mercredi 16 mars 2016

Alain Zivie : de Saqqara à Thèbes, de Maïa à Toutânkhamon, de Thoutmes à Néfertiti...

A. Zivie montrant la palette tenue par Thoutmes dans son autoportrait                    
Copyright Hypogées (MAFB)

Alain Zivie a accepté de poursuivre la présentation du vaste travail qu'il mène, depuis des années à Saqqara (*). Son récit, très documenté et très riche, de la découverte de la tombe de Maïa nous a conduits au cœur de l'histoire. Il nous a donné les clés afin de nous aider à mieux cerner l'identité de celle qui est souvent trop laconiquement présentée comme : "la nourrice de Toutânkhamon" mais qui se révèle, en fait, avoir été un lien : "un chaînon essentiel et non pas secondaire" entre "le règne d’Akhénaton et le règne de Toutânkhamon"… Membre de la famille royale, Maïa, que les "Lettres d’Amarna" nomment Mayati, ne serait donc autre que "Méritaton, la fille aînée d’Akhénaton et Néfertiti, la sœur ou demi-sœur de Toutânkhamon, et la sœur de la femme de celui-ci… Et comme dans cette tombe, aucune trace de son inhumation n'a été trouvée, où se trouve alors son contenu, à supposer qu’il ait existé et qu’il n’ait pas été dispersé ou détruit, sa demeure d'éternité ? Comment ne pas lier cette interrogation aux questions qui se posent actuellement sur la KV 62 ? Et comment ne pas, également, lier son histoire à l'autre découverte, faite ce même jour de 1996 : celle d'un : "petit hypogée mitoyen : la tombe Bubasteion I.19 de Thoutmes" ? Thoutmes, cet immense artiste… dont le chef-d’œuvre est mondialement connu !

Égypte actualités : Toutânkhamon est depuis près de 100 ans au cœur de l'égyptologie, mais, l'année dernière, la théorie de l'égyptologue anglais Nicholas Reeves induit que la tombe de Néfertiti resterait à découvrir au sein de la KV 62. Et il se trouve que d'autres égyptologues avancent, pour cette sépulture "à découvrir", d'autres noms, dont celui de Méritaton. Qu'en pensez-vous ?

Alain Zivie : Pour commencer et avant de répondre à cette première question, je voudrais revenir sur un point qui me tient particulièrement à cœur, comme je l’ai déjà montré précédemment : la nécessité d’employer des termes adéquats pour définir les démarches intellectuelles qui correspondent au type de recherches dont nous parlons. Cela est très important, car il s’agit de bien comprendre ce qu’est la stricte démarche scientifique. Or, pour cela, il faut bien distinguer les termes employés. Car les termes ne sont pas interchangeables et les démarches qu’ils désignent ne sont pas non plus interchangeables et n’ont pas la même légitimité du point de vue scientifique.

Ainsi, le terme équivoque de “théorie” est-il très couramment employé dans nos domaines, en particulier pour tout ce qui touche à la Période amarnienne. Or, cette spécialité à l’intérieur de l’égyptologie qu’est l’amarnologie (ainsi que je l’avais appelée précédemment, avec peut-être une très légère pointe d’ironie) doit, comme c’est aussi le cas pour les autres spécialités ou champs d’étude de l’égyptologie, se conformer à une démarche claire et rigoureuse si elle ne veut pas être simplement spéculative, ni se couper du réel pour s’ébattre avec délice dans le virtuel tellement moins problématique : un tropisme qui est d’ailleurs naturellement favorisé de nos jours par le développement exponentiel de la virtualité numérique. L’étude de la Période amarnienne ne doit donc pas se laisser déborder et absorber par des “théories” qui ne cessent de fleurir. Certes, nous pouvons toujours proposer des “théories”, mais nous devons avoir conscience que celles-ci s’avéreront être au pire gratuites ou au mieux de simples hypothèses.

Ces précautions méthodologiques ne sont pas vraiment un luxe lorsque l’on considère la nouvelle passion mondiale suscitée par la tombe thébaine KV (Kings Valley) 62 ou, pour le dire en français, VR ou VdR (Vallée des Rois) 62, c’est-à-dire la tombe de Toutânkhamon. Un brillant égyptologue britannique, Nicholas Reeves, a en effet publié “en ligne”, il y a quelques mois, un article de grand intérêt décrivant une suite d’observations minutieuses, réalisées par lui sur des relevés récents des parois en très haute définition. Celles-ci l’ont amené, en s’appuyant sur son expérience et ses connaissances, à formuler d’abord non pas une théorie, mais bien une hypothèse, raisonnable, fondée et pas seulement séduisante comme trop souvent : la tombe 62 serait plus vaste qu’on ne l’a cru et des parties (des chambres ?) murées encore inconnues resteraient à découvrir. 

