jeudi 1 octobre 2015

"La carte postale en Égypte au début du XXe siècle"


Pour donner de ses nouvelles quand on était en voyage et que l’on courait le vaste monde, avant les SMS et les e-mails, avant même le téléphone et a fortiori le téléphone portable, il y avait la carte postale. Cette bonne vieille carte postale, aujourd’hui plus ou moins tombée en désuétude.

Inventée officiellement en Autriche en 1869, on la retrouve quelques années plus tard sur les rives du Nil.

Retour sur cette page d’histoire aux couleurs d’un autre temps, en compagnie de Robert Vergnieux, docteur d’État en Histoire ancienne (égyptologie), directeur d’Archéovision, qui a aimablement autorisé “égyptophile” à reproduire de très larges extraits d’un article publié dans l’ouvrage "Voyages en Égypte de l’Antiquité au début du XXe siècle", Musée d’art et d’histoire de Genève, La Baconnière Arts, 2003, 348 pages. 
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“L’Égypte adhère à l’Union postale universelle lors du “Congrès international de la poste” réuni du 15 septembre au 9 octobre 1874, dans les anciens locaux de la Diète fédérale à Berne. De ce fait, la correspondance depuis l’Égypte vers l’étranger est facilitée par l’uniformisation des tarifs. L’affranchissement du courrier à l’aide des seuls timbres égyptiens permet alors l’acheminement des plis jusqu’à leur destination finale.

Les premières cartes-correspondances bénéficieront de ces accords. Leur mise en service, au mois de mai 1879, connaît alors un vif succès. Peu à peu, publicités puis illustrations viendront égayer les cartes-correspondances. L’essentiel de la production pionnière consiste en des cartes illustrées de plusieurs vues avec une composition à motifs orientaux tels que palmiers, dromadaires, arabesques, etc. Les procédés de reproduction photographique à grand tirage n’en étant qu’à leurs débuts, les cartes pionnières reproduisent simplement des dessins exécutés à partir de prises de vue véritables. Plus tard, la maîtrise des procédés de duplication photographique contribuera à l’essor définitif de la carte postale. Certains des clichés seront repris par la suite pour être imprimés à leur tour, à la place des dessins, sur les cartes postales. (...)

Le succès de l’utilisation de ce mode de communication que sont les cartes postales est quantifiable grâce aux données officielles de la poste égyptienne. La circulation des lettres et des cartes illustrées au départ vers l’étranger passe de cent mille en 1875 à dix-sept millions en 1930. L’intérêt des voyageurs à pouvoir faire partager à leurs correspondants leurs sujets d’émerveillement tout au long des rives du Nil n’est pas étranger au succès que rencontrent les cartes postales illustrées.

Le nombre de cartes postales ayant pour thème l’Égypte augmente de façon exponentielle pour passer de quelques centaines avant 1895 à plus de cinquante mille modèles différents disponibles dis ans plus tard. Les merveilles de l’Antiquité ainsi que les vues de sites sont légion, mais les photographes s’inspirent aussi de la vie quotidienne dans la vallée du Nil et nous livrent de fort nombreux documents sur la société de l’époque. Tous les thèmes sont traités, avec plus ou moins de bonheur, allant de vrais documents ethnologiques à des vues composées artificiellement.

L’Égypte, qui a été parmi les premiers États à adhérer à l’Union postale internationale, sera très en avance pour la qualité du service postal. De nombreuses boîtes à lettres couvrent le territoire de telle sorte que chacun puisse aisément poster du courrier. Le voyageur trouvera même dans les grands hôtels une agence postale officielle avec un timbre à date au nom de l’établissement. Les hôtels secondaires et les pensions modestes se contentent d’ajouter la marque d’un tampon non postal sur les cartes qu’ils vendent à leur nom.

Mais il faut également éditer ces cartes postales variées pour satisfaire les voyageurs. La concurrence entre éditeurs est rude. Des clichés anciens sont réutilisés ; c’est ainsi que des prises de vue signées Bonfils ou bien Lauro sont imprimées. Zangaki étant aussi éditeur, ce sont ses clichés qui apparaissent le plus souvent sur les cartes postales. Celui-ci avait aménagé un studio reproduisant une ruelle du Caire. Devant ce décor, il faisait poser des gens du peuple et proposait ainsi des scènes supposées prises sur le vif. Comme en attestent certains documents, un même thème et deux uniques séances de prises de vue permettent d’alimenter la production de quatre éditeurs, Béhar, Lichtenstern, Scortzis, Lévy et Fils. (...)

Grâce à cette abondante documentation, nous voyageons aux côtés de ces touristes du début du XXe siècle. À âne, à dromadaire, en calèche, en bateau ou en train, ils parcourent les merveilles pharaoniques. L’agence Cook, soucieuse du confort de ses clients, proposait même à ceux-ci de visiter les ruines de Karnak en chaise à porteurs… (...) Au Caire, le tramway est aussi mis à contribution et le touriste pourra se procurer des plans des itinéraires imprimés au forma carte postale. Pour se faciliter la vie, il pourra également faire appel à des cartes reproduisant les pièces et les timbres égyptiens qu’il va devoir utiliser pendant son voyage.

La balade à dromadaire était déjà une obligation, mais se faire photographier hissé sur la bête sera la preuve d’une aventure réussie. Les photographes attendent le chaland aux endroits stratégiques comme le secteur du sphinx de Giza. Le touriste repart avec sa photographie sur carte postale qu’il s’empresse d’envoyer à ses proches ou de rapporter précieusement pour l’exhiber triomphalement à son retour.

Pour des thèmes de cartes en relation avec la vie du touriste, les éditeurs aimaient bien jouer de la caricature dans la tradition égyptienne de la “nokta”. L’un des thèmes récurrents pour les voyageurs de ce début de XXe siècle est celui de la femme occidentale perchée très haut sur la bosse d’un dromadaire alors que l’homme, moins hardi, et juché sur le dos d’un âne, fait rire. Comme provoque l’hilarité ce touriste sur son âne perdu dans la circulation du Caire, le Baedeker sortant de sa poche.

Tout voyage en Égypte est nimbé de ce charme oriental propre à la vallée du Nil. Mais le contact chaleureux avec les populations autochtones peut être aussi sujet de raillerie. La sollicitude envers l’étranger se fait parfois insistante et intéressée à tel point que l’un des premiers mots que le visiteur retiendra est celui de “bakchich”. Déjà évoqué par Gérard de Nerval quelque cinquante ans plus tôt, cet aspect initiatique du voyage sur la terre des pharaons ne manquera pas d’être illustré par les éditeurs de cartes postales.”

Robert Vergnieux

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