Pigeonnier - photo : Zangaki |
Qu’ils soient construits en brique crue, en bois ou avec de la pierre, de nombreux pigeonniers ponctuent le paysage égyptien de leur forme conique ou carrée. De la Basse à la Haute-Égypte, et même dans le Caire intra muros, ils perpétuent une tradition qui a traversé les siècles, depuis l’époque pharaonique.
Dans sa "Nouvelle relation en forme de journal d'un voyage fait en Égypte", Johann Michael Vansleb note, à la fin du XVIIe siècle : "une quantité prodigieuse de colombiers (...) entièrement garnis en dedans de pots de terre dans lesquels les pigeons font leurs nids. Et afin qu’ils puissent se reposer, il y a des bâtons par dehors, tout autour, sur lesquels ils se perchent."
Au début du XIXe siècle, l’ouvrage collectif "Lettres édifiantes et curieuses : Mémoires du Levant" apporte quelques précisions complémentaires : "Toutes les villes et (tous les) villages de la Haute et Basse-Égypte ont des colombiers sur les toits de la plupart des maisons, ou dans un coin de la basse-cour, avec cette différence que les colombiers de la Haute-Égypte représentent une tour carrée, et que ceux de la Basse-Égypte sont composés de plusieurs tourelles faites en cône, et construites en rond. On dit communément dans le Saïd qu’un père de famille qui est à son aise ne donnerait pas sa fille en mariage à un jeune qui n’aurait pas chez lui un colombier."
Dans "Un hiver en Égypte" (1860), Eugène Poitou confirme cette pratique à tel point ancrée dans les habitudes de la population que : "les pigeons sont mieux logés que les hommes". Puis d’ajouter : "Je ne crois pas qu'il y ait, en aucun pays du monde, autant de pigeons qu'en Égypte. On les voit voler par myriades dans les campagnes."
Faisant le lien avec l’époque actuelle, François Hume-Ferkatadji, écrit en présentation d’un reportage audio de RFI en décembre 2014 : "Au Caire, dans le chaos du développement urbain tous azimuts, il est habituel de voir sur les toits des immeubles d’immenses structures de bois de plusieurs dizaines de mètres de haut. Ces pigeonniers construits sur pilotis trahissent une tradition égyptienne : depuis l'antiquité, le pays s’est habitué à dorloter les pigeons."
"Par myriades", le pigeon a donc été accueilli dans le ciel d’Égypte, depuis les temps les plus anciens.
Le pigeon dit "domestique" fut d’abord - et est encore - élevé à des fins alimentaires. Quand bien même Émile Delmas (1834-1898) a-t-il pu écrire que le pigeon : "a pris dans la cuisine nationale une place exorbitante, qui jette une ombre sur tous les repas", l’Égyptien continue d’apprécier la chair très délicate de ce volatile.
Quant au pigeon biset, qui vit à l'état de semi-domesticité, précise A. Rayer en 1902 dans son "Voyage agricole dans la vallée du Nil", il est élevé surtout pour la quantité de colombine qu'il fournit et qui est très appréciée des cultivateurs comme un excellent engrais pour leurs cultures, particulièrement de melons, pastèques, concombres et canne à sucre. Ne recevant aucune nourriture au colombier, il recherche sa pitance quotidienne dans les champs d’autrui, pillant ce que son maître se refuse à lui donner. Revers de cette liberté surveillée : ne rentrant que le soir au colombier pour y passer la nuit, il ne peut "se retenir" jusqu’en fin de journée et une grande partie de sa production de colombine est perdue dans les champs, sans aucun profit pour son propriétaire.
À l’époque fatimide, sa grande résistance au vol et son aptitude à revenir à la case départ ayant été observées, le pigeon se voit investi de missions de plus ou moins longue distance au service du sultan : le "pigeon voyageur" est né ! Il remplacera fort utilement les courriers terrestres, moins rapides. "Les Mamelouks, lit-on dans "L'Égypte contemporaine" de 1933, organisèrent méthodiquement la poste par pigeons, avec des centres principaux à la Citadelle du Caire, à Gaza, à Damas et à Alep, et des centres secondaires sur le parcours des routes postales. Ces pigeons royaux portaient des marques spéciales au cou et aux pattes : les dépêches écrites sur un papier spécial, très fin, étaient placées sous l'aile ou sous la queue de l'oiseau."
Les colombiers des "pigeons de message", précise Volney en 1825 dans son "Voyage en Égypte et en Syrie pendant les années 1783-1785" : "sont établis dans des tours construites de distance en distance sur toute l’étendue de l’empire, dans l’intention de surveiller à la sûreté et à la tranquillité publique. (Ils sont) entretenus dans l’empire pour la célérité des dépêches. Chaque colombier a son directeur et des veilleurs, qui attendent à tour de rôle l’arrivée des pigeons. Il y a en outre des domestiques et des mules à chaque colombier pour les échanges respectifs des pigeons. La dépense totale ne laisse pas que d’être considérable."
Actuellement, le pigeon voyageur n’a évidemment plus de fonction utilitaire, mais il continue de sillonner le ciel d’Égypte, sous le regard attentif et scrutateur de très nombreux passionnés de colombophilie. Au lendemain de la guerre de 1940/45, ceux-ci créent une première association, héritant à des prix “symboliques” des pigeons de l’armée britannique. Puis très rapidement, le nombre d’associations s’accroît sur l’ensemble du territoire égyptien. En 1978, est créée l’Union égyptienne de colombophilie : elle regrouperait aujourd’hui 100.000 amateurs qui possèdent plus d’un million de pigeons et participent régulièrement à des concours.
Marc Chartier
sources :
http://www.rfi.fr/emission/20141214-elevage-pigeons-egypte/
Youssef Ragheb, “Les messagers volants en terre d’Islam”
http://books.openedition.org/editionscnrs/1210
http://hebdo.ahram.org.eg/Archive/2002/8/7/null0.htm
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