Observations, réflexions, analyse ont donc d’abord abouti à une conclusion qui prend la forme d’une hypothèse. Mais selon la bonne vieille méthode expérimentale de la recherche scientifique, dans la phase suivante cette hypothèse doit être confirmée ou infirmée dans les faits, sur le terrain. Dans le cas que nous évoquons, rien de plus simple en apparence : il suffit, pour vérifier la validité de l’hypothèse, d’aller jeter un coup d’œil derrière les parois où des passages auraient été murés et masqués. Mais voilà, la tombe VR/KV 62 est le “monument” le plus célèbre d’Égypte (avec la pyramide de Chéops) et même l’un des plus célèbres du monde du fait de la découverte qui s’y est déroulée en 1922. C’est aussi un monument fragile. De plus, les murs qui masqueraient des parties encore inconnues ont été décorés de scènes peintes bien connues. Il n’est évidemment pas question de les endommager, même de manière infime.

La situation est délicate, inédite même. Les observations et l’hypothèse de Reeves sont naturellement prises au sérieux par les autorités égyptiennes. Il faut confirmer ou infirmer. Le Ministère d’État des Antiquités est sensible à l’intérêt scientifique et plus global de l’hypothèse raisonnable de Reeves, mais il se montre évidemment très prudent. Le monde attend, les yeux braqués sur la Vallée des Rois. La découverte virtuelle est devenue presque réelle, comme si la confirmation expérimentale n’était plus qu’une formalité. Il reste qu’il va être très difficile d’aller opérer cette vérification, pourtant fort simple en apparence, même en pratiquant de modestes observations endoscopiques. Des reconnaissances préalables par radar (télédétection) ont commencé. Mais le problème se complique parce que l’hypothèse à confirmer de visu de l’existence d’espaces murés est associée par Reeves à une seconde démarche intellectuelle présentée, quant à elle, comme une conclusion presque évidente découlant de la première hypothèse : ces espaces murés correspondent à la sépulture de Néfertiti et contiennent encore tout ou partie de son trésor funéraire, les peintures initiales de VR 62 montrant Toutânkhamon face à Néfertiti, et non pas Aï face à Toutânkhamon. Or, ce second pan de l’article, ce coup de théâtre encore virtuel n’est plus une hypothèse s’appuyant, comme la première, sur des observations précises de la tombe 62, mais plutôt une apparente démonstration fondée seulement sur la conviction de l’auteur et tout un échafaudage intellectuel. En un mot, sur une théorie. Mais après tout, celle-ci pourrait correspondre à la réalité, si l’on accepte la reconstruction historico-théologique de l’auteur, malgré en particulier l’importance excessive accordée à la valse des cartouches après Akhénaton. Il s’agit donc à ce stade d’une spéculation ou éventuellement d’une intuition, laquelle a aussi son rôle dans la recherche scientifique. En tout cas, cette théorie a déjà suscité des torrents de discussions, de questions, de doutes et de contre-théories de la part des autorités, des spécialistes et des amateurs, éclairés ou non.

Il faudra donc voir, d’une manière ou d’une autre, de quoi il retourne. Pour ma part, je suis naturellement tout cela avec intérêt, comme tous mes collègues, particulièrement ceux qui travaillent sur cette période. Mais je note que l’hypothèse, la théorie Néfertiti est récusée par certains, qui préfèrent opter pour Kiya, l’inconnue fantasmée, ou pour Méritaton. Après tout, il est vrai que Maïa, alias Méritaton/Mayati, ne semble pas avoir été finalement inhumée dans la tombe Bubasteion I.20 à Saqqara. Et l’on sait que Méritaton était déjà bien présente dans la tombe VR/KV 62 à travers certains objets, en particulier cette palette de scribe ou plutôt d’artiste à son nom dressée contre le poitrail de l’Anubis qui veillait, depuis le “trésor”, sur la chambre funéraire, juste dans l’axe. Cette palette de Méritaton avec ses couleurs, déjà remarquable en elle-même, l’est aussi par son emplacement et sa position. Indirectement, elle n’est pas sans en évoquer une autre, tout aussi importante dans un autre genre : celle de l’artiste Thoutmes, dépeinte dans sa tombe Bubasteion I.19.

