Jean-François Champollion est universellement connu, mais que sait-on de son frère, Jacques-Joseph Champollion-Figeac ? Sans son affection, sans sa présence, sans son attention, sans ses relations, sans son écoute, sans son dévouement, Jean-François aurait-il pu accomplir son grand dessein ? Aurait-il pu avoir en mains tous les éléments lui permettant d'arriver au déchiffrement ?
Jacques-Joseph Champollion voit le jour à Figeac, dans le Lot, dans la haute bâtisse de pierre, à la lourde porte de chêne que ses parents viennent d'acquérir rue de la Boudousquerie (rebaptisée rue Champollion en 1831). Le père, Jacques Champollion, est un colporteur dauphinois qui a épousé, le 28 janvier 1773 Jeanne Françoise Gualieu, une "figeacoise", assez aisée issue d'une famille de tisserands.
"Je suis né le 6 ou 7 octobre 1778 dans l'après-midi. Ma mère accoucha sans le secours d'aucun chirurgien et presque seule. Ma petite corpulence et la faiblesse que je laissais paraître diminua amèrement le plaisir que ma naissance avait procuré à des parents qui jusqu'alors sans héritier mâle, s'en voyaient un qui ne leur promettait pas une grande prospérité" écrira-t-il dans "Les vingt premières années de ma vie".
Il est le 4ème d'une fratrie de sept, Jean-François, le cadet naîtra douze années plus tard. Il en sera le parrain, le prendra sous sa coupe, se substituant au père…
Il va à l'école communale, puis, lorsque dans le chaos de la révolution, les cours cessent, il est instruit par l'abbé Calmels. A 16 ans, il entre dans l'administration, au bureau de la correspondance du district de Figeac.
Jacques-Joseph Champollion-Figeac (Figeac, 6 octobre 1778 - Fontainebleau, 9 mai 1867) archéologue, historien
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Bonapartiste, il s'intéresse à l'Egypte et aspire, en 1798, à faire partie de la campagne d'Egypte. Sa candidature ne sera pas retenue. Il en ressent une amère déception mais son souhait de changer de vie est bien présent. Il décide alors de partir pour Grenoble où il devient commis dans l'affaire de vins tenue par ses cousins, la "Maison Chatel, Champollion et Rif".
La séparation des deux frères semble difficile, surtout pour Jean-François qui vit très mal le départ de son aîné. Ils échangent de nombreuses et affectueuses lettres, puis, en mars 1801, Jacques-Joseph décide de le faire venir près de lui afin de surveiller et d'orienter sa scolarité.
Jacques-Joseph Champollion-Figeac (Figeac, 6 octobre 1778 - Fontainebleau, 9 mai 1867) archéologue, historien Tableau de Victorine-Angélique-Amélie de Rumilly exposé au Musée de Vif dans l'Isère |
En trois ans, l'ascension sociale de Jacques-Joseph a été rapide et impressionnante. Son envie de savoir, sa soif de réussite, son aisance à se rapprocher de personnes influentes, et très certainement son intelligence et sa sociabilité, lui ont permis de prendre place dans la bonne société grenobloise. A son nom, il a adjoint celui de sa ville de naissance, devenant ainsi Champollion-Figeac. Il s'est perfectionné en lettres anciennes, en archéologie et a commencé à se constituer une très belle bibliothèque. En 1802, l'arrivée de Joseph Fourrier - célèbre physicien et mathématicien qui revient de la campagne d'Egypte - comme préfet de l'Isère sera, d'une certaine façon, ce qui façonnera le destin des deux frères. Très vite, Fourrier apprécie Jacques-Joseph au point d'en faire, dès 1803 son "bras droit", lui confiant de nombreuses responsabilités. Il rend hommage à "son goût éclairé pour les monuments" et le charge de veiller "à la conservation des inscriptions anciennes de la ville". Il devient également secrétaire de la Société des Sciences et des arts de Grenoble, puis bibliothécaire adjoint de la ville. Fourrier l'associe à son travail de rédaction de la préface de la Description de l'Egypte. Les deux frères sont ainsi amenés à percevoir de multiples et intéressantes informations sur ce pays qui déjà leur est cher.
