Marc Gabolde est égyptologue, ancien membre scientifique de l'IFAO, maître de conférences à l'université Paul Valéry Montpellier 3, grand spécialiste de la XVIIIe dynastie et de la période amarnienne... Il a participé à plusieurs missions dans la Vallée des Reines, à Karnak, ainsi que dans l'ancienne capitale d'Akhenaton, Tell el-Amarna, et publié de nombreux ouvrages.
Il vient de faire paraître, chez Pygmalion, "Toutankhamon". Un personnage et une histoire qui passionnent depuis plus de 90 ans et qui se trouvent aujourd'hui au coeur d'une actualité brûlante...
Marc Gabolde nous fait l'honneur de nous présenter son livre et de répondre à nos questions sur cette KV 62, le pharaon qu'elle a abrité, ses origines, son trésor et bien sûr, sur les mystères que, peut-être, elle cache encore...
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Égypte actualités : Après plus de 3000 ans d'oubli, Toutankhamon est revenu "à la vie", en 1922, grâce à l'improbable - mais géniale - association entre un lord anglais venu se refaire une santé sur les bords du Nil et un dessinateur anglais, ex-inspecteur des antiquités, sans emploi après avoir démissionné. Cet enfant-roi, ce pharaon mort à 18 ans, a t-il eu un rôle aussi important que son trésor le laisse supposer ?
Marc Gabolde : Le trésor de Toutankhamon reflète plus l’importance de ce pharaon pour l’égyptologie que pour l’Égypte ancienne. Ce sont surtout les témoignages extérieurs à sa tombe qui permettent de mesurer la richesse documentaire de son règne. Et tous ces témoignages, très nombreux, montrent que le règne de Toutankhamon fut brillant et prospère. Je consacre 150 pages à "l’Égypte de Toutankhamon" (pp. 135-286) où sont passés en revue beaucoup de vestiges des contemporains du roi. Cette documentation est généralement marginalisée dans les ouvrages sur Toutankhamon, qui préfèrent montrer des pièces du trésor, certes magnifiques, mais souvent déjà bien connues et peu informatives. Dans cet ensemble, les documents relatifs à la Nubie sont d’ailleurs exceptionnels par leur précision et donnent une image très vivante de cette région fondamentale pour l’approvisionnement en or des Égyptiens.
ÉA : Les milliers d'objets qui l'entouraient ne cessent de nous émerveiller : la plupart portent son cartouche, mais d'autres qu'Howard Carter classa sous le nom d’ "héritage" étaient des souvenirs de famille, et même des reliques comme cette mèche de cheveux de la reine Tiyi. Est-ce qu'ils nous en apprennent plus sur sa lignée ? Est-il possible aujourd'hui, avec certitude, de dire qui était son père et qui était sa mère ?
MG : Ce n’est pas tant les objets avec les noms de divers prédécesseurs ou parents qui se trouvaient dans la tombe (Amenhotep III, Tiyi, Akhenaton, Nefertiti, Merytaton, Neferneferourê, la reine pharaon, Smenkhkarê) qui ont fait avancer la connaissance de la généalogie de Toutankhamon que les récents travaux sur le patrimoine génétique de plusieurs momies royales. Il est désormais assuré que la momie de la Young Lady de la tombe d’Amenhotep II (KV35YL) et les restes osseux trouvés dans la tombe KV 55 sont ceux de la mère et du père de Toutankhamon. L’étude publiée en 2010 semblait indiquer par ailleurs que le personnage enterré dans la tombe KV55 et la "Young Lady" (KV35YL) étaient frère et sœur. Toutefois, cette étude ne prenait pas en compte le fait qu’à la génération précédente l’on avait un mariage entre cousins. En effet, les chercheurs n’ont pas remarqué qu’Amenhotep III partageait 1/3 de son patrimoine génétique avec son beau-père Youya, ce qui ne peut signifier qu’une seule chose : Amenhotep III était cousin germain de sa femme Tiyi. En extrapolant et en supposant qu’à la génération suivante Akhenaton a également épousé sa cousine, Nefertiti, on trouve un schéma qui permet d’accorder aussi bien les données textuelles que les données issues de la génétique. Le patrimoine génétique de deux cousins issus chacun de mariages entre cousins est tel qu’il peut sembler identique à l’ADN d’un frère et d’une sœur en raison du moindre brassage génétique que provoque une telle endogamie. Voir :
www.enim-egyptologie.fr/revue/.../Gabolde_ENIM6_p177-203.pdf ÉA : Vous pensez, personnellement, que la momie de Nefertiti était l'une des 17 momies découvertes par Victor Loret dans la Vallée des Rois, en mars 1898, dans ce qui est appelé la seconde "cachette", la KV 35, tombe d'Aménophis II ?