ÉA : Curieusement la découverte de la tombe de Thoutmes est restée plus "confidentielle" : comment l'expliquez vous? Et que vous a-t-elle révélé sur cet artiste dont l’œuvre est universellement connue ?

AZ : Ce n’est pas tant son œuvre qui est universellement connue (du reste, encore faudrait-il pour ce faire qu’on arrive à l’identifier précisément et complètement), c’est une œuvre en particulier, une sorte de chef-d’œuvre absolu au statut “iconique” universel, comme l’est Mona Lisa. C’est le buste polychrome d’une reine, très vraisemblablement Néfertiti, découvert en 1912 à Akhetaton lors des fouilles de la Société Orientale Allemande et qui a rejoint Berlin où il est désormais exposé en gloire dans sa rotonde. Ce buste est l’image par excellence de l’Égypte, de l’Égyptienne et même, a-t-on pu dire, de la féminité en général. Son pendant, c’est le masque d’or de Toutânkhamon. Et s’il fallait compléter la trilogie, on pourrait ajouter l’une des têtes de pierre à l’effigie d’Akhénaton, provenant de Karnak-Est. Comme vous le voyez, on reste dans la famille.

La découverte de cette tombe est restée plus "confidentielle" que celle de Maïa, dites-vous dans votre question. C’est votre impression et elle a certainement sa justification. Pour moi, je ne sais pas, je ne suis pas nécessairement le mieux placé pour en juger. En tout cas, si confidentialité il y a, elle n’est pas de mon fait. J’ai fait ce qu’il fallait pour qu’elle ne le fût pas et que le monde savant, comme on dit, en fût averti. Ou alors cette confidentialité serait-elle due au fait que cette découverte prend du temps à être prise en compte ? C’est possible et sans doute normal, compte tenu de plusieurs facteurs, comme cela est aussi le cas pour Maïa du reste.

J’insiste : la découverte n’est pas le fait d’entrer dans une tombe, ce n’en est que la phase initiale. Après, il y a la fouille, l’étude, l’interprétation et, phase essentielle, l’identification. Pour Thoutmes, cela a pris à peu près autant de temps que pour Maïa. La tombe Bubasteion I.19 de Thoutmes a du reste été découverte le même jour de novembre 1996 que la tombe Bubasteion I.20. La fouille et l’étude de cette dernière ont demandé des années (saisons de fouilles) avant d’aboutir à sa compréhension et sa publication complète en 2009. La publication de Thoutmes a demandé encore un peu plus de temps et date de 2013. Une communication très détaillée avait déjà été présentée en 2007 devant l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, à l’invitation de son regretté Secrétaire Perpétuel, Jean Leclant. Mais si cette communication était centrée sur l’artiste exceptionnel qu’était Thoutmes, l’identification définitive de celui-ci avec le Thoutmes d’Akhetaton exigerait encore quelque temps.

Les deux tombes, aussi différentes que soient leurs tailles, sont visiblement liées. Celle de Maïa a été aménagée tout contre celle de Thoutmes, alors qu’elle aurait pu l’absorber en quelque sorte. C’est que Thoutmes était un homme respecté. Pour comprendre le lien qui existe entre ces hypogées (et avec d’autres, aménagés sur le même site), il est essentiel de découvrir qui étaient leurs propriétaires, en particulier s’il s’agit de personnages importants déjà connus, et si des liens les réunissaient de leur vivant. Or, c’était le cas pour Maïa et pour Thoutmes. Cela a pris beaucoup de temps pour parvenir à ces identifications, tant elles étaient lourdes de conséquences. Mais ce fut ainsi : si Maïa s’avérait être Méritaton, Thoutmes était quant à lui le Thoutmes (ou Thoutmosis, ou Djéhoutymes) considéré, depuis les fouilles allemandes d’avant la Première Guerre mondiale, comme le maître de l’atelier d’Akhetaton, où fut découvert le buste de Néfertiti, son chef-d’œuvre.

L’identification du directeur de l’atelier et l’attribution du buste étaient en fait une reconstruction fragile assez caractéristique de l’amarnologie. Un coup de maître dans son genre tant étaient fragiles et hypothétiques les indices et la reconstruction des faits. L’hypothèse, presque une théorie, fut admise comme une vérité et Thoutmes était désormais entré dans le Who’s Who de l’histoire de l’art. Mais par la grande porte ou par effraction (bien malgré lui) ? On avait oublié que tout cela était loin d’être prouvé et pouvait même être remis en question. La question était du reste posée dans le riche catalogue de l’exposition berlinoise de 2012, consacrée au centenaire de la découverte du buste. Le doute était légitime, compte tenu de ce qu’aucun fait nouveau n’avait été apporté à la discussion depuis un siècle. Mais justement, il y avait maintenant un fait nouveau qui venait confirmer la fragile hypothèse : la tombe memphite de Thoutmes (Bubasteion I.19). Mais la publication de la tombe avait paru un peu après le catalogue de l’exposition. Tous les arguments en faveur de l’identification y étaient développés. Il y était également rappelé que le buste de Néfertiti était d’abord l’œuvre d’un artiste complet et exceptionnel, modeleur, graveur et peintre.

Tout cela se révélait fascinant. Bien loin d’être une reconstruction fragile, on avait là au contraire la confirmation de l’hypothèse, de la "théorie" plutôt, née lors des fouilles de l’atelier d’artiste d’Akhetaton. Thoutmes devait bien être l’auteur du buste et probablement le responsable de l’atelier. Sa tombe memphite, élaborée à la fin du règne d’Amenhotep III et au tout début de celui de son fils comme le montraient certaines modifications dans les inscriptions, avait été aménagée et décorée largement par lui-même. Il y révélait sa personnalité artistique exceptionnelle et la haute idée qu’il s’en faisait. Une “théorie” vieille d’un siècle se trouvait ainsi confirmée. Pour bien le souligner du reste, j’ai eu le privilège d’être invité à présenter Thoutmes dans un article publié en français et en anglais, en 2014, dans les deux versions de la revue annuelle "Arts & Civilisations" du Musée et Fondation Barbier-Müller à Genève. J’y reprenais toute la démonstration en partant non plus de la tombe, mais de la fragile théorie initiale sur le directeur de l’atelier akhetatonien et auteur du buste. Il me semble donc que l’on ne peut pas trop parler de confidentialité. Mais c’est vrai, tout cela prend du temps et demande de lire attentivement les publications, la principale étant en français. Cela demande aussi d’accepter le fait que cette tombe est à Saqqara, loin de Thèbes et d’Akhetaton, et que l’ "art nouveau" si éclatant de l’Époque amarnienne fut une aventure qui se joua à Memphis autant qu’à Thèbes et à Akhetaton. Une personnalité comme celle de Thoutmes joua visiblement un rôle prépondérant dans cette aventure artistique autant que religieuse.

ÉA : Thoutmes, artiste "phare" de l'époque amarnienne, un immense talent : son hypogée est-il à la hauteur de l'art qu'il a lui-même exercé ? Peut-on penser qu'il a lui-même travaillé à sa tombe ?
L'épouse de Thoutmes, nommée Iniy, peinte par Thoutmes
Copyright Hypogées (P. Chapuis/MAFB)

AZ : La seconde partie de la question appelle un réponse simple : "oui" ou "non". En l’espèce, ce sera "oui". Non seulement on peut le penser, mais on doit le penser. Dans le labyrinthe de “théories”, d’hypothèses, de faux-semblants et d’impasses auxquels on se heurte trop souvent sur ce genre de questions (identifier un artiste, ce qui va bien au-delà d’identifier la main d’un artiste), il peut arriver que les choses soient claires et nettes. C’est le cas avec la tombe de Thoutmes. Il y est bien indiqué, en plus de tous les indices qui le confirment, qu’il est lui-même l’auteur d’au moins trois parois peintes. Une inscription de la tombe (paroi D, dernière colonne à droite), écrite de sa main, comme toutes les autres, le dit : “il a fait”, le “il” se référant à lui-même, Thoutmes, représenté et mentionné juste avant. Son épouse est associée à ce texte, puisque celui-ci évoque le fameux double cercueil, ou cercueil à deux têtes, masculine et féminine, représenté sur la paroi suivante dans le contexte des rites précédant la descente au tombeau. Il s’agit là d’une scène unique avec ce cercueil aux deux visages représentés de face. Le texte pourrait même laisser croire que Thoutmes a aussi élaboré lui-même un cercueil aussi incroyable et qu’il l’a dépeint sur la paroi. Mais là, il s’agirait d’une hypothèse. On se contentera donc de la représentation en quelque sorte signée.

