mardi 13 octobre 2015

Sadd al-Kafara, barrage éphémère des infidèles

Photo Jean-Luc Frerotte, extraite du site "Structurae"
En face de l’ancienne Memphis, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Hélouan : le Wadi Garawi. Il suit l’axe est-ouest, en se scindant en deux branches, dont l’une contient d’étonnants vestiges, très souvent ignorés, notamment des touristes. En ce lieu, également réputé pour ses carrières d’albâtre exploitées à partir de l’Ancien Empire, les Égyptiens ont construit vers 2.700-2.600 avant notre ère, soit approximativement à l’époque où les pyramides du plateau de Giza ont été bâties, une digue en pierre considérée comme la plus ancienne au monde de cette taille : le “Sadd al-Kafara” (le “barrage des infidèles”), découvert en 1885 par l’Allemand Georg Schweinfurth.


Ce barrage était construit pour “arrêter les eaux torrentielles qui se jettent accidentellement, quelquefois en abondance, pendant l'hiver du haut du plateau calcaire du désert oriental”. Mais dans quel(s) but(s) ? Son utilisation, s’accorde-t-on à reconnaître, n’était pas liée à l’irrigation de terres cultivables. Il aurait plutôt été conçu pour emmagasiner l’eau nécessaire, en ce lieu désertique, aux ouvriers et animaux des carrières d’albâtre. Or ces carrières n’ont jamais été développées pour une “production de masse”. Pourquoi alors se lancer dans une construction aussi gigantesque si sa finalité était a priori restreinte dans le temps ? Le mystère demeure.

Photo Jean-Luc Frerotte
À l'endroit de l'ancien barrage, précise Georg Schweinfurth dans le “Bulletin de l’Institut Égyptien”, la vallée a une largeur de 66 mètres entre les berges des deux côtés qui surmontent le fond du torrent de 12 à 15 mètres, et qui descendent sur les deux côtés d'une espèce de plate-forme s'étendant jusqu'à la base des deux escarpements.
Le barrage consistait en une digue qui s'élevait jusqu'à la hauteur des berges et qui barrait la vallée proprement dite dans une épaisseur de 45 mètres. Cette digue se composait de deux parties différemment bâties. En aval, elle était formée de débris et d'argile tirés des berges de la vallée, la partie en amont était formée de grands blocs taillés de calcaire, et couverte en face du torrent d'une couche de pierres de taille superposées, à l'instar d'un escalier, par degrés dont 32 sont encore visibles. Ils étaient probablement au nombre de 35 si l'on considère l'espace entre les plus bas degrés restants et le rocher formant le lit du torrent. L'inclinaison de cette construction est de 45°. Sur les deux berges, un quart de cette digue se trouve encore en état, tandis qu'au milieu le torrent a entièrement enlevé les matériaux qui la composaient.
Photo Jean-Luc Frerotte
Grâce aux observations faites après celles de Schweinfurth (Jean Clédat en 1921, Murray en 1947, Gunther Garbrecht en 1987...), il est possible de reconstituer les dimensions “pharaoniques” de cet ouvrage d’art (tout en sachant que des variantes existent dans les évaluations) : 110 m de longueur de crête, 80 à la base ; environ 14 m de hauteur ; largeur de la crête : 56 m ; largeur à la base : 98 m ; capacité du réservoir : 570 000 m³ ; noyau du barrage, en terre et roche-remplissage : 32 m de large ; paroi aval (en pierre) : environ 37 m de large ; la paroi amont (en pierre) : environ 29 m de large.

Le “barrage des infidèles” aura eu une vie très éphémère : de 10 à 12 ans ! Il n’a d’ailleurs, semble-t-il, même pas été terminé. En raison de l’érosion sur sa face aval incomplète, ainsi que de l’absence d’un canal de dérivation des crues, sa structure centrale, faite de matériaux moins résistants, n’a pas résisté et a été emportée par les eaux.
Ce constat porte donc quelque peu ombrage à ce glorieux témoignage du savoir-faire des anciens bâtisseurs égyptiens : “L'ouvrage (...) fut très rapidement ruiné par submersion, car il ne possédait pas d'évacuateur de crues. Cette erreur s'est malheureusement répétée de nombreuses fois jusqu'à nos jours. Il n'a pas toujours été compris qu'un exutoire était nécessaire à la rivière et lorsque cet exutoire était prévu, son dimensionnement a été souvent insuffisant par manque de connaissances appropriées. Cette première rupture historique connue de barrage a-t-elle détourné les ingénieurs égyptiens d'une semblable entreprise ? Le fait est que le seul autre barrage construit sous le règne de Séthi Ier sur le Nahr El-Asi près de Homs en Syrie est du type en enrochement. Il a 6 m de hauteur et 2.000 m de long et il est encore en service aujourd'hui.” (Comité Français des Barrages et Réservoirs)

Photo extraite du "blog de Merlin"
Autre marque de l’ingratitude du temps qui passe, “depuis 1947, relate François Tonic à la lumière d’un reportage sur place, près de la moitié du Sadd al-Kafara a disparu, faute aux activités des carrières toutes proches, aux fouilles illégales et au manque de travaux de préservation. Le monument est plus que jamais menacé et si rien n’est fait pour le protéger, il disparaîtra purement et simplement sans nous donner les clés de ses énigmes.

Les énigmes sont relatives à sa construction et à son utilité… sans oublier celle de son appellation : en quoi les “infidèles” se sont-ils trouvés associés à un ouvrage d’art dont la finalité, a priori, n’était autre qu’utilitaire ?

MC

Sources
https://books.google.fr/books?id=Yul1-7SPW2oC&pg=PA90&dq=mons+porphyrites&hl=fr&sa=X&ei=t96fVYSRG4vlUuK1ufAL&ved=0CB8Q6AEwADgK#v=onepage&q=mons%20porphyrites&f=false
http://weekly.ahram.org.eg/2004/708/he1.htm
http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/bie1885/0154?sid=6b4f9fcff34c44cc847a60490d1f6867#/tab_image
http://www.hydriaproject.net/en/egypt-sadd-al-kafara-dam/relevance9
http://www.planete-tp.com/egypte-2-600-av-j-c-a151.html
http://www.iitg.ac.in/arindam.dey/Publications%20Corner/2014/Sumit%20Kumar%20et%20al.,%20IGC,%202014.pdf
http://www.barrages-cfbr.eu/BackUp/Info/pour_bar/pr_barC4.html

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