MG : C’est effectivement désormais mon opinion. Nefertiti est, sans doute, la "Young Lady" KV35YL. L’idée avait déjà été avancée par Joann Fletcher qui l’avait annoncé sans en référer aux autorités égyptiennes, ce qui avait provoqué la colère de Zahi Hawass. Toutefois, elle n’avait qu’un faisceau d’indices qui ne constituait aucunement une preuve. Avec les études de l’ADN des momies royales et une étude critique de celui-ci, on a maintenant un peu plus d’éléments, sans toutefois détenir de preuve définitive.
ÉA : Vous avez mené une enquête de par le monde afin de retrouver des artefacts qui provenaient de la KV 62 et qui n'ont jamais été déposés au musée du Caire... On se souvient qu'après la mort de Carter, son héritière, sa nièce, Phyllis Walker avait écrit à Étienne Drioton pour rendre les objets qu'il avait conservés par devers lui et qui finiront par revenir en Égypte en 1946. Pouvez-vous nous présenter quelques-uns de ces objets ? Et nous expliquer comment ils sont sortis d'Égypte, par quelles mains ils ont transité ?
MG : J’ai identifié vingt-trois pièces qui pourraient, en fonction d’une série de critères rigoureux, provenir de la tombe de Toutankhamon. Il faut toutefois rester prudent car, là encore, pour beaucoup d’objets, il ne sera sans doute jamais possible de prouver qu’ils viennent bien du tombeau. S’il faut donner un exemple significatif, je mentionnerais une paire incomplète de fermoirs en or articulés à tête de faucon provenant de la collection Carter et conservés au Nelson & Arkins Museum de Kansas City (Missouri, USA). En comparant cette pièce avec la fiche Carter pour l’objet n°256ttt - un grand collier pectoral qui se trouvait sur la poitrine de Toutankhamon, à même la peau, et qui n’est jamais entré au Musée du Caire -, les similitudes sont si grandes que la place pour le doute est désormais extrêmement réduite. D’ailleurs, pour rester dans l’actualité, un collier d’or mis aux enchères à Christie’s il y a quelques jours, le 1er octobre dernier, pourrait bien être constitué d’autres éléments manquants du même collier. Il n’a curieusement pas trouvé preneur.
ÉA : Après les ouvrages d'Howard Carter lui même, de Jean Capart, de Christiane Desroches-Noblecourt, de Nicholas Reeves et d'autres encore sur Toutankhamon, quels autres éléments nouveaux nous révélez-vous ? Qu'avez-vous découvert ?
MG : Beaucoup de monuments de l’époque de Toutankhamon ont été découverts, redécouverts ou simplement publiés depuis un demi-siècle et l’éclairage qu’ils offrent permet de modifier ou de préciser l’image du règne. Comme ils sont souvent peu connus, je les ai abondamment utilisés. Grâce à ces documents, c’est toute la société des contemporains du roi qui émerge de l’oubli : les parents, les compagnons, les fonctionnaires, les prêtres et les serviteurs de tous ordres. Ce sont tous des figures attachantes qui peuplent avantageusement une Égypte qui n’était pas limitée au roi et à son proche entourage. Les ouvrages que vous citez s’appuyaient, à l’inverse, fortement sur les objets du trésor dont l’éclat éblouissant faussait les analyses. Aussi bien pour la généalogie que pour l’histoire, qu’elle soit événementielle, sociale, économique ou politique, notre connaissance de cette époque s’est notablement enrichie et il était, semble-t-il, l’heure qu’un public plus large que celui des seuls égyptologues et des étudiants puisse profiter de ces apports.
ÉA : Même si c'est totalement fortuit, on ne peut s'empêcher de penser que votre livre sort à point nommé avec ces questions, ces interrogations, cette excitation qu'a fait naître Nicholas Reeves en supposant que la KV 62, pourtant soigneusement fouillée pendant de nombreuses années par Carter et son équipe, contiendrait deux nouvelles pièces, cachées, qui pourraient être la tombe de Nefertiti ?