Dans l'interview qu'elle nous a consacrée en janvier 2016 concernant ses travaux sur les archives des Frères Champollion, Karine Madrigal nous confiait : "Je pense que Jacques-Joseph a pressenti l’immense potentiel de son frère dès le début et l’étude de sa correspondance montre qu’il va très tôt s’informer sur les recherches liées au déchiffrement des hiéroglyphes et l’étude de la Pierre de Rosette. N’oublions pas que c’était un helléniste et qu’il avait travaillé à la traduction de la partie grecque de la Pierre de Rosette. Pressentant, comme d’autres, que cet objet serait peut-être la clé du déchiffrement, il va inciter son frère à travailler dessus. Sur les conseils de Dom Raphaël, un moine copte revenu d’Égypte avec l’expédition de Bonaparte, Jean-François Champollion va apprendre le copte. Jacques-Joseph Champollion, grâce à ses connaissances et ses relations, fournira à son frère différentes copies de la Pierre de Rosette et autres textes égyptiens pour ses travaux. La correspondance entre les deux frères montre que l’aîné suivait de très près les progrès de son frère, qu’il l’encourageait et parfois, lorsque cela était nécessaire, le remettait dans le droit chemin". Jean-François apprendra également l'hébreu, l'arabe le syriaque, le chaldéen...
La découverte de la collection "d'antiques" rapportée par Fourrier constituera leur première approche réelle et palpable de l'art pharaonique.
Le 1er juillet 1807, Jacques-Joseph épouse un "bon parti", Zoé Berriat fille du président du Conseil des avoués grenoblois et soeur du futur maire. Elle apporte, dans sa dot, la belle propriété de Vif, à 17 km de là, qui deviendra la maison familiale (elle sera acquise en 2001 par le Conseil Général de l'Isère pour en faire un musée inauguré le 4 juin 2021).
La même année Jean-François part à Paris pour y intégrer le Collège de France et l'Ecole des Langues Orientales, mais il ne s'y plaît pas…
"Jacques-Joseph alors bibliothécaire-adjoint à la Bibliothèque de Grenoble, professeur de littérature grecque et secrétaire général de la faculté des lettres de la ville, décide de le faire nommer auprès de lui. Jean-François devient donc, à 18 ans, professeur adjoint d'histoire ancienne. Dès janvier 1810, les deux frères sont nommés par décret, docteurs es lettres" ("Correspondances - Figeac et les Frères Champollion", Karine Madrigal).
Jacques-Joseph Champollion-Figeac (Figeac, 6 octobre 1778, Fontainebleau, 9 mai 1867), archéologue historien
par Victorine-Angélique-Amélie de Rumilly - XIXe siècle - Musée de Vif (Isère)
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En 1815 : "Jacques-Joseph est nommé rédacteur du Journal de l'Isère ; secrétaire à l'assemblée générale des députations des collèges électoraux présidée par Jean-Jacques Régis de Cambacérès" précise Muriel Barbier dans la notice de l'Inha qui lui est consacrée. Elle indique en outre, qu'il : "édita plusieurs textes historiques sur le Dauphiné et l'Isère et devint rédacteur des Annales de l'Isère. Sa production littéraire reflète la dispersion de ses curiosités : dans le Magasin encyclopédique, il publia des articles sur l'épigraphie latine, l'archéologie médiévale et la bibliophilie. Lorsque le ministre de l'Intérieur s'adressa aux préfets pour collecter les patois, Fourier le chargea de cette mission qui aboutit aux Nouvelles Recherches sur les patois ou idiomes vulgaires en France et en particulier sur ceux du département de l'Isère. Il développa alors ses curiosités pour la dialectique, la toponymie et la lexicologie".
En 1816, les convictions politiques des deux frères les contraignent à l'exil ; assignés à résidence à Figeac, ils le passeront, studieusement, ensemble. Jacques-Joseph y apprendra qu'il a été destitué de ses fonctions.
Il est peu de dire que, politiquement, Jacques-Joseph aura été "instable"… Ou convient-il de dire qu'il aura été versatile, ou mieux opportuniste ? Bonapartiste de la première heure, il devient royaliste en 1814 et sera même décoré de la "fleur de lys" ce qui ne l'empêchera pas de devenir secrétaire de Napoléon à son retour de l'Ile d'Elbe.
