Ce bijou magnifique provient du trésor de la reine Ahhotep I. Lors de sa découverte il a été décrit comme : "un ornement de coiffure, signalé comme tel par Mariette, qui ne dissimule pas son étonnement, car cet objet ressemble plutôt à un bracelet; mais il a été trouvé encore engagé dans la chevelure".
Son diamètre de 11 cm, peut cependant laisser à penser qu'il s'agissait peut-être d'un bracelet d'humérus, dénommé aussi parfois "brassard".
Il a été très précisément étudié par Emile Vernier, sous la référence CG 52642 dans son catalogue consacré aux "Bijoux et orfèvreries". Afin d'en faire la meilleure approche, nous nous appuyons sur sa description pour le présenter.
L'anneau d'or est travaillé en deux parties. L'une, qui se place à l'arrière, est plate et formée : "de hiéroglyphes djed et tit (emblèmes associés à Osiris et Isis) alternés, incrustés de lapis-lazuli, cornaline et feldspath". En son milieu se trouve une tige qui permettait très certainement de le maintenir en place. Quant à l'autre demi-cercle, il est joliment torsadé.
Le centre du bracelet est orné : "d'une capse en or dont la partie supérieure à la forme d'un cartouche". Sur l'aplat de ce cartouche, se déclinent, en hiéroglyphes d'or réhaussés de lapis-lazuli et de cornaline, le nom du pharaon Ahmosis, avec la formule rituelle "fils de Ré qui vit éternellement et pour toujours". Sur son épaisseur, ce cartouche est finement et régulièrement martelé sur quatre rangées incrustées d'éclat de pierres de couleurs et le chaton de sa base, d'un élégant ovale, est lui joliment incrusté de lapis-lazuli.
De chaque côté, deux sphinx couchés veillent et protègent, symboliquement, le nom de pharaon tout en le représentant. Ils portent le némès, cloisonné de cornaline, de lapis, de feldpath vert, surmonté de l'uraeus.
Les "ornements" du bracelet ne sont pas sans rappeler trois pièces acquises par le Louvre le 2 mars 1881 auprès de MM. Rollin & Feuardent, antiquaires à Paris. Il s'agit, selon la description rédigée alors d'un 'cartouche du roi Ahmosis accompagné de deux lions" qui, sous la référence E7168, sont présentés comme "Fragments d'un brassard du roi Ahmosis". Ils proviennent de la tombe de Kamosis découverte à Dra Abou el Naggah en 1857, donc avant celle d'Ahhotep I.
Il est intéressant de revenir sur l'histoire de cette souveraine. Pour Christian Leblanc, dans les "Reines du Nil" : "Les origines d'Ahhotep I restent encore obscures, mais il n'est pas impossible que Sobekemsaf II et Nebkhas aient été ses parents. En épousant Sekhemrê Oupmaât Antef VI, c'est peut-être avec son propre frère qu'elle s'unissait". Ce dernier, ainsi que le rappelle le pyramidion de son monument funéraire, était issu d'une grande épouse royale. Par son mariage, quoi qu'il en soit, Ahhotep I prenait elle même cette qualité que lui reconnaît la documentation". Il précise en outre que "Les funérailles de la reine Ahhotep I se déroulèrent à Thèbes mais que : "l'emplacement de sa sépulture n'as pas été jusqu'à présent localisé".
Photo de Théodule Devéria |
Et effectivement, ce 5 février 1859, sur la rive ouest de Louqsor, seul son imposant cercueil momiforme, en bois doré, a été trouvé. Il était, curieusement "couché à même dans le sable à Drah abou'l Neggah". Voici l'interprétation que fait Gaston Maspero de cette "situation" peu "protocolaire" : "Il avait dû être retiré de son tombeau dès l'antiquité, probablement au temps des derniers Ramessides, et caché là en attendant qu'une occasion favorable s'offrit de le reprendre, et de le dépouiller en sûreté : les voleurs furent sans doute arrêtés et mis à mort, avant d'avoir eu le temps d'exécuter leur dessein, et sans avoir révélé l'emplacement de leur cachette".
Auguste Mariette, égyptologue
(12 février 1821, Boulogne-sur-Mer - 18 janvier 1881, Le Caire)
|
Victor Gustave Maunier, agent consulaire de France, qui selon certaines sources : "dirigeait les fouilles d’Auguste Mariette pendant son absence", en informa ainsi le directeur des travaux d'antiquités d'Egypte : "Mon cher Monsieur Mariette, j'ai le plaisir de vous donner avis que vos reys de Gourneh ont trouvé à Dra Abou-Naggi, une magnifique boîte de momie … au couvercle entièrement doré … les yeux sont en émail enchâssés dans un cercle d'or ; sur la tête est un serpent uréus en relief, malheureusement la tête du serpent manque, elle devait être en or à en juger à la richesse de la boîte…". Il lui joindra également une : "copie de l'inscription, assez lisible" qui lui permettra d'identifier le nom de la souveraine.
Elle avait été inhumée avec un véritable trésor funéraire ; en effet comme le rappelle Gaston Maspero : "il était d'usage, à cette époque, de placer entre les linges qui enveloppaient la momie, tout ce qu'on pouvait rassembler de ayant appartenu au vivant".
