En 1815, il est admis à l’université d’al-Azhar, au Caire, où il se fait remarquer pour son “esprit éveillé”, son “application au travail”, son “sens critique très aigu” et son “goût marqué pour les études scientifiques”.
À l'âge de vingt-deux ans, ses études terminées, il se voit confier un poste d’enseignant à al-Azhar, où il seconde le shaykh Hassan al-Attar dans la tâche de réforme de la vieille institution. Puis il est nommé imâm dans l’armée égyptienne, avant d’être intégré dans la “mission” de 44 oulémas envoyés en France par Méhémet Ali (qui donnait suite à une initiative de Jomard), pour y parfaire leur formation en s’initiant à la civilisation occidentale.
“Et voici une nouvelle vie qui commence pour notre azhariste, commente Ahmad Rachad : à sa formation purement orientale, il va joindre une connaissance du monde occidental. Le champ de ses recherches va s'élargir et bien qu'il ne parte pas comme étudiant, la vie menée en France pendant six ans environ sera entièrement une vie studieuse, une vie constamment alimentée et attisée par un apport scientifique riche en considérations de toutes sortes.”
Jomard au milieu de quelques membres de la Mission égyptienne à Paris - 1831 |
Dans un ouvrage où il résume des “Impressions de voyage”, il traite du mode de vie des Parisiens, ainsi que de l'éducation, du mouvement féministe, de l'hygiène publique, de l'organisation judiciaire et sociale, de l'administration, de la Constitution de 1830, de la liberté de penser et d'écrire, du droit de propriété. Dans ses nombreux écrits, il manifestera son admiration pour le pays qui l’accueille, tout en exaltant le génie et la splendeur de son propre pays.
De retour en Égypte en 1831, Rifaa al-Tahtawi entend puiser dans ses connaissances acquises à l’étranger pour les mettre au service des réformes et du renouveau intellectuel souhaités par Méhémet Ali, puis Ibrahim Pacha. Il est nommé professeur de français de l’École de médecine dirigée alors par Clot-Bey. En 1833, il fonde le “Journal Officiel”. Une année plus tard, il traduit, pour le compte de l’armée égyptienne, des ouvrages ayant trait à la géométrie et à l’art de la guerre.
En 1836, sur demande de Méhémet Ali, il crée l’École des Langues Étrangères, dans le but de “mettre les œuvres des grands esprits européens à la portée des Égyptiens”. Il en assumera la direction jusqu’en 1850. Depuis 1848, Abbas Ier Hilmi préside aux destinées de l’Égypte, en farouche opposant aux idées réformatrices de son grand-père. Il ordonne la fermeture de l’École des Langues et contraint son directeur à s’expatrier au Soudan. Al-Tahtawi passera ainsi quatre années à Khartoum, exil qui prendra fin en 1854, lorsque le francophone Muhammad Saïd succédera à Abbas Ier. Rifaa al-Tahtawi occupera alors de nouveau des postes de direction (École militaire, École Polytechnique…) “dans un pays qui aspire de plus en plus à se tailler une place parmi les nations civilisées. L'œuvre à accomplir est encore immense et Saïd Pacha, suivant les traces de Mohamed-Ali, - du moins au début de son règne, - tiendra à encourager les sciences et les arts et à faire appel à des savants égyptiens et français.”
Malheureusement pour al-Tahtawi et ses audacieuses initiatives, Saïd Pacha ne poursuit pas l’oeuvre de réforme de son pays et retombe rapidement dans la voie obscurantiste de son prédécesseur… jusqu’à l’avènement du khédive Ismaïl.
Sous le règne d’Ismaïl Pacha (1863-1879), la “renaissance” égyptienne retrouve sa vigueur : développement de l’enseignement, création de nombreuses écoles dans tout le pays, de l’École des Arts et Métiers, de l’École Normale, de la Bibliothèque Nationale, de la Société de Géographie… “C'est une époque, écrit Ahmad Rachad, de prodigalité, de luxe, de modernisme, de conquêtes, de projets grandioses et de constructions imposantes ; mais c'est malheureusement aussi une époque de dépenses folles, d'orgies et de gâchis qui fera passer, en fin de compte, I'Égypte sous le contrôle étranger.”
Rifaa al Tahtawi prend “une part active à cette course au progrès” comme directeur du Bureau des Traductions et membre du Comité des Écoles. Il travaille par ailleurs à la réorganisation de l’administration judiciaire de son pays (avec notamment la traduction du Code Napoléon), ainsi qu’à la fondation de journaux et à l’éducation des jeunes filles. En 1870, il est engagé comme rédacteur en chef de “Rodat al-Madâris” (“Jardin des Écoles”), une revue littéraire sociale et scientifique créée par Ali Pacha Moubarak, ministre de l’Instruction publique, destinée à “donner une vigoureuse impulsion au mouvement intellectuel et à répandre les idées nouvelles”.
Dans ses publications, Al-Tahtawi se pose en défenseur de l’émancipation de la femme orientale. Il entreprend enfin la rédaction d’une “Histoire de l’Égypte”. Seuls en seront publiés un premier tome en 1872, ainsi qu’un second quelque temps après la mort de l’auteur, le 27 mai 1873.
A Literary Research, 1901 (oil on canvas), Deutsch, Ludwig (1855-1935) / Private Collection / Photo © Whitford & Hughes, London, UK / Bridgeman Images |
“Tahtawi, poursuit pour sa part Inès Aït Mokhtar, incarne la rencontre intellectuelle entre la modernité politique telle qu’elle a été pensée en Occident, et la tradition islamique qui continue de jouer pleinement son rôle dans l’Égypte du XIXe siècle. (...) Ne désavouant jamais l’enseignement islamique traditionnel qu’il a reçu, il en fait au contraire une force, en montrant comment celui-ci mérite d’être prolongé par la pensée moderne, plutôt que de s’opposer à elle. Il a nourri les échanges culturels et intellectuels entre l’Europe et le monde islamique par ses nombreuses traductions. Il a en outre frayé une voie pour les intellectuels du monde arabo-musulman soucieux de ne pas abandonner l’héritage culturel qui est le leur tout en étant conscients de la nécessité de penser le monde moderne. Il a enfin formalisé de façon plus systématique l’idée d’une nation égyptienne, et est en cela un précurseur des évolutions politiques du XXe siècle.”
MC
Sources :
http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_004/PFE_004_050_w.pdf
Abdul Azim Islahi, “Economic Ideas of Rifa‘ah al-Tahtawi” : https://mpra.ub.uni-muenchen.de/41009/1/Economic_Ideas_of_al-Tahtawi.pdf
Inès Aït Mokhtar, “Tahtawi, le pionnier de la Nahda” :
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Tahtawi-le-pionnier-de-la-Nahda.html
“Rifaa Al-Tahtawi : l’Or de Paris” :
http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/1003/5/35/4505/-Rifaa-AlTahtawi--l%E2%80%99Or-de-Paris.aspx
Rifa‘a al-Tahtawi, “L’Or de Paris”, Actes Sud, 2012.
“An Imam in Paris - Rifa'a Al-Tahtawi”, Daniel L. Newman, Saqi, 2012
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