jeudi 8 octobre 2015

Jacques de Lacretelle : un hymne impressionniste aux couleurs du Nil

Le Nil à Louqsor

La description du Nil que propose l’académicien Jacques de Lacretelle (1888-1985) est, telle une "palette d’impressionniste", nourrie de lumière et de couleurs ; elle est aussi, par certains aspects, peu… académique ! Apprécier les ambiances douces et sereines du fleuve majestueux au point de négliger les imposantes constructions de pierre de l’ère pharaonique peut sembler pour le moins étrange. Mais quand on est romancier, et de surcroît “immortel”, sans doute dispose-t-on de quelque passe-droit dont ne peut se prévaloir le commun des mortels.
Ses mots, gorgés de passion pour un pays où il passa quelques années de son enfance, sont le plus beau des éloges au fleuve qui "domine la vie égyptienne".

Le texte que l’on lira ci-dessous est extrait de la revue "Images", 1937-1938, où il a été publié sous le titre "Égypte terre de loisirs".
Le Nil à Assouan

“Quelle étonnante gravure compose cette terre d’Égypte qui se montre au voyageur, d’abord par une bande plate de couleur jaune pâle, dépourvue d’habitations et où des bouquets de palmiers qui se découpent nettement dans la lumière du matin représentaient à merveille l’Orient des peintres. Comme le ciel fut traversé au même moment par un vol triangulaire de grands oiseaux noirs, il me parut que c’était bien la terre des Pharaons et ses mystères que je venais de réveiller…

Pourquoi ne pas l’avouer, ce sont les paysages qui, en Égypte, m’attirent le plus. Par exemple celui qui se déroule sous mes yeux d’Alexandrie au Caire.

Une plaine où tous les verts sont réunis. Vert foncé des feuillages persistants, vert pâle des cannes à sucre, vert chou des cultures maraîchères, et surtout vert cru des champs de trèfle et du jeune blé. Au delà de cette palette d’impressionniste, et sans qu’on voie l’eau qui les porte, de grandes voiles blanches attachées à des mâts inclinés. Par endroits, des mottes de boue qui deviennent des villages quand le train passe devant : d’étranges villages composés de maisons à murs arrondis de casemates à coupoles, et dont l’architecture, toute primitive, contient pourtant des éléments Le Corbusier.

J’oublie la faune. Des buffles domestiques au poil terreux, beaucoup plus près de l’hippopotame que du bœuf, bien que leurs femelles soient les laitières du pays. Quelques chameaux, des ibis blancs qui ponctuent de l’aile les rigoles des champs, et enfin une marmaille demi-nue qui se baigne dans l’eau du canal, dans la poussière de la route, dans la lumière de midi.

(...)
Le Nil - photo : Marc Chartier

Le Nil domine la vie égyptienne, ce en quoi je n’affirme rien que tout le monde sache. Ce Nil, c’est l’image de la fatalité. Il n’est ni impérieux, ni capricieux : il est sûr ; il monte et décroît en silence ; sa volonté est insensible et néanmoins préside à tout ; bien qu’on l’ait associé au vert, sa couleur varie plus que celle d’aucun fleuve et aucune épithète ne saurait la fixer. La seule chose qu’on se dise en face de lui, c’est qu’il coule, et l’on regarde ses rives.

Il les modèle, ces rives, et il les peuple. C’est un élixir qui crée la vie végétale et animale, place ici un champ d’orge et là-bas un bouquet de palmes. Mais ce qu’il aime surtout, c’est l’homme qui croit en lui et vit avec lui, qui se construit une demeure avec son limon et essaie de le capter goutte à goutte, comme chacun de nous essaie d’attirer à soi la faveur du destin.

Qu’on excuse ce lyrisme, le spectacle s’y prête. La navigation sur le Nil, en Haute-Égypte, si calme qu’elle soit, a quelque chose d’extraordinairement capiteux. Le fleuve développe une longue fable qui stimule l’esprit. Peut-être lui fais-je la part trop belle et faut-il lui adjoindre la lumière…Toujours est-il que ces paysages nous donnent l’illusion de posséder d’autres sens, d’atteindre à une vue plus nette des objets. Qu’une dahabieh passe avec sa voile blanche, qu’un palmier se détache sur le ciel ou une robe bleue sur un monticule de sable, et le relief ressort si bien, la lumière jaillit avec une telle intensité qu’on croit regarder les choses à travers un vérascope...”

Jacques de Lacretelle
de l’Académie Française

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire