En cette toute fin du XXe siècle, Gaston Maspero, entièrement acquis à l'art pharaonique, estime cependant que d'autres époques, postérieures, très peu étudiées jusqu'alors, peuvent se révéler dignes d'intérêt. Il incite ainsi l'un de ses anciens élèves, l'égyptologue Albert Gayet, à orienter ses recherches "dans une direction encore mal connue : l'archéologie de l'Égypte de l'antiquité tardive".
C'est ainsi que Gayet, avec l'appui de son mécène l'industriel lyonnais Emile Guimet, se retrouve, en 1896, en Moyenne-Egypte à fouiller Antinopolis (Antinoé). Le passé archéologique de cette cité se révèle aussi riche que diversifié. Ses nécropoles vont livrer des renseignements inestimables sur les rituels, les modes d'ensevelissement et un matériel funéraire de la plus haute importance.
Illustration représentant les fouilles d'Albert Gayet à Antinopolis (publiée dans le Petit Journal - 1904-686) |
Pendant la première campagne, les découvertes se succèdent : "En deux mois, deux mille caveaux furent ouverts : cinquante seulement dans la nécropole antique, cinq cents dans la nécropole byzantine, onze cents dans le cimetière chrétien".
En 1903, au cours de sa huitième saison, Albert Gayet se concentre sur la "nécropole de la plaine". Il découvre des caveaux de patriciens, richement vêtus. Au IIIe siècle en effet, la momification n'est plus pratiquée et le défunt est inhumé dans ses plus beaux vêtements, parfois même superposés en plusieurs épaisseurs.
"Au nord de la plaine, en périphérie de la tombe de Thaïs (Thaïas), il découvre, sous des sépultures déjà ouvertes en 1901, les corps de dix-huit femmes, accompagnées de palmes et enveloppées dans des suaires maintenus par des bandelettes portant une inscription que l’archéologue traduit par 'les Élus d’Antinoé'. Dans un des caveaux de la vallée nord, Albert Gayet exhume une sépulture appartenant 'au type du sépulcre maçonné, recouvert d’un bloc de pierre et de briques aggloméré', dans lequel repose une femme dénommée Sabine 'qu’à la richesse de sa toilette, on peut qualifier de patricienne, bien qu’aucune mention de rang ne soit ajoutée à son nom'. Divers objets avaient été disposés auprès de la morte, 'une pierre gnostique, image d’Abraxas, le principe des 365 cieux du système de Basilide ; le poisson d’ivoire, symbolisant l’ichthys ; un lion de bronze, emblème de la force ; un collier de perles et améthystes"...
Sabine est vêtue d’une : "robe de laine rose sur laquelle est drapé un mantelet de bourre de soie pourpre, garni d’un gros bourrelet, entourant le front. La partie inférieure de son corps est enveloppée dans un châle de laine rouge, à carrés et appliques d’angles, médaillon central et semis de motifs brodés indique Marie-Hélène Rutschowscaya dans "Le châle de Sabine chef-d'oeuvre de l'art copte". Dans "L’Egypte au Louvre", elle précise que "Les tissus coptes sont généralement exécutés en lin écru et en laines colorées. L'utilisation du lin est une très ancienne tradition en Egypte… Il faut attendre la période grecque pour que la laine soit produite à grande échelle… Les couleurs étonnamment bien conservées étaient d'origine végétale ou animale, ce qui explique leur remarquable résistance".
Ce châle constitue très certainement l'une des plus belles pièces de tissu retrouvées à Antinoé. Il sera partagé en plusieurs fragments qui entrent dans les collections du musée des Beaux-Arts et du musée des Tissus de Lyon, du musée du Louvre alors qu'un autre rejoint une collection particulière.
Composée de quatre morceaux, la partie du châle conservée au Louvre est la plus souvent représentée. D'une hauteur de 121,5 cm et d'une longueur de 148,1 cm, elle est exposée sous la forme d'un "panneau rectangulaire, gainé d'un tissu moderne, sur lequel ont été cousues les différentes parties de l'étoffe antique. Ce gainage a été choisi de couleur rouge pour pouvoir se fondre avec le fond de toile antique sur lequel se détachent les décors en tapisserie. L'ensemble est composé de deux galons en retour d'équerre qui enserrent deux carrés ; au centre, un médaillon prend place parmi un semis de feuilles et de petits scènes décoratives".
Les galons en équerre sont arrondis à leurs extrémités. Ils sont bordés d'une frise à motifs de vagues noires, et, sur un fond beige-jaune se trouvent des putti, angelots dodus et nus, des motifs végétaux, des poissons et des canards.
Bordés d'une frise identique, les carrés ont le même fond. Des héros mythologiques y sont représentés : Artémis chasseresse, Apollon et la nymphe Daphné.
Le médaillon central est entouré d'un motif reprenant les thèmes et couleurs des galons, putti et éléments végétaux. Au centre apparaît Bellérophon en compagnie de Pégase sur le point de terrasser la Chimère.
Il y a lieu de penser qu'un décor identique était reproduit sur les autres parties de la tapisserie dont il est difficile de connaître la dimension.
On ne peut qu'infiniment regretter qu'elle ait été découpée, puis dispersée ... Il est toutefois à signaler qu'un ensemble de quatorze motifs en semis et un fragment de toile rouge provenant du Châle de Sabine, mis en vente aux enchères, chez Pierre Bergé & Associés, à Drouot-Richelieu Paris le 26 novembre 2013, a été préempté par le musée du Louvre à 200.000 €.
marie grillot
sources :
Châle de Sabine - Louvre
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010048723
Châle de Sabine, Antinoé Moyenne-Egypte, Musée des Beaux-Arts de Lyon
https://www.mba-lyon.fr/fr/fiche-oeuvre/chale-de-sabine
Albert Gayet, L'Exploration des ruines d'Antinoë et la découverte d'un temple de Ramsès II enclos dans l'enceinte de la ville d'Hadrien, éditions E. Leroux (Paris), 1896
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57769062
Emile Guimet, Les portraits d'Antinoé au Musée Guimet, Librairie Hachette et Cie, Paris, 1912
http://mc.dlib.nyu.edu/files/books/ifa_egypt000209/ifa_egypt000209_hi.pdf
Florence Calament, Antinöe : histoire d´une collection dispersée, La Revue du Louvre et ees Musees de France, 1989, n° 5/6
https://www.academia.edu/35738462/Antin%C3%B6e_histoire_d_une_collection_dispers%C3%A9e
Guillemette Andreu, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L’egypte au Louvre, Hachette, Paris, 1997
Guillemette Andreu, Objets d'Égypte : des rives du Nil aux bords de Seine, Musée du Louvre, Paris, Le Passage Paris-New York éditions, Louvre éditions, 2009, Antinoé 3b
Marie-Hélène Rutschowscaya, Le châle de Sabine chef-d'oeuvre de l'art copte, Soleb, 2013
http://www.soleb.com/pdf/le-chale-de-sabine/le-chale-de-sabine.pdf
Florence Calament, Le "châle de Sabine", dernières pièces d'un puzzle, Grande Galerie, Le Journal du Louvre, 27, 2014, p. 6-7, p. 6
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