Cliché Musées royaux d'Art et d'Histoire / Dirk Huyge |
L’art rupestre a beaucoup inspiré les anciens Égyptiens de l’ère prédynastique (4e millénaire av. J.-C.). Il est présent sur des centaines de sites le long de la vallée du Nil et dans les zones désertiques qui la bordent.
Mais des découvertes récentes montrent que cet art pariétal a connu en Égypte une expression beaucoup plus ancienne, puisque datant de 16.000-15.000 avant notre ère.
Ainsi, une mission des Musées royaux d’Art et d’Histoire (MRAH) de Bruxelles, sous la direction de Dirk Huyge, docteur en archéologie, a trouvé en 2004-2007 des gravures rupestres paléolithiques, sur la colline de grès nubien d’Abu Tanqura Bahari, à environ 4 kilomètres au sud du village actuel d’El-Hosh et à une trentaine de kilomètres au sud d’Edfou. 35 dessins - des gravures dans un style naturaliste - y ont été identifiés.
Prenant le relais de la Canadian Prehistoric Expedition qui a découvert des gravures comparables à proximité du village de Qurta, sur la rive est du Nil, à 40 kilomètres au sud d'Edfou et à 15 kilomètres au nord de Kom Ombo, les MRAH ont organisé ensuite trois campagnes de prospection sur trois sites d’art rupestre de cette localité (Qurta I, II et III), en février-mars 2007, 2008 et 2009. 160 figures individuelles y ont été identifiées, la majorité étant des représentations d’aurochs.
L’équipe d’archéologues comprenait également des scientifiques des Universités de Yale et de Los Angeles, de l'Université nationale australienne, de l'Université américaine au Caire et de l'Université de Gand.
Clichés Musées royaux d'Art et d'Histoire / Dirk Huyge |
"L'art rupestre de Qurta, dont l’âge réel est estimé à environ 19.000 à 17.000 ans, précise Dirk Huyge, consiste principalement en des représentations de figures animales naturalistes. Ces images ont été réalisées par incision et par martèlement. Les bovidés sont largement prédominants (au moins 111 exemplaires), suivis par les oiseaux (au moins 7 exemplaires), les hippopotames (au moins 3 exemplaires), les gazelles (au moins 3 exemplaires) et les poissons (2 exemplaires). En outre, on trouve (au moins) 7 images stylisées de figures humaines, représentées avec des fesses prononcées, mais aucune autre partie du corps. Aucun animal représenté ne montre de signes de domestication. Il ne fait pas de doute que les bovidés représentés soient des aurochs (Bos primigenius)."
Suivons encore Dirk Huyge dans la présentation qu’il propose des caractéristiques techniques de ces pétroglyphes tracés à l’air libre, au moins contemporains des peintures de Lascaux (France).
L’art rupestre de Qurta ne révèle pas un souci de composition ou de narration : pas de scènes construites, mais plutôt une juxtaposition de figures isolées sans relation entre elles. À la différence de l’art rupestre de l’ère prédynastique, on ne trouve pas ici de lignes de sol, même imaginaires : pas de haut, pas de bas ! les figures peuvent être présentées dans toutes les directions, parfois dans des poses "dynamiques".
"D’un point de vue technique, poursuit Dirk Huyge, les dessins de Qurta sont exclusivement obtenus par piquetage ou incision. Il est possible qu’ils aient été peints à l’origine, mais il n’en reste aucune trace. Les deux procédés de gravure sont fréquemment combinés : certaines parties du corps de l’animal, comme le tronc, peuvent être piquetées, tandis que d’autres, comme les pattes, sont incisées. Certaines figures semblent, en outre, avoir été sculptées en bas-relief et se détachent du fond de la roche.(..) Souvent, les spécificités naturelles, comme le relief de la roche et/ou les fissures dans la surface, ont été intégrées dans les images."
Contrairement, une nouvelle fois, à l’art rupestre de l’époque prédynastique où les figures animales sont de taille réduite (0,40 à 0,50 m), les représentations des bovinés sur les roches de Qurta ont des dimensions nettement plus élevées : de 0,80 à 1,80 m, même si les dessins sont très stylisés et inachevés.
Reste une question pour le moins complexe : Y a-t-il une explication aux similitudes entre cet art rupestre en terre égyptienne et les manifestations de l’art pariétal du Magdalénien récent en Europe ? Peut-on se risquer à invoquer : "des influences à longue distance et des contacts interculturels" ? L’hypothèse, selon Dirk Huyge, est : "plausible, aussi improbable qu’elle puisse paraître", notamment pour la raison suivante : "Si on considère que le niveau de la mer Méditerranée, à l’époque de la dernière glaciation, se trouvait plus bas de cent mètres que celui d’aujourd’hui, il n’est pas exclu que les hommes du Paléolithique aient pu avoir des contacts intercontinentaux et échanger des idées artistiques et symboliques."
En conclusion, sans pour autant considérer Qurta comme le "Lascaux égyptien" (les techniques artistiques sont très différentes), les représentations, préservées jusqu’à nos jours, que l’on peut admirer sur ses falaises continuent de poser de nouveaux défis à la recherche archéologique, tout en nous transmettant des témoignages, gravés dans la pierre, d’une très lointaine civilisation de chasseurs et de pêcheurs qui puisaient les ressources de leur subsistance à la fois du fleuve et du désert.
Marc Chartier
http://www.kmkg-mrah.be/fr/art-rupestre-%C3%A0-qurta
http://www.egyptologica.be/section_egyptologie_egyptologica/article_egyptologie.php?ID=11
http://www.international.icomos.org/centre_documentation/inora/inora51/inora-51-1.pdf
https://www.academia.edu/2427930/Premiers_t%C3%A9moignages_d_un_art_rupestre_pl%C3%A9istoc%C3%A8ne_en_Afrique_du_Nord_confirmation_de_l_%C3%A2ge_des_p%C3%A9troglyphes_de_Qurta_Egypte_par_datation_OSL_de_leur_couverture_s%C3%A9dimentaire
https://www.academia.edu/4690541/10.000_ans_avant_L_Art_du_contour_art_rupestre_Qurta_Qurta_rock_art_
http://www.pharaon-magazine.fr/actualites/actualite/la-prehistoire-en-egypte-les-gravures-de-qurta-datees-de-15-000-ans
http://www.larecherche.fr/actualite/aussi/art-rupestre-prehistorique-afrique-du-nord-16-01-2012-68331
http://www.italyday.net/antiquitas/vicino-oriente/2162-qurta-lascaux-le-long-du-nil
http://weekly.ahram.org.eg/2007/849/he1.htm
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