En 1817, fin de leur exil, il devient l'homme de confiance de M. Dacier, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. "Il ne s'agit pas d'un brusque 'coup de foudre' entre Dacier et l'exilé du Quercy … Il s'agit plutôt d'un phénomène de séduction réciproque de deux charmeurs Nous avons mesuré déjà le pouvoir de séduire qu'avait l'aîné des Champollion. Son nouvel ami, l'illustre et vénérable Dacier, ne disposait pas d'un meilleur atout" analyse avec pertinence Jean Lacouture.
Lettre à M. Dacier relative à l'alphabet des hiéroglyphes phonétiques... / par M. Champollion le jeune
Auteur : Champollion, Jean-François (1790-1832). Date d'édition : 1822-1833
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Cette relation sera extrêmement bénéfique à Jean-François. Le 22 septembre 1822, une semaine après s'être écrié "Je tiens mon affaire", il écrira la célèbre "Lettre à M. Dacier" dans laquelle il exposera son extraordinaire découverte. Elle lui ouvrira la voie vers la renommée que l'on connaît et, six ans plus tard la route vers l'Egypte.
En 1828, alors que Jean-François, de temple en temple s'émerveille que son déchiffrement fonctionne, Jacques-Joseph prend le poste prestigieux de conservateur des manuscrits à la Bibliothèque Royale à Paris, tout en étant professeur de paléographie à l'Ecole des Chartes (deux postes que la révolution de 1848 lui fera quitter).
Le 4 mars 1832, il a l'immense douleur de perdre son frère. La phtisie, le diabète, le surmenage ont tant affaibli Jean-François qu'en décembre 1831, il a dû arrêter ses cours au collège de France. Jacques-Joseph est resté à ses côtés et ils ont travaillé, ensemble à "sa" grammaire. Avant de perdre conscience, Jean-François aura le temps de lui dire :"Je veux être enterré au Père-Lachaise, près de Fourier, "l'ami, l'initiateur". C'est le coeur brisé que Jacques-Joseph dira adieu à celui qui "avait été plus que sa propre existence". De sa naissance à Figeac, à sa mort prématurée à Paris, il l'a aimé, choyé, porté, accompagné, aidé, épaulé. Il aura à cœur de perpétuer sa mémoire et publiera ses œuvres posthumes, notamment la "Grammaire égyptienne", le "Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique" et les "Monuments de l'Égypte et de la Nubie"...
Jacques-Joseph Champollion-Figeac (Figeac, 6 octobre 1778, Fontainebleau, 9 mai 1867), archéologue, historien
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En 1849, il est nommé bibliothécaire du château de Fontainebleau, poste qu'il perdra, ensuite, victime de sombres accusations ... Puis, en novembre 1852, Napoléon III lui propose le poste de conservateur du Palais de Fontainebleau.
Il meurt le 9 mai 1867 à l'âge de 89 ans.
Sa vie a été pleine et riche, jalonnée de beaux succès et de douloureux revers dictés par l'Histoire et ses engagements politiques ... Mais ce que son parcours révèle, par dessus tout, c'est que cet homme a accepté de vivre dans l'ombre d'un être de lumière, un être qu'il a, d'une certaine manière, nourri et façonné ... Une ombre qu'il convient de lever ...
marie grillot
sources :
Jean Lacouture, Champollion, une vie de lumières, Grasset, 1988
Karine Madrigal, Correspondances - Figeac et les Frères Champollion, Musée Champollion, Ville de Figeac, 2016
Karine Madrigal : des archives pour mieux connaître les frères Champollion, interview d'Egypte-actualités, janvier 2016
https://egyptophile.blogspot.com/2016/01/karine-madrigal-des-archives-pour-mieux.html?q=madrigal
CHAMPOLLION-FIGEAC, Jacques-Joseph (5 octobre 1778, Figeac - 9 mai 1867, Fontainebleau)
http://www.inha.fr/fr/ressources/publications/dictionnaire-critique-des-historiens-de-l-art/champollion-figeac-jacques-joseph.html
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