mardi 15 septembre 2015

Un tramway nommé Pyramides


La route menant du Caire aux pyramides du plateau de Giza est construite en 1867, deux années avant l’inauguration du canal de Suez, pour faciliter le transport jusqu'aux célèbres monuments de l’impératrice Eugénie et des autres monarques ou dignitaires invités par le khédive Ismaïl à assister à l’un des événements majeurs de l’histoire moderne de l’Égypte.

Outre la calèche, proposée par le souverain à ses hôtes, les moyens de locomotion pour relier le Caire aux pyramides sont alors la bicyclette ou la voiture. À moins de faire le chemin à pied…

Une trentaine d’années plus tard, à l’instigation de la Société Générale des Chemins de Fer économiques et du Baron Empain, un"réseau de transports de masse, rappelle André Raymond, transforme progressivement les axes principaux de la capitale égyptienne, avec la mise en place de lignes de tramways pour assurer les communications intérieures et les jonctions avec les banlieues de Boulac, ‘Abbassiya, Choubra, Embâba... 

Rapidement, en 1897, la destination du plateau de Giza est inscrite dans la planification de ces travaux, pour les "visiteurs" des pyramides bien sûr, mais également pour les clients du célèbre hôtel restaurant Mena House. Avec une conséquence de première importance en matière d’urbanisme : "Le gouvernement égyptien, lit-on dans la revue “Gil Blas du 5 février 1897, vient d'autoriser la Compagnie des tramways du Caire à créer une ligne spéciale aboutissant aux Pyramides ; le canal Khalig qui traverse la ville serait comblé, et sur son emplacement serait construite la ligne qui permettra aux touristes d'aller, moyennant une correspondance, visiter la demeure mortuaire des Pharaons. On atteindra ainsi un double résultat, non moins excellent pour l'hygiène des populations que pour l'agrément des étrangers, car ce canal est empoisonné de miasmes qui entretiennent dans ces régions la malaria permanente : la maladie disparaîtra avec ce foyer d'infection. Il n'y a qu'à s'applaudir des heureuses audaces du progrès scientifique, grâce auquel les lieux historiques du globe sont si confortablement aménagés et reliés par des voies de communication si commodes aux centres de la civilisation.

Le tramway des pyramides voit donc le jour. Quand est-il été inauguré ? L’année 1900 est souvent mentionnée, mais il semble bien que ce soit un peu auparavant, si nous nous référons à ce que nous lisons dans "Le Journal des transports : revue internationale des chemins de fer et de la navigation", dans son édition du 25 novembre 1899. Cette publication apporte les précisions suivantes : "La ligne part de l'extrémité ouest du pont Kasr-el-Nil, longe la rive du fleuve sur une longueur de 3 kilomètres environ jusqu'à Gizeh pour gagner ensuite à l'ouest les pyramides du même nom à une douzaine de kilomètres. La ligne est à simple voie avec deux fils pour trolley, supportés par des poteaux. Les voitures, faites en Belgique, offrent 28 places assises ; une voiture automotrice, avec moteur Westinghouse, remorque deux wagons à 48 kilomètres à l'heure. Le trajet du Caire aux pyramides s'effectue en 14 minutes, mais le voyage aller et retour dure généralement une heure. Les mécaniciens et les conducteurs sont des arabes."

Des détails relatés ci-dessus font l’objet de variantes. "L'Ingénieur civil", en date du 10 avril 1899, mentionne tout d’abord que  : "les voitures de 1e classe sont construites à Alexandrie". Par ailleurs, au vu de telle ou telle photo d’époque, il apparaît que la "ligne à simple voie" a été ultérieurement doublée. Les horaires surtout donnent lieu à diverses lectures, l’aller-retour Le Caire-Pyramides prenant, au choix, de 40 minutes - version optimiste - à une heure, voire plus. Mais qu’importe ! "Nous nous sommes rendus aux pyramides de Gizeh en tramway. Nous avions pris toute une voiture, de sorte que nous jouissions des charmes de la conversation sans avoir l'ennui des voisins", écrit le baron Du Gabé en 1902, tellement séduit par : "l'extrême civilisation dans ses manifestations les plus nouvelles, et les magnificences du passé dans ses témoins les plus anciens" qu’il confond tramway électrique et tramway à vapeur.

Cet enthousiasme est partagé par Amédée Baillot de Guerville (1868-1913), lorsqu’il écrit dans "La nouvelle Égypte" en 1905 : "Il n’y a pas en ce monde route plus délicieuse que la large et belle avenue qui relie le Caire aux pyramides de Gizeh, construites à l’entrée du désert. Elle a une longueur d’une dizaine de kilomètres et est bordée de chaque côté de superbes et immenses arbres. L’animation y est grande à toutes les heures. Le matin, ce sont les cavaliers et les amazones ; les ânes, les mulets et les longues files de chameaux allant ou revenant du marché. L’après-midi, tout le Caire élégant s’y promène en voiture ou en automobile, et à gauche un tramway électrique apporte sa note moderne, criarde et monotone."

En quelle année le tramway des Pyramides cesse-t-il de fonctionner ? Nous devons le seul élément de réponse à notre disposition à un ami, cairote de longue date : "Mes seules informations, nous écrit Albert Arié, sont celles d'un usager, avant la guerre. Il s'agissait d'un tramway blanc dont les rails se trouvaient au milieu de la route des Pyramides. La dernière station se trouvait en face du Mena House. Je ne me souviens pas où débutait la ligne. Ma famille possédait une auto et moi même, j'ai commencé à conduire en 1950. Donc, je me contentais de regarder le tramway. Le paysage était diffèrent de celui de nos jours : des champs verdoyants des deux cotés de la route et de rares habitations, surtout des villas, puis le Studio Misr et les boîtes de nuit, dont la célèbre Auberge des Pyramides. Si mes souvenirs sont bons, le tramway était en circulation jusqu'en 1953. En 1964, il avait disparu ainsi que les champs, remplacés par des immeubles, des hôtels et des boîtes de nuit."

En dépit du flou qui demeure sur certains détails de son histoire, le tramway qui : "transportait sans fatigue jusqu’à l’entrée du désert" avait assurément l’avantage de joindre l’utile à l’agréable. Et peut-être, en prêtant bien l’oreille, peut-on percevoir encore, transperçant l’oubli des ans, sa  : "sirène particulière à haut timbre pour avertir, disait-on, les bufflesses et autres animaux qui traversaient les rails"...

Marc Chartier

sources :
http://www.aucegypt.edu/research/ebhrc/news/Documents/HeliopolisbyDinaKh.Hussein_LinaAtallah.pdf
http://books.openedition.org/iremam/806?lang=fr
http://sharobim1.blogspot.fr/2011/12/le-tramway-des-pyramides-la-fin-du.html
http://www.menahousehotel.com/history.html
http://www.ngaiopress.com/sw-sphnx.htm

2 commentaires:

  1. La revue tramania publiera en 2018, dans ses numerous de mars et juin, l'histoire Presque complète du tramway des Pyramides en 40 pages, moitié texte, moitié plans et illustrations... Seule la date de fermeture de la ligne reste un point d'interrogation, à deux mois près www.tramania.com

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  2. Une histoire complète du tramway des pyramides, basée sur les archives de la société belge, est en cours de publication dans la revue Tramania. www.tramania.com

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