Théodule Devéria, collaborateur d'Auguste Mariette raconte : "Mariette écrivit alors de renvoyer (le tout) tout de suite à Boulaq par un vapeur spécial ; malheureusement, avant réception de cette lettre, le gouverneur de la province avait fait ouvrir le cercueil, par curiosité ou par zèle malentendu, on ne sait trop…"
Toujours est-il que selon le récit qu'en fit plus tard Gaston Maspero : "la momie fut déshabillée dans le harem du moudir et une partie des objets qu'elle portait disparut dans l'opération" … Un sacrilège mené sans plus de soin que de respect … la momie de la reine sera perdue à jamais… Le moudir ordonna ensuite que soit chargé, sur un bateau à destination du vice-roi, le sarcophage et le coffre dans lequel a été placé ce qui reste du trésor. Auguste Mariette, furieux, fait voile vers Louqsor à bord du "Samanoud" afin d'intercepter l'embarcation et son équipage. "Après force pourparlers accompagnés de gestes un peu vifs, M. Mariette propose à l'un de le jeter à l'eau, à un autre de lui brûler la cervelle, à un troisième de l'envoyer aux galères et à un quatrième de le faire pendre, etc. .. On se décida enfin à mettre à notre bord, contre reçu, la boîte contenant lesdites antiquités" se souvient Devéria.
Ce qui reste du trésor représente - quand même - plus de deux kilos d'or : "La plupart des objets que la reine avait emportés dans, l'autre monde sont des bijoux de femme, un manche d'éventail lamé d'or, un miroir de bronze doré, à poignée en ébène garnie d'un lotus d'or ciselé…" (Gaston Maspero).
"Quelques semaines après cet incident digne d'un roman d'aventures, les membres du tout jeune Institut égyptien (ndlr nom "transitoire" de l'Institut d'Egypte remis alors en activité) lors de la première véritable première séance de celui-ci, purent admirer les bijoux". Mariette les présentera également, fin août, à Paris, à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres.
Les bijoux de la reine Ahhotep, présentés dans une vitrine au musée de Boulaq |
Quelques années plus tard, en 1862, ces bijoux seront présentés à l'exposition universelle de Londres. En 1863, lorsqu'est ouvert le premier musée d'antiquités égyptiennes à Boulaq, bracelets, colliers, couronnes, ... peuvent enfin être exposés dans les vitrines pour le grand plaisir des visiteurs. En 1867, certains de ces bijoux retourneront à Paris afin d'être présentés dans le Pavillon égyptien de l'exposition universelle. Les parures de la reine Ahhotep attireront d'ailleurs les convoitises de l'Impératrice Eugénie ! Elle ira jusqu'à demander à Ismaël Pacha de conserver le collier dit "aux trois mouches d’or". L'incident diplomatique sera proche … mais Mariette déploiera des trésors de persuasion, de persévérance, de fermeté, de bonne foi pour tenir bon face à l'impériale volonté ! Il y parviendra et les bijoux retrouveront le chemin de l'Egypte !
Ce bracelet est actuellement exposé au musée égyptien du Caire, place Tahrir, sous la référence JE 4680 - CG 52642.
marie grillot
sources :
Inlaid Gold Armlet of Queen Ahhotep with Two Sphinxes
http://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=15501
Guide du visiteur au musée de Boulaq, Gaston Maspero, 1883
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6305105w.texteImage
Guide du visiteur au Musée du Caire, Gaston Maspero, 1902, Institut français (Le Caire)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57248808.r=gaston+maspero.langFR
L'archéologie égyptienne Gaston Maspero, 1887
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k331686.texteImage
Bijoux et orfèvreries. Fascicule 3,Numéro 52640-53171 / par M. Émile Vernier, 1907-1927
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57740426/f18.item.r=52658.texteImage
Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Année 1981 Volume 125 Numéro 3 pp. 487-496, Leclant, Jean
http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1981_num_125_3_13870
Album du musée de Boulaq : comprenant quarante planches, photographiées par MM. Delié et Béchard ; avec un texte explicatif par Auguste Mariette-Bey, éditeur : Mourès (Le Caire)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626090c/f15.image.r=auguste+mariette.langFR
Catalogue du musée du Caire - Bijoux et orfèvreries - Fascicule 2, Émile Vernier, Ifao le Caire, édition 1907-1927
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57740426/f18.item.r=52658.texteImage
Les reines du Nil, Christian Leblanc, bibliothèque des introuvables, 2009
Mariette Pacha, 1821-1881, Elisabeth David, Pygmalion, 1994
Égypte, Gaston Maspero, collection Ars Una, 1912
Mariette Pacha, 1821-1881, Elisabeth David, Pygmalion, 1994
Mariette Pacha, Claudine Le Tourneur d’Ison, Plon, 1999
Des dieux, des tombeaux, un savant : en Egypte sur les pas de Mariette pacha, somogy, éditions d'art, 2004
Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Francesco Tiradritti
Entre réforme sociale et mouvement national: Identité et modernisation en Egypte (1882-1962), Alain Roussillon
https://books.google.fr/books?id=BvkZCwAAQBAJ&pg=PA278&lpg=PA278&dq=plus+puissant+que+moi+à+Boulaq&source=bl&ots=wLIU4o5Fxm&sig=ACfU3U1KMocxqgFBut-JuEGyeKzXub8ANA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiOmc-
Mémoires et fragments de Théodule Devéria, Gaston Maspero, Gabriel Devéria, 1896
Editions Leroux, Paris
https://archive.org/details/mmoiresetfragme00maspgoog/page/n14/mode/2up
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire