Forte de 37.000 hommes, l'armée française menée par Bonaparte est arrivée en Égypte le 1er juillet 1798. Elle a dans ses rangs 167 savants : ingénieurs, économistes, astronomes, chimistes, naturalistes, musiciens, peintres, dessinateurs, sculpteurs, architectes, médecins, pharmaciens, minéralogistes, botanistes, orientalistes… Ils sont placés sous la responsabilité du Général Caffarelli, lui-même idéologue, philosophe et, pour ne pas : "confier la science au sort d'un seul bâtiment", les scientifiques sont répartis dans plusieurs navires.
Afin de structurer les travaux des savants et des responsables militaires : "le Général en Chef Bonaparte, par un arrêté en date du 3 fructidor an 6 (22 août 1798), a ordonné qu'il serait établi au Kaire un Institut pour les Sciences et les Arts. Cet établissement doit principalement s'occuper :
1°) du progrès et de la propagation des lumières en Égypte ; 2°) de la recherche, de l'étude et de la publication des faits naturels, industriels et historiques de l'Égypte."
L'Institut d'Égypte est divisé en quatre sections qui sont celles de Mathématiques, de Physique, de Littérature et des Beaux-Arts, et d'Économie politique. Chaque section est composée de douze membres. Les noms des membres prenant part aux travaux sont pour la plupart prestigieux. Citons Costaz, Fourier, Monge dans celle de Mathématiques, Berthollet, Conté et Desgenettes dans celle de Physique, Caffarelli, Tallien dans celle d'Économie politique, et Denon et Redouté dans celle de Littérature et Beaux-Arts.
Pour "ses" savants, Bonaparte a réquisitionné deux belles demeures cairotes, Bait El-Kashef et Bait El-Sennari. C'est dans le palais El-Kashef que l'Institut s'installe et se réunit pour la première fois le 6 fructidor (24 août) et : "continuera de s'assembler le primidi et le sextidi de chaque décade. Dans la première séance il a nommé le citoyen Monge président, et le citoyen Bonaparte vice-président, pour le trimestre prochain : le citoyen Fourier a été nommé secrétaire perpétuel.
Le citoyen Bonaparte a ensuite posé les questions suivantes :
- Les fours employés pour la cuisson du pain de l'armée sont-ils susceptibles de quelques améliorations, sous le rapport de la dépense du combustible, et quelles sont ces améliorations ?
- Existe-t-il en Égypte des moyens de remplacer le houblon dans la fabrication de la bière ?
- Quels sont les moyens usités de clarifier et de rafraîchir l'eau du Nil ?
- Dans l'état actuel des choses au Kaire, lequel est le plus convenable à construire, du moulin à eau ou du moulin à vent ?
- L’Égypte présente-t-elle des ressources pour la fabrication de la poudre, et quelles sont ces ressources ?
- Quelle est en Égypte la situation de la jurisprudence, de l'ordre judiciaire civil et criminel, et de renseignement ? Quelles sont les améliorations possibles dans ces parties, et désirées par les gens du pays ?"
Une autre commission sera chargée de : "préparer un travail pour faciliter la composition d'un vocabulaire arabe, pour mettre les Français en état d'établir avec les habitants de l'Égypte les communications qu'exigent les besoins communs de la vie". Une autre encore étudiera les mirages, ou bien encore le poisson "tétrodon", etc... Le 19 juillet 1799, on y annoncera la découverte, à Rosette, d'une pierre couverte d'inscriptions qui "peuvent être d'un grand intérêt".
L'éventail des thèmes abordés est large et touche, comme le résume si bien Jean Lacouture, l'utilité immédiate, l'évaluation scientifique du pays et la redécouverte de l'Égypte ancienne. Les travaux de l'Institut sont restitués dans le journal "La décade égyptienne".
L'institut se réunira 62 fois, entre le 23 août 1798 (6 fructidor an VI), et le 21 mars 1801 (1er germinal an IX).
Bonaparte quitte l'Égypte le 23 août 1799, laissant sur place l'armée d'Orient et les savants. Les défaites mèneront Menou à capituler le 31 août 1801.
La plupart des savants quittent le Caire, mais n'abandonnent pas leurs sujets d'études. En effet, le 22 novembre 1799, Bonaparte a décidé de regrouper l'ensemble de leurs travaux dans un ouvrage. Ils aboutiront à un événement éditorial important, à un ouvrage monumental, une parution jamais égalée : la "Description de l'Égypte" ou “Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'Armée française”. Publiée de 1809 à 1826, elle est constituée de dix volumes de textes et treize de planches, le volume d'Atlas géographiques de 53 planches méritant à lui seul sa qualification de "très grand format", puisqu’il mesure 1,10 m sur 0,72 m.