MG : Voici mon opinion sur les propositions de C.N. Reeves.
L’idée selon laquelle l’antichambre et la chambre funéraire chez Toutankhamon correspondraient à l’intégralité de la chambre funéraire des tombes traditionnelles des rois antérieurs de la XVIIIe dynastie est séduisante. L’antichambre serait l’équivalent de la partie supportée par six piliers dans les tombes d’Amenhotep II (KV 35), Thoutmosis IV (KV 43) et Amenhotep III (WV 22) - voire Horemheb (KV 57) - et l’actuelle chambre funéraire de Toutankhamon serait, de son côté, la contrepartie de la zone au sol surbaissé de la chambre funéraire accueillant le sarcophage dans les autres hypogées royaux. Dans cette optique, suggérer l’existence de deux annexes supplémentaires n’a rien de "farfelu" a priori.
Toutefois, la chambre funéraire de Toutankhamon est notablement plus petite que toutes les zones surcreusées des tombes royales sus-désignées (voir les superpositions dans le premier croquis associé), ce qui indique que l’on a renoncé aux dimensions royales et que l’on a creusé la chambre funéraire de Toutankhamon “au plus juste” pour que l’on puisse monter les chapelles dorées. Dès lors, dans le même souci d’économie dans la conduite du chantier, deux chambres au lieu de quatre n’ont rien d’absolument anormal.
Superposition des tombes royales et des zones surcreusées |
Si l'on regarde la tombe du successeur de Toutankhamon, Aÿ (WV 23), on constate que l’actuelle chambre funéraire est, en fait, la "salle à deux piliers" où se fait un changement d’axe dans toutes les autres tombes royales antérieures et que l’antichambre est, en fait, la salle du puits. À la mort d’Aÿ, on a adapté rapidement le tombeau : les deux piliers ont été supprimés pour en faire la salle du sarcophage (à un seul niveau) et une petite chambre, inachevée du reste, a été creusée pour servir d’annexe pour le coffre à canopes (les 4 fils d’Horus sont figurés sur le linteau). Les trois autres annexes comme le puits lui-même n’ont pas été creusés. De même, dans la tombe de Ramsès Ier (KV 16), le chantier avait à peine entamé le 2e corridor en pente, après l’escalier à niches, lorsque le roi mourut. Sethy Ier fit simplement agrandir en plan barlong cette amorce de corridor pour constituer une chambre funéraire munie de 2 + ½ annexes et non les quatre requises, tout en renonçant, comme chez Aÿ et Toutankhamon, au creusement d’un puits. Si le temps manque, le creusement de toutes les annexes ne semble pas nécessairement une priorité (croquis ci-dessous).
Si l’on garde tous ces éléments à l’esprit, la présence de chambres supplémentaires chez Toutankhamon est moins "obligée" que ne le laisse croire Reeves.
Par ailleurs, les scanners des reliefs des parois peuvent être interprétés sans obligatoirement y voir des traces de portes scellées. Ce pourrait être les traces de jonctions de deux équipes de tailleurs. Il pourrait, également, y avoir tout simplement un projet de creusement de chambres supplémentaires, vite abandonné, avec les dépressions rebouchées hâtivement. Les parois est et sud de la chambre funéraire montrent également des irrégularités de surface qui pourraient être interprétées comme des traces de la présence de cavités rebouchées, et pourtant il est assuré qu'aucune de ces parois n'a jamais dissimulé d'accès à des chambres ignorées.
De toute manière, avec les radars de sol, les ondes acoustiques, deux micro-sondages endoscopiques ou encore l’électrorésistivité, ce sera aisé à démontrer. J'ignore encore la technique pour laquelle N. Reeves a reçu ses autorisations de la part du ministère égyptien des Antiquités, sans doute des radars de sol, mais je suis beaucoup plus sceptique et moins optimiste que Reeves pour l’existence de chambres supplémentaires.
Quant à Nefertiti, selon mes travaux c’est même a priori impossible qu’elle soit enterrée là puisque l’on a déjà sa momie (KV35YL) et que la reine pharaon qui a régné entre Akhenaton et Toutankhamon est bien plus probablement Merytaton, la fille aînée de Nefertiti, que Nefertiti elle-même.
Propos recueillis par marie grillot
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