Le 17 février 1923 a lieu l'ouverture officielle de la troisième chambre de la tombe de Toutankhamon. Le lendemain, Elisabeth, reine des Belges, est accueillie sur les lieux par Lord Allenby, Haut-Commissaire, par Lord Carnarvon et Howard Carter. L'attention de la souveraine est notamment attirée par un objet qui se trouve dans un coffret de bois blanc portant une mention incomplète, en hiératique "the ... procession of the bed-chamber". Comme on peut le voir sur les extraordinaires photos de Harry Burton, ce coffret référencé 272, est posé sur le sol et se trouve être le plus proche du naos en bois doré protégé par les quatre déesses. Son emplacement, privilégié, ne peut que nous amener à supposer que l'objet qu'il contient était un objet personnel, habituel et familier du jeune pharaon.
Il s'agit, selon les mots de Jean Capart : "d'un éventail fait de plumes d'autruche fixées à un manche d'ivoire sculpté" qui y avait été déposé entouré de quelques fruits de persea séchés.
Qualifié parfois de "portatif", son manche, tout en ivoire, est coudé, à angle droit, et rotatif. Le mécanisme a été ingénieusement étudié afin de minimiser les efforts du roi pour s'éventer. La partie horizontale du manche est ornée en son extrémité d'un embout de lapis-lazuli enrichi de trois cercles d'or. Le haut de la partie verticale est agrémenté de la représentation d'une fleur de lotus au-dessus de laquelle l'ivoire se prolonge légèrement et s'évase jusqu'à former deux cornes retombantes.
Elle est surmontée d'une plaque d'ivoire, de forme semi-circulaire, sur les bords de laquelle court une fine frise ; en son centre, un carré abrite les cartouches du roi.
La frise, les cartouches et la fleur de lotus sont finement et joliment réalisés avec des incrustations de pâte de verre multicolore reprenant, à chaque fois, les mêmes tons.
De toute la partie supérieure du demi-cercle partent une rangée de courtes plumes sombres, puis un 'éventail' de plumes plus hautes et claires se déploie gracieusement et généreusement en un élégant "bouillonné".
Dès l'antiquité, l'autruche était chassée, pour ses oeufs qui avaient des vertus médicinales (soin des plaies ouvertes ou des fractures du crâne), pour sa graisse (effet calmant sur les douleurs musculaires et arthritiques), mais surtout pour ses plumes. On les retrouve en effet dans les attributs de certaines divinités égyptiennes, en tout premier lieu de Maât, divinité personnifiant les notions de "vérité" et de "justice", qui préside à la pesée des âmes (psychostasie). Elles ornent également la couronne Atef dont elles sont l’un des éléments.
Sous un dessin succinct mais explicite, Howard Carter décrivit ainsi l'éventail sous le n° 272a : "Comprend 15 plumes blanches d'autruche et 15 plumes brunes d'autruche ; monté sur un centre en ivoire, hémisphérique incrusté de pigments bleu, rouge, noir et vert. Le manche en ivoire, cylindrique, courbé à angle droit, prend la forme d'une tige de papyrus et d'une corolle, calice incrusté de pigment bleu, vert et rouge, un collier d'or, un second collier d'or avec dispositif de défilement appliqué, et à l'extrémité un bouton de verre violet orné d'un moyeu d'or et trois colliers en or".
C'est le plus petit des huit éventails qui seront trouvés dans l'hypogée. Les autres ont, pour la plupart, une haute hampe et sont appelés "flabellum". Ils devaient être tenus et agités par des "porte-éventail", une fonction très honorifique…
L'un de ces éventails à hampe (Carter 242 - JE 62001) est orné d'une scène représentant le jeune pharaon chassant l'autruche. Une inscription précise que les plumes du volatile ont ensuite été utilisées dans sa conception… Mais elles se sont délitées avec les temps.
Celui-ci est le seul qui soit parvenu intact, mais aucune indication ne révèle si l'oiseau a été ou non chassé par le souverain…
Cet artefact est tout à la fois luxueux, élégant, ingénieux et utile. On imagine avec douceur le bruissement de ces plumes d'autruche à la grâce aérienne, apportant de la fraîcheur dans un doux va-et-vient. Zahi Hawass apporte cette intéressante analyse sur les éventails : "Comme ils faisaient de l'ombre et donnaient de l'air dans le climat chaud de l'Egypte ils étaient associés au souffle de vie".
Quant à Howard Carter, touché par l'objet, il eut ses mots merveilleux : "Le temps n'a pas de prise sur d'aussi charmantes reliques ; beaucoup de civilisations se sont élevées et éteintes, depuis que cet éventail fut déposé parmi ces trésors. Ces objets si rares et pourtant si familiers tissent des liens entre nous et ce monde fabuleux."
marie grillot - Marc Chartier
sources :
Tutankhamun: Anatomy of an Excavation, The Howard Carter Archives, Photographs by Harry Burton
http://www.griffith.ox.ac.uk/gri/carter/gallery/gal-045.html
http://www.griffith.ox.ac.uk/gri/carter/272a.html
The Tomb of Tutankhamun, volume 3 : The Annexe and Treasury, Howard Carter
Toutankhamon, Jean Capart, 1923
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5611389t/f60.texte
Toutankhamon, vie, mort et découverte d'un pharaon, Nicholas Reeves, Editions Errance
Toutankhamon et son temps, Petit Palais, Paris, 17 février-juillet 1967, Catalogue par Christiane Desroches-Noblecourt, Ministère d'État Affaires Culturelles
Vie et mort d'un pharaon, Christiane Desroches-Noblecourt, Hachette, 1963
Découvrir Toutankhamon, Zahi Hawass, Editions du Rocher, 2015
Catalogue de l'exposition "Toutankhamon, trésors du pharaon d'or", Zahi Hawass, IMG Melcher Media, 2018
Les découvreurs de la tombe de Toutankhamon Lord Carnarvon (à gauche) et Howard Carter près de la KV 62
(photo (Harry Burton?) prise entre novembre 1922 et avril 1923)
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Un excellent article, de plus bien d'actualité étant donné la chaleur hors norme qui s'évit à Louxor notamment, en ce moment !
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