Qu'est devenu l'Institut après le départ des savants ? Après un long sommeil, ses activités ont été relancées en 1836 par des érudits français, allemands et anglais sous le nom de The Egyptian Society ou Société Égyptienne.
En 1859 : "l’Institut Égyptien, société savante d’inspiration occidentale", est fondé à Alexandrie par des résidents européens sous le patronat du Khédive d’Égypte. En 1880, ses statuts sont révisés et le siège de l’Institut revient au Caire. En feront partie d'éminentes personnalités, dont les égyptologues Auguste Mariette, Gaston Maspero, Ahmed Kamal ainsi que le philologue Ahmad Zaki Pash. Par un décret royal de 1918, l'Institut reprend son ancien nom.
L'institut d'Égypte est installé dans un magnifique bâtiment, proche de la place Tahrir, dans lequel sont conservés "200.000 ouvrages, certains rarissimes, concernant l'histoire et la géographie de l'Égypte". Sa bibliothèque contient entre autres des volumes faisant partie de l’édition originale de la "Description de l'Égypte" ainsi que d'importantes archives datant de la présence française.
Le 17 décembre 2011, un cocktail molotov est lancé sur l'immeuble et nous ne pouvons oublier les longues heures pendant lesquelles les flammes l'ont ravagé. Si les murs extérieurs sont restés debout, la toiture et les planchers se sont effondrés et les ouvrages historiques d'une valeur inestimable ont été perdus à jamais. Mohammed al-Charnoubi, secrétaire général de l'Institut, déclarait quelque temps après le drame : "Environ 25.000 de 200.000 ouvrages ou manuscrits peuvent être restaurés ou partiellement reconstitués. Dans les trois jours qui ont suivi l'incendie, les conservateurs se sont rendus sur place et ont ramassé tout ce qui pouvait l'être. On se souvient de ces tonnes de papiers enfouis sous les décombres noircis et des conservateurs plongeant leurs bras dans des cartons et des sacs contenant les précieux papiers napoléoniens." Après ce dramatique épisode, l'Institut sera temporairement hébergé à la Bayt El-Sennari.
Grâce à des aides provenant des deux nations (France - Égypte), grâce à une entraide internationale, grâce à des donations et à des partenariats, l'Institut a été reconstruit et sa bibliothèque en partie reconstituée. Et si son lustre et son charme d'antan n'ont pu lui être rendus, l'histoire et le savoir y ont repris leur place.
La presse égyptienne a annoncé, tout récemment, que le Premier ministre Ibrahim Mahlab avait demandé que soit préparé un projet de loi pour que l'"Institut scientifique d'Égypte" soit placé directement sous sa tutelle et qu'il bénéficie : "de tout l'équipement requis pour mener à bien l'ensemble de ses compétences".
Une nouvelle page de son histoire reste à écrire.
marie grillot
sources :
http://gallicalabs.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&query=%28gallica%20all%20%22précis%20des%20séances%20et%20des%20travaux%20de%20l%27Institut%20d%27Egypte%22%29
http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6245912n/f10.item.r=précis%20des%20séances%20et%20des%20travaux%20de%20l'Institut%20d'Egypte.texteImage
http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/articles/files/campagne_Egypte.asp#ancre1
“L’Égypte, passion française”, Robert Solé, éditions du Seuil, Paris, 1997
“Champollion, une vie de lumière”, Jean Lacouture , Grasset 1988
http://egyptophile.blogspot.fr/2015/03/bayt-el-sennari-la-maison-de-campagne.html
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/06/19-mai-1798-lexpedition-degypte-forte.html
https://books.google.fr/books?id=adNYAAAAcAAJ&pg=PA309&lpg=PA309&dq=institut+d%27Egypte&source=bl&ots=yi98fv_z9b&sig=pf96kdSAZC3YrwPMNBU9-5Zv32k&hl=fr&sa=X&ved=0CEIQ6AEwBziCAWoVChMIlNvnkrTdxgIVybwUCh0zJAo4#v=onepage&q=institut%20d'Egypte&f=false
“L’Égypte, passion française”, Robert Solé, éditions du Seuil, Paris, 1997
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http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/960/32/97/1621/Patrimoine--LInstitut-dEgypte-pris-entre-deux-feux.aspx)
http://www.thecairopost.com/news/111322/news/uae-donates-books-present-from-uae-to-egypt-in-aims-to-reviveinstitut-degypte
https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/l-institut-d-egypte-au-caire-renait-de-ses-cendres/37270
http://www.singer-polignac.org/fr/missions/sciences/colloques/1232-l-egypte-hier-et-aujourd-hui#pserageldin2
http://www.dailymotion.com/video/x2jscw5_l-egypte-une-aventure-savante-par-yves-laissus_school
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