Depuis sa dépose le 23 octobre 1831, puis son long périple sur le Nil et la Méditerranée à bord du "Louxor", l’un des deux obélisques donnés à la France par le vice-roi d’Égypte Mohammed Ali attendra cinq années avant d’être érigé au coeur de Paris, place de la Concorde. Cet événement se déroulera le 25 octobre 1836, en présence de Louis-Philippe et de 200.000 spectateurs, aux accents des "Mystères d’Isis" de Mozart. Par-delà son aspect hautement cérémonial, il représente également un exploit technique indéniable que rappelle le technicien en génie civil Manuel Minguez dans son "Histoire extraordinaire des pierres de légende, les Obélisques" (éditions Mélibée, 2014, 288 pages).
Nous reproduisons ici quelques extraits de cet ouvrage, avec l’aimable autorisation de son auteur.
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Lithographie de F. Bonhommé |
"Les travaux d’approche qui permettront le basculement du monolithe sur son piédestal avancent régulièrement. (L’ingénieur Jean-Baptiste Apollinaire) Lebas teste les uns après les autres les matériels que l’on va utiliser, s’assure de la bonne solidité des cordes, dispose les engins convenablement et ici à Paris, une particularité tout à fait exceptionnelle : les machines à vapeur remplaceront la force musculaire des hommes.
Durant toute la durée de l’édification du piédestal et de la rampe qui servira à l’ériger, l’obélisque et sa carcasse sont entreposés sur site sans aucune protection particulière et seul l’entretien ordinaire du bois et des fixations font l’objet de quelques visites. La découverte d’actes de vandalisme par martèlement du granit de l’aiguille va obliger les responsables à mieux protéger le monument. Une palissade en bois et un gardien veilleront à ce que de pareilles exactions ne se reproduisent plus.
Au cours de la deuxième quinzaine du mois d’octobre 1836, tout est prêt pour ériger l’aiguille. Des invités prestigieux seront conviés pour assister à l’événement. Louis-Philippe, qui a échappé récemment à deux attentats, assistera malgré les risques qu’il encourt à cette grandiose cérémonie.
Quelques incidents ont émaillé la répétition de l’opération. Une corde d’élévation de l’obélisque a été cisaillée et un funeste accident mortel pour un spectateur nommé Chatelain, artisan tailleur de vêtements, s’est produit : un treuil ayant été entraîné par le déroulement intempestif de son câble a été projeté avec violence sur les barrières d’enceinte où se pressent des milliers de spectateurs. L’érection finale devant avoir lieu le lendemain, pour pallier tout nouvel incident, une protection rapprochée de tous les éléments est mise en place.
Lithographie de Théodore Jung |
23 octobre 1836. Le jour à peine pointe-t-il qu’une foule nombreuse se presse sur l’esplanade de la Concorde, pour admirer le spectacle que tout le monde, aussi bien la presse que les particuliers, commente avec parfois de l’enthousiasme, parfois de la critique, quand ce n’est pas du mépris en raison du coût élevé de l’opération.
Tout est enfin prêt. On vient de refermer la cavité taillée dans le haut du piédestal où l’on a glissé un coffret en cèdre, contenant deux effigies de Louis-Philippe 1er, roi des Français, quelques pièces d’or et d’argent, ainsi qu’une dédicace rendant hommage à Apollinaire Lebas, ingénieur de la marine. La place de la Concorde que l’on avait envisagé de fermer est toutefois restée ouverte au public.
11 heures. L’on demande au public le plus grand silence pour qu’il n’y ait pas des interférences avec les ordres que va donner Apollinaire Lebas. Chacun à son poste est en alerte. 11 heures 30 précises : au son du clairon, l’opération est engagée. Avec douceur les treuils et les cabestans actionnés par 300 artilleurs se mettent en mouvement. Des poutres de bois craquent, des treuils grincent, des cordes se tendent ; la tension nerveuse de tous est palpable tant la peur d’échouer est grande. Au moindre craquement, Lebas s’inquiète, arrête la manoeuvre, en vérifie les causes, sonde en frappant à l’aide d’un maillet les pièces maîtresses de la charpente, puis, rassuré, reprend le cours de son levage.
14 heures 30 : avec douceur, soutenu en équilibre par la combinaison des treuils et des appareils de maintien du géant, l’obélisque, dans un dernier effort coordonné des engins, effectue une rotation sur sa base et se positionne debout sur son piédestal.
Louis-Philippe, émerveillé, se présente au balcon du ministère de la Marine (ancien garde-meuble royal). Il applaudit l’exploit, aussitôt suivi par des milliers de spectateurs qui l’imitent frénétiquement. L’enthousiasme est à son paroxysme lorsque le drapeau tricolore est hissé au sommet de l’aiguille par Labrie, un maître compagnon charpentier, et Morel, un matelot de première classe. Louis-Philippe invite Apollinaire Lebas à le rejoindre au ministère de la Marine et le convie le soir même à la réception officielle qu’il va donner aux Tuileries.
Les tractations entamées depuis plus de six ans par le baron Taylor et le préfet Mimaut sur les conseils de Champollion pour amener à Paris les obélisques égyptiens ont abouti. (...) Jour après jour, on débarrasse les équipements qui ont servi à l’érection de l’obélisque. L’aiguille est libérée de son corset de bois, les rampes sont démontées, la cale d’échouage est supprimée. Hittorff poursuit l’aménagement de la place. Ce qui inquiète maintenant, c’est la piteuse dégradation du pyramidion. L’architecte responsable de l’aménagement de la place tentera de pallier ce défaut en l’enduisant d’un mastic caoutchouteux, mais le remède se révélera pire que le mal et il faudra attendre le 14 mai 1998, plus de cent cinquante ans après, pour que, sous la présidence de Jacques Chirac, un pyramidion métallique doré à l’or fin de 3,548 mètres (de haut) soit mis en place."
Pour en savoir plus
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/06/le-voyage-de-lobelisque-louxorparis.html
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/10/anniversaire-de-lerection-de-lobelisque.html
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