lundi 5 octobre 2015

Anvers : l'égyptomanie entre au zoo


L’égyptomanie a donné lieu à maintes expressions de l’art ou de l’architecture, plus particulièrement après l’expédition conduite par Bonaparte, accompagnée d’une mémorable collecte de données réalisée par son “bataillon” de savants sur les rives du Nil. Très “mode” à une certaine époque, elle est même allée se nicher dans l’aménagement et les décors de deux zoos : celui de Berlin, créé en 1899 par Heinrich Kayser et Karl von Grossheim, et celui d’Anvers, imaginé une cinquantaine d’années plus tôt par Jan Frans Loos et Jacques Kets, et inauguré le 19 août 1856 par la Maison Royale.

C’est dans ce dernier que nous faisons halte. Nous y découvrons un temple égyptien, abri des éléphants et girafes du parc zoologique, qui peut étonner tant l’impression d’ensemble n’offre qu’un pâle reflet des couleurs et lignes architecturales originales qui l’ont inspiré. 

Il est vrai qu’en concevant les plans de ce lieu, Charles Servais (1828-1892), architecte de la Société zoologique d’Anvers, souhaite réaliser une "savante imitation" et non une "reproduction servile". 

Édifié "dans le style égyptien", le temple est de forme carrée et massive. Il comprend un portique ou narthex avec quatre colonnes monumentales : "dont les deux fûts centraux possèdent des chapiteaux formés d’une quadruple tête d’Hathor surmontée d’un sistre, alors que les deux fûts extérieurs offrent un chapiteau palmiforme" (Eugène Warmenbol, "Le lotus et l’oignon"). Puis une nef centrale surélevée par rapport aux nefs latérales, ornée de fleurs et d’arbustes, éclairée par un grand toit vitré, rejoint une abside semi-circulaire. "Partout dans cette enceinte on retrouve les emblèmes familiers à l’architecture égyptienne : la corniche est entourée de cartouches chargés d’inscriptions hiéroglyphiques, l’astragale est formée de plants de lotus noués en faisceau par des bandelettes. Au centre des quatre lignes formant le parallélogramme de l’enceinte sont placés au-dessus de la corniche trois globes ailés. Dans la pensée des Égyptiens, les globes ailés représentaient le soleil et ils présidaient aux entrées de leurs temples et de leurs palais." ("Le Précurseur", 1856)

Il semble qu’initialement, le temple ne devait pas être décoré de motifs figurés. La Maison Royale inaugura vraisemblablement un bâtiment parfaitement blanc. Mais, sans doute dans la poursuite de son inspiration, Charles Servais fait ensuite appel pour les décors, non pas à Joseph Bonomi comme cela a pu être mentionné, mais à Louis Delgeur (31 mai 1819 - 11 septembre 1888), qui est : "sur les quatre et demi millions de Belges, (l’un des) trois ou tout au plus quatre qui se sont occupés d’hiéroglyphes". Pour concevoir les tableaux, celui-ci s’inspire de scènes originales qu’il a vues, notamment dans les publications de J.-F. Champollion ou de J.-G. Wilkinson. "Les scènes illustrent l’inauguration du temple par Léopold Ier accompagné de ses enfants : elles se trouvent toutes doublées de textes hiéroglyphiques". La vocation didactique du temple égyptien est soulignée par les hiéroglyphes qui le décorent : "En l’année du Dieu sauveur 1856, sous S.M. le Roi, Soleil et Vie de la Belgique, Fils du Soleil, Léopold Ier , fut faite cette maison (pour être) un livre, pour réjouir Anvers et instruire ses habitants." (Marie-Cécile Bruwier, "Présence de l'Égypte dans les collections de la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin", Presses universitaires de Namur, 1994)

Les peintures du temple seront soumises à plusieurs opérations de restauration au cours des années. À la mort de Servais, les travaux d’entretien des décors et peintures sont confiés à Émile Thielens (1854-1911), auteur par ailleurs d’une mosaïque de revêtement de sol, avec bordure de fleurs de lotus. Puis, en 1901, Henri Verbuecken repeint les textes hiéroglyphiques de Delgeur, en les amputant, et réalise de nouveaux tableaux, inspirés de Prisse d’Avennes, mais tous disparus aujourd’hui.

Ayant fait l’objet d’autres restaurations de mars 1986 à avril 1988, le temple égyptien du zoo d’Anvers a été qualifié par l’historien de l’architecture James Curl de : "peut-être le plus bel exemple de l’égyptomanie du XIXe siècle". Les éléphants et girafes apprécient-ils un tel honneur ? En tout cas, les visiteurs quelque peu avertis de la civilisation égyptienne resteront vraisemblablement sur une impression de "kitsch" que ressentit peut-être déjà le roi Léopold Ier, lorsqu’il visita le jardin zoologique le 4 août 1861, en compagnie de son fils aîné et de sa belle-fille : "Si le temple est assurément terminé, rappelle Eugène Warmenhol, leur attention ira néanmoins aux exercices des éléphants, que leur cornac a fait travailler avec une précision peu commune".

Sur les traces du souverain, il n’est pas surprenant que l’on visite un zoo - à commencer par celui d’Anvers - d’abord pour admirer des animaux avant d’y rechercher une lointaine connotation archéologique. Il n’en demeure pas moins vrai, souligne Eugène Warmenbol, que Louis Delgeur, qui a tant contribué à donner une touche égyptienne à ce lieu : "apparaît comme le trait d’union entre l’égyptologie et l’égyptomanie en Belgique et, à la manière d’un Auguste Mariette, il n’hésitait pas à contribuer à des projets égyptomaniaques pour faire passer "le message de la vieille Égypte"."

Marc Chartier

source : 
Eugène Warmenbol, "Le lotus et l’oignon - Égyptologie et égyptomanie en Belgique au XIXe siècle", 2 vol., 2012

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