Le Nil à Louqsor |
La description du Nil que propose l’académicien Jacques de Lacretelle (1888-1985) est, telle une "palette d’impressionniste", nourrie de lumière et de couleurs ; elle est aussi, par certains aspects, peu… académique ! Apprécier les ambiances douces et sereines du fleuve majestueux au point de négliger les imposantes constructions de pierre de l’ère pharaonique peut sembler pour le moins étrange. Mais quand on est romancier, et de surcroît “immortel”, sans doute dispose-t-on de quelque passe-droit dont ne peut se prévaloir le commun des mortels.
Ses mots, gorgés de passion pour un pays où il passa quelques années de son enfance, sont le plus beau des éloges au fleuve qui "domine la vie égyptienne".
Le texte que l’on lira ci-dessous est extrait de la revue "Images", 1937-1938, où il a été publié sous le titre "Égypte terre de loisirs".
Le Nil - photo : Marc Chartier |
Le Nil domine la vie égyptienne, ce en quoi je n’affirme rien que tout le monde sache. Ce Nil, c’est l’image de la fatalité. Il n’est ni impérieux, ni capricieux : il est sûr ; il monte et décroît en silence ; sa volonté est insensible et néanmoins préside à tout ; bien qu’on l’ait associé au vert, sa couleur varie plus que celle d’aucun fleuve et aucune épithète ne saurait la fixer. La seule chose qu’on se dise en face de lui, c’est qu’il coule, et l’on regarde ses rives.
Il les modèle, ces rives, et il les peuple. C’est un élixir qui crée la vie végétale et animale, place ici un champ d’orge et là-bas un bouquet de palmes. Mais ce qu’il aime surtout, c’est l’homme qui croit en lui et vit avec lui, qui se construit une demeure avec son limon et essaie de le capter goutte à goutte, comme chacun de nous essaie d’attirer à soi la faveur du destin.
Qu’on excuse ce lyrisme, le spectacle s’y prête. La navigation sur le Nil, en Haute-Égypte, si calme qu’elle soit, a quelque chose d’extraordinairement capiteux. Le fleuve développe une longue fable qui stimule l’esprit. Peut-être lui fais-je la part trop belle et faut-il lui adjoindre la lumière…Toujours est-il que ces paysages nous donnent l’illusion de posséder d’autres sens, d’atteindre à une vue plus nette des objets. Qu’une dahabieh passe avec sa voile blanche, qu’un palmier se détache sur le ciel ou une robe bleue sur un monticule de sable, et le relief ressort si bien, la lumière jaillit avec une telle intensité qu’on croit regarder les choses à travers un vérascope...”
Jacques de Lacretelle
de l’Académie Française
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