Victor Loret est né le 1er septembre 1859 à Paris. Après avoir fait l'École pratique des hautes études de Paris, où il est l'élève de Gaston Maspero, il est de 1881 à 1885, membre de la Mission archéologique française au Caire. En 1886, il revient en France et rejoint l'université de Lyon où une section d'archéologie égyptienne est créée pour lui. Il y enseigne pendant 10 ans. En 1897, au départ de Jacques de Morgan, il est appelé en Égypte afin de lui succéder à la direction du Service des antiquités. Il y reste deux ans, avant de reprendre ses cours à Lyon.
En cette date anniversaire de la naissance de cet éminent égyptologue, Patrizia Piacentini, titulaire de la chaire d’égyptologie à l’Université de Milan depuis 1993, a accepté de répondre aux questions d'"Égypte actualités". Elle nous aide ainsi à mieux cerner cette personnalité marquante qu'elle connaît particulièrement bien.
Égypte actualités : À sa mort, le 3 février 1946 à Lyon, une partie des archives et collections de Victor Loret est versée à la bibliothèque de l'Université de Lyon alors que l'autre est léguée à l'un de ses élèves, Alexandre Varille, qui trouve la mort peu de temps après. En 2000, ses héritiers vendent à Ars Libri, une librairie antiquaire américaine, qui revendra en 2002 à l'université de Milan. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce "Fonds Loret" ?
Patrizia Piacentini : Depuis 1999, j'ai mené une politique d'acquisition de fonds anciens pour l'Université de Milan, où je suis professeur d'égyptologie depuis 1993. Je visais la création d'une grande bibliothèque sur l'Égypte ancienne destinée à mes étudiants et aux chercheurs. Nous avons ainsi acheté chez Ars Libri la grandiose bibliothèque et les archives privées d'Elmar Edel, célèbre égyptologue allemand.
En 2001, nous avons acheté chez eux tous les livres de la bibliothèque d'Alexandre Varille, surtout anciens et rares, qui manquaient dans les fonds précédents. Quand les archives du même égyptologue, qui contenaient aussi les archives de son Maître Loret, ont été mises en vente, nous avons tout de suite montré notre intérêt. Après un an, du fait qu'aucune institution française ne les avait achetées, une licence d'exportation a été accordée à Ars Libri, et nous avons pu les acquérir.
Déjà à un premier regard, nous nous étions aperçu de leur importance extraordinaire pour notre discipline, ainsi que pour l'histoire de la science et l'histoire des relations entre la France, l'Europe et l'Égypte. Par la suite, de nombreux autres fonds ont été achetés ou nous ont été donnés. Notre centre d'archives égyptologiques est devenu, en quinze ans environ, l'un des plus importants au monde.
ÉA : De quoi est constitué le "Fonds Loret" ? Manuscrits, lettres, relevés, études, dessins, carnets de notes, photos, aquarelles ? Est-ce qu'il reflète les multiples centres d'intérêt de Loret : botanique, faune, flore, minéralogie, religion, littérature, et musique bien sûr ?
PP : Oui, exactement. Loret était une personnalité très forte, aux multiples centres d’intérêt. Parmi les documents les plus intéressants, on doit ajouter ses carnets de fouilles, avec de nombreuses photographies et des dessins, plusieurs textes préparatoires pour ses cours, une très riche correspondance avec les égyptologues de son temps.
Loret était archéologue mais aussi un très bon philologue : nous avons ainsi trouvé dans ses archives des centaines de fiches lexicographiques qui devaient servir à la rédaction d'un grand vocabulaire égyptien-français, qui ne fut toutefois jamais publié car, entre-temps, le grand "Wörterbuch" égyptien-allemand avait été publié.
ÉA : Sur quelle partie et quelle période de la vie de Victor Loret ses archives apportent-elles la lumière ? Son expérience de terrain sur les chantiers de fouilles ? Ses années d'enseignement à Lyon ?
PP : Les archives de Loret couvrent toutes ses activités, depuis son premier voyage en Égypte avec Maspero en 1881 jusqu'à sa mort. Ses journaux de voyage sont particulièrement intéressants : ils commencent avec son départ de Marseille en janvier 1881, l'arrivée au Caire, ses déplacements en Égypte avec la description de nombreux sites...
La description détaillée du Musée de Boulaq, accompagnée de dessins et copies d'inscriptions, est très importante pour l'égyptologie.
Nous publierons dans les prochaines années ces deux ensembles de documents. Par contre, nous avons publié il y a une dizaine d'années ses journaux de fouilles dans la Vallée des Rois, qui nous fournissent des nombreux renseignements sur sa façon très scientifique de procéder dans ses découvertes : la tombe de Thoutmosis III, d'Amenhotep II, de Maiherperi et d'autres. Loret fouilla aussi à Saqqara entre 1897 et 1899, au nord de la pyramide de Téti. Dans ce cas aussi, nous pouvons tirer des informations nouvelles sur la zone fouillée et les plus de 1000 objets découverts. Dans ses archives, il y a aussi de nombreuses notes pour ses cours à l'Université de Lyon, relatives notamment à l'histoire de l'égyptologie, ainsi qu'à ses fouilles dans la Vallée des Rois et à Saqqara.
ÉA : Les archives permettent-elles de comprendre le quasi "silence" qui a entouré, en mars 1898, la découverte - pourtant majeure - de la tombe d’Aménophis II alors qu'elle recèle une "cachette" contenant 17 momies royales mises à l'abri des violeurs de sépultures ? (Cette tombe sera d'ailleurs dénommée la "seconde cachette", par référence à la "première", la DB320)
PP : Grâce aux notes de Loret, nous pouvons maintenant savoir où il avait trouvé les différents objets (aujourd'hui au Musée du Caire), ainsi que les momies. Nous connaissons les étapes exactes des découvertes, ainsi que les problèmes qu'il rencontra quand il décida de transporter les momies au Caire pour les sauvegarder. On peut trouver toutes ces informations dans le volume que j'ai publié chez Skira en 2004 avec Christian Orsenigo : "La Valle dei Re riscoperta. I giornali di scavo di Victor Loret (1898-1899) e altri inediti".
ÉA : Et enfin, permettent-elles également de savoir pourquoi son mandat de directeur du Service des Antiquités qu'il occupe, au décès de Jacques de Morgan, de 1897 à 1899, n'est pas renouvelé ?
PP : Oui, il s'agit de questions purement politiques. Loret en parle beaucoup dans ses notes et ses lettres. L'Égypte était alors sous protectorat anglais, et un directeur français n'était pas bien vu. Après de longues discussions, c'est Maspero - qui était très diplomate et assez "pro-Anglais" - qui sera désigné directeur des Antiquités pour la deuxième fois. Il restera en place jusqu'en 1914, quand Pierre Lacau prendra la direction. Par ailleurs, nous avons à Milan une partie importante des archives Lacau, mais cela est une autre histoire.
Propos recueillis par marie grillot
Pour en savoir plus :
Patrizia Piacentini, Christian Orsenigo, "La Valle dei Re riscoperta. I giornali di scavo di Victor Loret (1898-1899) e altri inediti", Skira, 2005, 412 pages
Biblioteca e archivi di Egittologia, Università degli Studi di Milano
https://www.facebook.com/pages/Biblioteca-e-Archivi-di-Egittologia-Universit%C3%A0-degli-Studi-di-Milano/198497800181599?fref=ts
La revue EDAL, Egyptian and Egyptological Documents, Archives, Libraries. Pontremoli Editore, Milano. www.libreriapontremoli.it/edal.php
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/06/victor-loret-un-egyptologue-haut-de.html?q=loret
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