Le visage, parfaitement symétrique, est d'une beauté grave. Les yeux sont grands, presque trop pour son visage d'adolescente… … mais cet immense regard à la langueur solennelle n'est-il pas ce qui caractérise les portraits du Fayoum ?
La pupille est large et sombre, presque noire, l'iris a des reflets brun-noisette. Sous le blanc de l'œil, deux traits inégaux, légèrement argentés, suggèrent un début de larme ou une tristesse sous-jacente. Les cils, soigneusement "individualisés", minutieusement séparés, sont soulignés d'un trait de khôl … Les sourcils sombres et fournis sont en accent circonflexe.
Le nez est bien proportionné et son arrête a été légèrement appuyée par un trait de peinture blanche.
La bouche est joliment dessinée avec des lèvres charnues, presque gourmandes d'un rose tendre. Le doux modelé de la lèvre supérieure est ourlé d'un fin trait clair qui en affine le contour. Juste au-dessus, une petite tache de peinture blanche marque le centre des sillons qui relient le nez aux lèvres.
La carnation, délicate et tendre, est légèrement rehaussée de rose poudré au niveau des pommettes, ce qui vient accentuer l'ovale admirable du visage.
Les cheveux bruns, séparés par une raie médiane, sont attachés sur la nuque où se distinguent deux retombées d'un nœud ou d'un ruban. Sur le front pur, une multitude de petites boucles sont soigneusement arrangées, allant jusqu'à recouvrir une partie des oreilles.
Sa tête est ceinte d'une jolie couronne végétale dont les feuilles s'harmonisent en un subtil camaïeu de vert de gris et d'argent. Quelle en est signification exacte ? Est-ce le symbole de la jeunesse, de la pureté, de la noblesse liée à son rang ?
Elle est vêtue d'une tunique claire, entrecroisée et recouverte d'un manteau structuré par des traits de peinture blanche, parfois diffus, parfois géométriques, qui donnent ainsi l'illusion de la transparence et de la légèreté de l'étoffe.
Sur les bords du vêtement, et sur les drapés, les rayures sont rendues par des coups de pinceau qui alternent blanc et beige. Sur l'épaule droite se trouve un clavi, rouge sombre, incarnat qui semble avoir la douceur du velours.
Cette jeune fille, qui a vécu dans le Fayoum au cours du Ier- IIe siècle ap. J.-C., que lui est-il arrivé ? De quoi a-t-elle souffert pour être aussi jeune enlevée à l'affection des siens ?
Elle appartenait très certainement à une classe aisée, car seuls les plus fortunés pouvaient s'offrir des rituels funéraires de qualité.
A cette époque, après avoir été grecque, l'Egypte est devenue romaine … et cosmopolite : égyptiens, grecs et romains, se mêlent … Les nouveaux "maîtres du pays" ont adopté les coutumes funéraires de l'Egypte pharaonique, comme le précise le musée où ce portrait est exposé : "Même pendant la période de domination grecque et romaine en Égypte, les anciennes coutumes funéraires du temps des pharaons n'étaient pas abandonnées. Les morts ont continué à être embaumés et à reposer sous forme de momies. Cependant, un nouvel élément a été introduit: un portrait très fidèle du défunt, peint sur un panneau de bois, était parfois enfermé avec le corps momifié".
Exécuté du vivant du modèle, le portrait était, lors de la momification, placé sur le visage du défunt (ou parfois déposé tout à côté). Il arrive qu'il soit peint sur une toile de lin, mais le support est, le plus souvent, une planche de bois (tilleul, figuier, cèdre ou sycomore) qui a été préalablement lissée et enduite. L'esquisse est ensuite tracée en rouge ou en noir. "Puis le portrait était réalisé au moyen de pigments minéraux et végétaux liés avec de la cire chauffée (encaustique), ce qui permet un travail lent et minutieux se traduisant par de petites touches rapprochées pour le visage, le cou et la coiffure, le vêtement étant en revanche traité à larges coups de brosse" ("Portraits de l'Egypte romaine", RMN, 1998)
La "détrempe" qui utilise un liant à base de gomme végétale est également utilisée. "Elle donne un caractère plat et graphique au portrait et traduit le modelé par un réseau de fines hachures entrecroisées." Parfois, les deux techniques sont conjuguées à bon escient par le peintre. Les couleurs généralement utilisées sont le blanc, le noir, le rouge, deux ocres. La feuille d'or est souvent appliquée, parfois dans les cheveux, parfois en couleur de fond et toujours pour rendre l'éclat des parures et bijoux.
Dans le cas présent, l'or n'est pas utilisé. Notre modèle ne porte aucun bijou et sa couronne n'est pas, comme parfois, recouverte de la précieuse couleur : est-ce en raison de son jeune âge?
Le portrait est peint "à l'encaustique", sur une planche de sycomore d'une hauteur de 35,5 cm qui, malgré ses près de 2000 ans, n'a pas souffert, conservant ainsi au visage son éternelle jeunesse ... Il continue ainsi à nous émouvoir par sa beauté, sublimée par le mystère indescriptible de ce regard lointain...
Il est exposé au musée Liebieghaus de Frankfurt-am-Main sous le numéro d'inventaire 205.
marie grillot
sources :
Mummy portrait of a girl
https://www.liebieghaus.de/en/antiquity
Portraits de l'Égypte romaine, Musée du Louvre, Réunion des Musées Nationaux (RMN), 1998
Jean-Christophe Bailly, L'apostrophe muette - Essai sur les portraits du Fayoum, Hazan, Paris, 1999
Portraits de femmes en Egypte, il y a 1800 ans, Musée du Louvre
http://museumlab.fr/exhibition/06/about.html
John Berger, Des siècles après, ces regards sont toujours vivants, Enigmatiques portraits du Fayoum, Le Monde diplomatique, janvier 1999
http://www.monde-diplomatique.fr/1999/01/BERGER/11510
Susan Walker, Morris Bierbrier, Ancient Faces : Mummy Portraits from Roman Egypt, British Museum Press, Londres, 1997
https://books.google.fr/books?id=t9RM6G-nHOoC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
https://www.jstor.org/stable/24519312
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