétique sur cette "pièce rapportée" dans l’architecture du monument, une : "tourelle carrée noir et or terminée par une espèce de pavillon chinois qui porte une horloge, présent fait à Méhémet-Ali par le roi Louis-Philippe", comme l’écrivait en 1868 l'abbé Laurent de Saint-Aignan dans son ouvrage "La Terre-Sainte. Syrie, Égypte, et Isthme de Suez, description topographique, historique et archéologique".
Charles Lallemand n’y va pas par quatre chemins : "La cour est entourée d'une colonnade en superbe albâtre oriental. La fontaine des ablutions est de mauvais goût et l'on recule épouvanté lorsque les yeux se dirigent vers une horloge, don du roi Louis-Philippe, plaquée dans une espèce de pavillon chinois." ("Le Caire", 1894)
Même son de cloche, si l’on peut dire, dans "Le Magasin pittoresque" en 1840 : "Les critiques européens sont loin d’accorder à la mosquée de Méhémet-Ali tous les mérites qu’on lui attribue au Caire ; les minarets très élevés sont par trop grêles et mal coiffés, la fontaine des ablutions est d’aspect lourd ; la tour carrée, noir et or, avec son espèce de pavillon chinois et son horloge donnée par Louis-Philippe, paraît d’un goût au moins douteux." La conclusion de l’article n’en comporte pas moins des perspectives plus encourageantes, lorsqu’on y lit que la mosquée est : "un édifice digne d’être visité" et que : "l’âge l’embellira, et déjà le lointain lui sied et l’avantage".
![]() |
Photo Memphis Tours |
Concluons avec les propos de Fernand Laudet qui, tout en incitant les touristes à visiter la Citadelle du Caire, ne se prive pas de remarques pour le moins acerbes : "Tous ceux qui ont visité le Caire ont gravi les hauteurs de la Citadelle pour admirer, de l'esplanade de la vieille forteresse arabe, le coup d'oeil incomparable dont on jouit et sur la ville et sur la vallée du Nil. Si, quand on est sur cette esplanade, on se retourne vers la mosquée dite de Mohammed-Ali, on n'est pas peu surpris d'apercevoir, au sommet d'un mur d'aspect rébarbatif, une horloge d'un style déplorable, et dont les aiguilles, immobiles depuis des années, marquent immuablement cinq heures moins dix minutes.
Interrogez l'un des indigènes faisant fonction de ciceroni sur la présence insolite de cette horloge : "Pendule française", vous répondra-t-il aussitôt. Et, en effet, cette horloge est bien française et elle n'est autre que la rançon payée par la France pour obtenir l'un des deux obélisques qui décoraient le temple de Louqsor, obélisque qui, juché sur un piédestal qu'il n'avait certes pas mérité, décore maintenant le centre de la place de la Concorde.
Quand le gouvernement de Louis-Philippe eut décidé d'envoyer en Haute-Égypte une mission sous les ordres de l'amiral de Verninac-Saint-Maur, pour y chercher l'obélisque offert par Mohammed-Ali, il crut bon, en échange du présent du vice-roi, d'offrir quelque objet de prix au potentat égyptien.
Louis-Philippe n'aimait guère délier les cordons de sa bourse, et le gouvernement d'alors ne se livrait pas à des dépenses exagérées. On décida donc, en Conseil des ministres et après une longue délibération, qu'on offrirait à Mohammed-Ali une "belle" horloge. C'est celle-là même qui, placée sur un mur, dans un campanile grotesque, voit aujourd'hui, immobile et muette, les highlanders faire l'exercice sur l'esplanade de la citadelle...
Jadis, Haroun-al-Raschid, calife de Bagdad, envoya une clepsydre à Charlemagne, comme présent de bonne amitié. Plus tard, Louis-Philippe Ier, roi des Français, offre une horloge à Mohammed-Ali, vice-roi d'Égypte. Les rois peuvent changer, mais le protocole est immuable. Au moins, dans le naufrage de tant de choses, les traditions diplomatiques ont su se maintenir. C'est une bien douce consolation !" ("La Revue hebdomadaire : romans, histoire, voyages", Paris, 1902)
Et aujourd’hui, qu’en est-il ? L’horloge s’est-elle enfin décidée à afficher les heures du temps qui passe ? Ou bien est-elle irrémédiablement vexée par le flot des critiques qu’on lui a assénées depuis son arrivée en terre égyptienne ?
Aucun renseignement n’est pour l’instant à notre portée, hormis le fait, selon notre informateur cairote habituel, Albert Arié, qu’elle serait : "en réparation chez l’horloger arménien de Midan Ataba".
D’où notre appel aux lecteurs qui auraient visité récemment les lieux, ou qui habitent à proximité : s’il vous est possible de mettre nos informations à l’heure concernant cette horloge-cadeau aux mécanismes semble-t-il bien capricieux, vos échos seront les bienvenus !
Marc Chartier
sources :
http://www.archipel.uqam.ca/1004/1/D1659.pdf
http://www.janinetissot.fdaf.org/jt_lebas.htm
http://www.guichetdusavoir.org/viewtopic.php?t=18567
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire