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| Le pont de Qasr el-Nil - Photo : Zankaki |
Ils en auraient des histoires à nous raconter les quatre "Lions", sculptés par le Français Jacquemart, qui trônent majestueusement, deux par deux, aux extrémités du pont Qasr al-Nil ! À commencer par le moment de leur découverte du Caire, bien sûr, lorsque, destinés initialement à monter la garde devant le monument de Mohammed Ali à Alexandrie, ils furent "délocalisés", affectés à une autre mission : surveiller les allées et venues sur le pont qui les a adoptés.
Ils ont été témoins, à leur manière, des changements subis par l’endroit où ils se trouvent encore aujourd’hui, même si on les a contraints à prendre quelque temps des vacances forcées... au Zoo du Caire ! Ils ont assisté aux funérailles des figures égyptiennes emblématiques que furent l'ancien président Gamal Abd el-Nasser et les stars de la chanson Oum Kalthoum et Abdel Halim Hafez. Ils ont également vu - au point, au moins pour l’un d’entre eux, d’en perdre symboliquement un oeil - passer les innombrables manifestants de la révolution de janvier 2011 (près de 20.000 personnes le 28 janvier)
Voici donc, en partie à la lumière de leurs souvenirs, une description des lieux.
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| Le pont de Qasr el-Nil |
L’ancêtre du pont Qasr al-Nil (entre l'île de Gezira, sur la rive gauche du Nil, et la place Tahrir et l'immeuble Mogamma, sur la rive droite) est le "Koubri al-Gezira" construit "en poutre en treillis", entre 1869 et 1871, par l’ingénieur Pierre-Félix Moreaux (Cie Fives-Lille) sur des plans de Linant de Bellefonds, alors ministre des Travaux publics de l’État égyptien, et ouvert à la circulation en février 1872.
Avant sa construction, rappelle l’ingénieur français : "les communications entre les deux rives du Nil [étaient] entravées, et depuis bien longtemps on a reconnu leur insuffisance qui porte un grand préjudice aux intérêts des cultivateurs venant de la rive gauche pour alimenter de leurs denrées la consommation de la capitale. En effet, ils les transportent seulement à l'aide de barques de passage, sur lesquelles ils entassent encore des chameaux, plus ou moins dociles, des hommes, des femmes, des enfants, des baudets, et des quantités de 'bersime', ou fourrage. Souvent il arrive des accidents dans lesquels périssent des individus."
Au cours de sa présence en terre d’Égypte, l’armée française établit un pont flottant qui, faute d’entretien, deviendra vite inutilisable. D’où l’utilité du “magnifique pont métallique”, comportant un tablier de 398 m de longueur, composé de deux travées de 32 m, deux travées de 42, 81 et cinq intermédiaires de 50 m chacune.
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| Photo extraite du site Tulipe Noire |
Subtilité de la technique : une section du pont est mobile et peut être ouverte électriquement à certains moments de la journée pour permettre aux bateaux de poursuivre leur navigation sur le Nil. Sinon, place à tout ce qui marche ou roule… moyennant toutefois une taxe pour les agriculteurs et commerçants, dont le montant est variable selon le mode de transport : deux piastres pour un vieux chameau, 30 barra (environ ¾ d'une piastre) pour un jeune chameau, une piastre et 15 barra pour un âne…
La civilisation et les moyens de transports évoluant inexorablement, le "Koubri al-Gezira" devient saturé, aux limites de l’asphyxie (31.000 voitures circulant quotidiennement), au bout d’une quarantaine d’années de bons et loyaux services. Les autorités décident donc de remplacer l'ancien pont par une construction plus moderne, en acier, tout en donnant congé momentanément à nos braves “Lions”, direction le zoo, afin de laisser libre champ à la technique et lui permettre de faire son oeuvre.
C’est le cabinet d'architectes britannique Dorman, Long & Co. Limited qui remporte l’appel d’offres. La première pierre du nouveau pont est posée le 4 février 1931 par le roi Fouad Ier.
L’ouvrage sera inauguré en grande pompe le 6 juin 1933, en présence de ministres, de nombreux notables égyptiens et étrangers ainsi que de membres de la colonie britannique résidant dans les banlieues à la mode de Zamalek et Garden City. Il est baptisé "Pont Khédive Ismaïl", du nom du père du roi Fouad, Ismaïl Pacha. Il sera débaptisé lors de la révolution égyptienne de 1952, pour prendre le nom de "Qasr al-Nil". Quant aux quatre "Lions", les voici de retour, mais après avoir été rehaussés de deux mètres pour s’adapter à leur nouvelle structure d’accueil.
Long de 1932 mètres, le Qasr al-Nil appartient à la catégorie des ponts en arc. Il comporte sept piles en maçonnerie (six travées) et un tablier métallique (3.701 tonnes d’acier fabriqué dans Middlesbrough Steel Works dans le Yorkshire).
Plus question évidemment d’ouverture, même momentanée, d’une portion du pont pour laisser passer les bateaux. Les temps ont changé. "On n'ouvre plus les ponts du Caire, nous précise Albert Arié. Celui de Qasr el Nil ne laisse plus plus passer que les bateaux restaurants, les bateaux de promenade, les autobus fluviaux et les vedettes. Avec la circulation routière que connaît Le Caire, il est totalement exclu d'ouvrir n'importe quel pont."
Tout récemment, dans le cadre d’une campagne de promotion touristique, le gouverneur du Caire, Galal Saeed, et le ministre du Tourisme, Hisham Zaazou, ont décidé d’oeuvrer à la valorisation du patrimoine architectural cairote de l’époque khédiviale. Le pont Qasr al-Nil en fait partie, même s’il doit cet honneur à son prédécesseur, le "Koubri al-Gezira". On peut souhaiter que nos témoins privilégiés, les quatre "Lions" de Jacquemart, figurent en bonne place dans les documents promotionnels qui seront sans doute édités pour la circonstance, tant ils sont liés aux différentes péripéties de l’histoire de ce pont. "L'histoire de l'Égypte a été réécrite plusieurs fois, mais la nation a ses gardes préférés pour rappeler l'histoire du Caire aux générations à venir. Bien qu'ils se tiennent en silence, leur rugissement devient de plus fort chaque jour, donnant de la force et du courage au peuple égyptien alors qu'il tend vers la démocratie, la liberté et le renouveau." (Farah Montasser, "al-Ahram", 13 mars 2011)
Marc Chartier
sources :
Mémoires sur les principaux travaux d'utilité publique exécutés en Égypte depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours, par Louis Maurice Adolphe Linant de Bellefonds, 1872
http://english.ahram.org.eg/NewsContent/32/97/7144/Folk/Street-Smart/Street-Smart-If-lions-could-speak.aspx
https://ema.revues.org/274
http://www.touregypt.net/featurestories/qasrbridge.htm
http://www.egy.com/zamalek/00-11-01.php
http://www.egyptindependent.com//news/cairo-governor-tourism-minister-plan-develop-downtown-cairo
http://thecairopost.youm7.com/news/186536/news/cairos-oldest-bridge-of-qasr-al-nil-to-be-renovated-at-4m-egp





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