Ces scènes peintes sur trois parois successives forment, une fois "dépliées", un véritable triptyque qui montre le passage des générations. L’inspiration comme la réalisation en sont uniques. En plus, Thoutmes place son métier et son art en position centrale. Dans un autoportrait, certainement l’un des plus anciens de l’histoire de la peinture, un autoportrait en famille en plus, Thoutmes se dépeint tenant une palette qui comporte un grand nombre de pigments, semble surdimensionnée et porte le cartouche d’Amenhotep III. Cette palette est exactement au centre du triptyque et nous dit qu’aux yeux du maître, elle est le fait majeur qui explique le talent, le succès et la réussite, à la cour comme en famille, de son détenteur. Certes, l’artiste s’y montre selon le canon de son époque, dans l’attitude des grands personnages qu’il a dû représenter plus d’une fois dans leurs tombes, mais cela n’empêche pas que cet autoportrait à la palette préfigure ceux de plusieurs autres de ses illustres collègues à venir, dont le plus célèbre est peut-être celui de Velasquez.

Alors, pour répondre à la première question, oui, l’hypogée Bubasteion I.19 de Thoutmes est à la hauteur du grand talent de cet artiste. Mais il reste modeste en dimensions et il ne faut pas oublier qu’il a été réalisé pour l’essentiel encore sous le règne d’Amenhotep III, avant que le maître ne donne toute la mesure de son art et de sa liberté de création, dans le cadre imposé ou souhaité par le nouveau souverain. Et puis, n’oublions pas qu’un artiste en Égypte n’est qu’un artiste, si j’ose dire, pas un haut dignitaire. Il est déjà exceptionnel qu’un artiste se soit ainsi exprimé dans sa propre tombe. En plus, on y découvre l’ampleur de son talent puisqu’il manie aussi le ciseau et qu’il a gravé la principale paroi (restée inachevée), celle qui fait face à l’entrée de la tombe et où il s’est représenté avec son père (lui-même déjà directeur des peintres dans la Place de Maât). Avec son père, puis éventuellement seul, Thoutmes a dû oeuvrer parallèlement à la tombe d’Amenhotep III dans la Vallée des Rois et à certaines des plus belles tombes de nobles de la nécropole thébaine. Mais il a aussi été appelé à Memphis où les changements devaient se faire sentir autant qu’à Thèbes, sinon plus. Sa personnalité s’y est exprimée, ainsi que sa recherche pour modifier les canons rigides et son travail sur le rendu des couleurs. Tout le prédisposait ainsi à se lancer dans l’aventure de la représentation en ronde-bosse des nouvelles figurations pariétales à l’honneur dans l’art nouveau, avec leurs “déformations” ou leurs “exagérations”.
Buste de Néfertiti

En pleine possession de ses moyens artistiques, Thoutmes a voulu créer une œuvre en quelque sorte expérimentale, classique et altière vue de face, et "impossible" et sereine vue de profil. Son désir de rendre en trois dimensions les nouveaux modes de représentation en deux dimensions de son époque, s’est ainsi concrétisé avec le buste de Néfertiti, une œuvre sculptée ou plutôt modelée ; mais une œuvre qui est tout autant une œuvre peinte où le maître va parvenir à rendre, avec quel génie, la complexité et l’éclat de la carnation féminine, comme il l’avait déjà fait avec la représentation de sa propre épouse, dans sa tombe memphite. C’est sans doute pourquoi Thoutmes devait particulièrement tenir à cette œuvre hors normes et l’avait conservée par devers lui, dans son atelier.

Propos recueillis par Marie Grillot


Copyright Alain Zivie

Pour plus d’informations et de détails, voir les publications des tombes :



A. Zivie, La tombe de Maïa, mère nourricière du roi Toutânkhamon et grande du harem. Plans de P. Deleuze, dessins de W. Schenck, photographies de P. Chapuis, C. Fritz et G. Tosello. Les tombes du Bubasteion à Saqqara I, Toulouse, 2009.
http://livres-revues.com/detail.php?ref=49999&rand=32923

A. Zivie, La tombe de Thoutmes, directeur des peintres dans la Place de Maât. Plans de P. Deleuze, dessins de W. Schenck, photographies de P. Chapuis, F. Finotelli, C. Fritz et G. Tosello. Les tombes du Bubasteion à Saqqara II, Toulouse, 2013.
http://www.livres-revues.com/detail.php?ref=499991&rand=26709#


Pour mieux connaître et aider les actions d'Alain Zivie et de sa mission, consultez le site :
http://www.hypogees.org

Première partie de cette interview : ICI

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