mardi 22 septembre 2015

Jomard, grand esprit de L'Expédition d'Égypte


Son nom est indissociable de l’expédition d’Égypte menée par le général Bonaparte sur les rives du Nil. Indissociable également de la collecte des multiples données réalisée par le bataillon des savants accompagnant l’armée française et rassemblée ultérieurement dans la gigantesque "Description de l'Égypte". 

Tout juste diplômé de l’École polytechnique, le nouvel ingénieur topographe Edme François Jomard (11 novembre 1777 - 23 septembre 1862) est en effet désigné, en l'an VI (1798), pour faire partie de l'expédition en compagnie des Monge, Berthollet, Fourier et autres éminents mathématiciens, chimistes, géomètres, médecins, architectes, peintres, botanistes... Sur place, il est membre de la Commission des Sciences et des Arts et prend une part active aux travaux de l'Institut d'Égypte.

Il établit la topographie de la ville d’Alexandrie, du Caire, de l’oasis du Fayoum. "Le soin apporté à la réalisation du plan du Caire au 1/2000e, qui avait d’abord paru irréalisable, est à la mesure de l’enjeu, mais aussi à la mesure du défi posé par la taille et la complexité de la ville arabe. En trois mois d’enquête toponymique et statistique, Jomard recueille en arabe et en français les noms de quelque 2500 lieux - rues, places, monuments, marchés, etc. -, et des renseignements sur le commerce et l’industrie. (...) Trois années de travail dans des conditions difficiles - Jomard échappe plusieurs fois à la mort - ont abouti à l’une des principales et des plus durables réalisations de l’expédition française : la carte de l’Égypte et de la Syrie au 1/10000e, dont Jomard signe 15 des 47 feuilles."(Patrice Bret)

D’août à octobre 1799, l’ingénieur effectue un voyage en Haute-Égypte. Passionné d’antiquité et d’une curiosité insatiable, il visite villes, temples et hypogées. Il : "glisse alors de la géographie physique et urbaine vers l’histoire et les antiquités, du monde musulman vers le monde pharaonique et hellénistique. Il lève principalement le plan des sites et des monuments et, de retour au Caire, poursuit son activité en décembre à Héliopolis et aux Pyramides de Giza (notamment celle de Khéops, dont il étudie) l’érosion des angles, l’ensablement et les éboulis qui rendent la base inaccessible".
Hypogées de Thèbes - Illustrations de Jomard

De retour en France - il sera l’un des derniers "savants" à quitter l’Égypte -, il est nommé membre de la Commission chargée de publier les travaux de l'expédition. Dès 1807, il en devient le “commissaire impérial” et consacrera 25 ans de sa vie au travail colossal d’édition de la "Description de l'Égypte" : collecte des textes, exécution des planches, abondante participation à la rédaction…

"Il est de ceux qui maintiennent très longtemps l’esprit de l’expédition, participant au banquet des “Égyptiens”, c’est-à-dire des savants membres de l’expédition, dont il sera du reste le dernier survivant. Pendant vingt-cinq ans, il porte à bout de bras la publication de la “Description”, malgré les changements de régimes politiques. Il réussit à réunir les textes des quarante-trois auteurs et à publier les neuf volumes in-folio, ainsi que les neuf cent soixante-quatorze planches. (...) Outre son rôle de responsable de l’édition, (son apport personnel) à l’ouvrage est considérable : trente contributions sur cent cinquante-sept mémoires sont de sa plume, c’est-à-dire environ mille quatre cents pages, soit près d’un tiers des volumes de texte." (Éric Gady, "Dictionnaire des orientalistes de langue française", Karthala, 2012)

"Loin de considérer les cartes géographiques, les planches, les monuments et les objets comme de simples illustrations des descriptions textuelles, précise pour sa part Nelia Dias, Jomard confère aux images visuelles un statut autonome et un rôle central dans le processus d'élaboration et de construction du savoir." 
Jomard avec quelques membres de la Mission égyptienne

Témoignant d’une très grande admiration pour le vice-roi Méhémet Ali (qui l'élèvera, en 1856, à la dignité de bey) et guidé par une certaine vision utopique du"développement éclairé de l’Égypte", il conçoit, prend directement en charge et suivra pendant une dizaine d’années ce qui sera appelé la "mission égyptienne", à savoir l’accueil dans la "France des lumières" de jeunes gens destinés à y recevoir une formation administrative, militaire et scientifique, pour ensuite devenir les cadres de l’Égypte future.

À son retour d’Égypte, Jomard établit également un catalogue des hiéroglyphes qui l’autorisera à revendiquer une part de la paternité des travaux de Champollion lors de leur publication. Il en découle des relations pour le moins délicates entre les deux savants, voire une réelle hostilité lorsque Champollion devient conservateur de la section égyptienne du Louvre, poste que Jomard convoitait comme devant lui revenir de droit suite à ses nombreux travaux sur l’Égypte ancienne.

Certes, Jomard : "n’eut pas le génie de Champollion". Mais : "son travail acharné, écrit Éric Gady, sa grande activité et son sens de l’organisation en font un homme de talent au coeur de la société savante de la première moitié du XIXe siècle". 

Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Un prix de la Société de géographie, créé en 1882, et une rue du XIXe arrondissement de Paris portent son nom.

Marc Chartier

sources :
http://sabix.revues.org/1095
http://sabix.revues.org/1087
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2003_num_33_120_6100
“Dictionnaire des orientalistes de langue française”, Karthala, 2012 (article d’Éric Gady)
Yves Laissus, Jomard, “Le dernier Égyptien”, Fayard, 2004

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