dimanche 13 septembre 2015

Robert Solé présente son dernier roman


"Hôtel Mahrajane" : tel est le titre du nouveau roman de l’écrivain et journaliste français, d’origine égyptienne, Robert Solé. À paraître très prochainement (1er octobre 2015) : éditions du Seuil, 272 pages.

Nous introduisant dans les coulisses à la fois de cet hôtel de charme (l’un des joyaux de Nari, une ville de la Méditerranée, une "Alexandrie imaginaire", où se côtoient différentes communautés) et de son roman, Robert Solé nous fait l’honneur et l’amitié de nous présenter - en exclusivité pour “Égypte actualités” - la genèse de ce nouvel ouvrage.

Qu’il en soit très cordialement remercié.

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Égypte actualités : Votre dernier livre était une biographie de Sadate, parue chez Perrin. Vous revenez donc au roman.

Robert Solé : Oui, j’aime bien alterner essais et fiction. Un roman est toujours une aventure, excitante, passionnante… et épuisante. Tandis qu’un récit historique ou une biographie, même s’ils supposent beaucoup de recherches, permettent d’avancer en terrain plus sûr, en sachant à peu près la valeur de ce que l’on écrit. 

ÉA : L’hôtel Mahrajane a-t-il existé ?

RS : À force de le fréquenter, je finis par me le demander… Non, c’est un hôtel imaginaire, comme d’ailleurs Nari, ce petit port arabe de la Méditerranée dont il est l’un des joyaux. Mais j’y pense depuis trop longtemps pour admettre que ce bâtiment blanc aux volets lavande, entouré d’un parc magnifique, n’a pas existé. J’ai eu le temps d’en explorer les moindres recoins, de la buanderie au bar de la piscine, en passant par le salon anglais et les cuisines. Pour tout vous dire, les premières lignes de ce roman ont été écrites il y a près… d’un demi-siècle. En août 1966 précisément. J’avais 19 ans. Une douzaine d’années plus tard, j’ai repris cette ébauche et rédigé quelques chapitres. Mais ils ne me satisfaisaient pas, et le manuscrit est resté dans un tiroir. Par la suite, c’est en décidant de choisir comme cadre une Égypte bien concrète que j’ai pu écrire "Le Tarbouche". Avec "Hôtel Mahrajane", j’ai fait le chemin inverse : je suis passé d’un cadre précis à une ville imaginaire, sur mesure, qui me permettait de parler plus librement et de tout dire.

ÉA : Donc, ce manuscrit était resté en souffrance…

RS : Oui. Mais, l’ayant relu il y a quelques années, il m’a beaucoup touché. J’ai alors tout repris, depuis le début, en donnant à cette histoire une autre dimension, même si certains personnages ont conservé leur nom et parfois leurs manies. Autrement dit, ce sixième roman - après "Le Tarbouche", "Le Sémaphore d’Alexandrie", "La Mamelouka", "Mazag” et "Une soirée au Caire" - est en quelque sorte mon premier roman.

ÉA : Nari se trouve en Égypte ?

RS : Ce n’est pas précisé dans le livre. Certains y verront une petite Alexandrie. Disons que c’est une ville cosmopolite, au bord de la Méditerranée, séparée de la capitale par un désert. Musulmans, chrétiens et juifs y cohabitent paisiblement à tous les étages de la société, mais avec des limites. Les amours entre personnes de communautés différentes ne vont pas jusqu’au mariage, sauf à provoquer des drames. La mixité s’arrête au pied du lit conjugal.

ÉA : Et le pouvoir politique ?

RS : Il est incarné par un gouverneur tout-puissant, auquel toute entreprise d’une certaine importance doit graisser la patte. Le Mahrajane n’y échappe pas. 

ÉA : Comment avez-vous "construit" cet hôtel ?

RS : Il est d’abord né de mes souvenirs d’enfant et d’adolescent en Égypte. Je l’ai ensuite "repeint", si je puis dire, en fonction de mes expériences d’adulte. C’est un hôtel de charme, aux murs blancs et aux volets lavande, doté d’une plage privée, qui a contribué à la notoriété de la ville. On prête ce mot à une vieille habituée : "Je ne viens pas au Mahrajane pour visiter Nari, je viens à Nari pour loger au Mahrajane." Depuis la mort du fondateur, c’est son gendre, Haïm Lévy-Hannour, qui dirige l’établissement, aux côtés de sa séduisante épouse, Nissa. La bonne société de Nari en a fait une sorte de club. Le Mahrajane accueille en été des bourgeois de la capitale, qui viennent se réfugier au bord de la mer pour fuir la canicule. Le reste de l’année, les chambres sont surtout occupées par des touristes étrangers qui font généralement deux haltes à Nari : la première, à leur descente de bateau, avant de visiter les sites archéologiques du pays ; la seconde, plus longue, à la fin de leur séjour, pour se reposer les jambes et les yeux avant de regagner l’Europe ou l’Amérique. 

ÉA : Qu’y a-t-il à voir à Nari ?

RS : Pas grand-chose, à part le fortin arabe et le petit temple grec aux trois quarts détruit, dont le succès tient surtout à l’absence d’autres vestiges antiques. Les touristes y passent un temps excessif, s’ingéniant à lui trouver mille mérites, comme pour justifier leur séjour sur place. "Ces Occidentaux m’étonneront toujours", marmonne un membre de la famille du narrateur. À défaut de monuments, Nari bénéficie d’une alchimie particulière que les visiteurs perçoivent sans pouvoir la définir. “C’est l’air que l’on respire”, a déclaré un Hollandais de passage, incapable de préciser davantage sa pensée. Faute de mieux, la ville est qualifiée de “petit Paris”. Pour rire, on inverse la proposition, disant que : "si Paris avait la mer, ce serait un petit Nari". 

ÉA : Et la famille du narrateur ?

RS : Elle vit au rythme des déjeuners dominicaux, autour de quatre tantes célibataires, dans un décor d’un autre siècle. L’une d’elles, Zouzou, n’en finit pas de raconter son bref voyage en France, en 1937, le grand événement de sa vie, un récit qui embellit au fil des versions successives. La famille est divisée entre ceux qui ont les moyens de fréquenter le Mahrajane et les autres. L’oncle Louca, lui, y a ses entrées par la porte de service. Il livre des boissons à l’hôtel, en attendant de créer sa propre eau gazeuse, qualifiée de révolutionnaire. 
Le dimanche, à table, au milieu des rires et des cris, ce personnage fantasque, adoré des enfants, révèle une partie des secrets de l’hôtel. 
Le narrateur, à son tour, en découvrira d’autres, avant d’y faire une rencontre bouleversante. 

ÉA : Tout cela se passe à quelle époque ?

RS : Le Mahrajane a été fondé en 1909. Son livre d’or porte les signatures de quelques vedettes, comme Joséphine Baker, ou quelques futures célébrités comme Tino Rossi qui n’avait pas encore enflammé la Méditerranée avec “Tchi-Tchi”. Mais la page la plus précieuse est manquante… Une Buick Special, modèle 1936, a remplacé le fiacre des origines pour aller chercher les clients au port ou à la gare ferroviaire. Plusieurs employés font partie de la légende de l’hôtel, comme Ahmad La Gazelle, le coursier, ou M. Alex, le réceptionniste en chef, qui a réponse à tout. Le Mahrajane compte des habitués, sûrs de retrouver la même chambre avec un décor de leur choix, et même un client à demeure, qui y loge avec chien et canari. Les premiers souvenirs du narrateur remontent au milieu des années 50. Cet éden interdit deviendra pour lui un terrain de jeux, puis le cadre de ses premières amours. 

ÉA : Et ensuite ?

RS : Le Mahrajane est tributaire des bouleversements politiques et religieux qui affectent la région. Il connaîtra des transformations successives, jusqu’au feu d’artifice final… En perdant une partie de ses habitants, Nari perd une partie de son âme. Ceux qui restent s’adaptent plus ou moins bien aux événements. On verra, entre autres, le gouverneur, ce grand amateur de whisky, bien en chair, ne plus jurer que par le Coran et se livrer à d’innombrables pèlerinages, jeûnes et prières, pour suivre le vent qui a tourné. Son homme à tout faire, l’inquiétant “docteur” Ezzedine, prendra la fuite lors d’une révolution aux lendemains incertains. Je crois qu’il court toujours…

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Photo Marie Grillot


Le parcours de Robert Solé

Né au Caire le 14 septembre 1946.
Études au Lycée franco-égyptien d’Héliopolis, puis au Collège des Pères jésuites du Caire. Baccalauréat franco-égyptien, puis baccalauréat français à Notre-Dame de Jamhour (Liban).
Arrive en France en 1964, à l’âge de 18 ans. École supérieure de journalisme de Lille.
De 1967 à 1969, rédacteur au quotidien "Nord-Eclair", à Roubaix. En 1969, entre au journal "Le Monde", à Paris.
Rédacteur à la rubrique religieuse, puis correspondant à Rome (1974-80), correspondant à Washington (1980-83), chef du service Société (1983-89), rédacteur en chef (1989-92) et directeur adjoint de la rédaction (1992-98). De 1998 à 2006, médiateur du journal "Le Monde". De 2007 à 2011, directeur du supplément littéraire du journal, "Le Monde des livres". De 2006 à 2011, Robert Solé a signé un billet quotidien en dernière page. Il a publié son dernier billet dans le journal "Le Monde" le 28 février 2011.
Il est l’auteur de 16 essais et 6 romans.

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