samedi 11 juillet 2015

Thierry Benderitter : sur osirisnet.net il nous livre la clé des tombes

Thierry Benderitter

Thierry Benderitter ! Tout égyptophile connaît son nom et l'immense travail qu'il met à disposition de tous sur son site exceptionnel www.osirisnet.net (notez les deux "net" à la fin !). Comment ferait-on sans lui pour comprendre les tombes et les mastabas ? Comment pourrait-on comprendre en profondeur leur architecture, l'agencement de leur décor ou encore la symbolique qui se cache souvent derrière des scènes en apparence triviales ? Thierry Benderitter porte la lumière sur l'intimité qu'entretenaient les anciens égyptiens avec leurs dieux et avec l'au-delà… Et le site qu'il a créé, c'est le “Porter & Moss”, illustré, en couleur, à la portée de tous et gratuit sur le web .

Égypte actualités : Vous êtes médecin spécialiste en anatomie, mais depuis quelques années, vous vous êtes résolument tourné vers une autre spécialité : l'égyptologie ! Vous n'avez trouvé d'autre remède que de vous y plonger totalement ? L'idée de créer le site osirisnet.net est-elle venue rapidement ?

Thierry Benderitter : Je suis médecin spécialiste non pas en anatomie, mais en anatomie pathologique, une branche de la médecine peu connue du grand public (voir note en fin de texte). 
C'est en 2001, suite à de nombreux voyages en Égypte - à une époque où l'accès aux monuments situés hors des circuits touristiques était encore parfois possible - que l'idée m'est venue de créer le site osirisnet.net pour partager avec les égyptophiles des monuments qui m'ont toujours fasciné : les tombes décorées qui jalonnent le Double-Pays. 
Pendant de nombreuses années, j'ai exercé en parallèle mon métier, très exigeant, tout en faisant tourner le site. 
En 2007, j'ai pu me libérer de mes contraintes professionnelles et consacrer mon temps à l'égyptologie. Et cela remplit bien mes journées !
"osirisnet.net constitue déjà une des seules alternatives
à la visite physique des tombes fermées au public"

ÉA : Vous œuvrez pour une meilleure approche et une meilleure connaissance des tombes : c'est une œuvre de vulgarisation à destination d'un public passionné-cultivé ?

TB : Je trouvais en effet, que les tombes étaient mal connues par rapport aux grands monuments comme les temples. Ceci me semblait d'autant plus paradoxal qu'elles représentent l'un des héritages essentiels qui permettent de pénétrer dans l'univers des anciens Égyptiens, dans leurs croyances, mais aussi - un peu - dans leur vie quotidienne.
Par expérience personnelle, les premières visites dans les tombes se réduisent souvent à un choc artistique : on voit, on aime... mais on ne comprend pas vraiment ce qui se passe dans cette multitude de représentations souvent énigmatiques. Même ceux qui sont allés plusieurs fois en Égypte n'ont souvent pu effectuer que des visites trop brèves des rares tombes ouvertes au public ; vient alors, un jour, le désir chez certaines personnes de comprendre ce qu'ils ont seulement aperçu. Et pour cela, il faut revoir les scènes et les expliquer.
http://osirisnet.net/

C'est ce que je m'efforce de faire sur osirisnet : essayer - modestement - d'être un pont entre le travail très spécialisé des égyptologues et une frange du grand public cultivé passionné par cette civilisation.
Les problèmes additionnés de la préservation des monuments et de nouveaux impératifs sécuritaires réduiront probablement encore le nombre de tombes ouvertes au public. 
Un site comme osirisnet.net constitue déjà - à son niveau - une des seules alternatives à la visite physique des tombes fermées au public.
Enfin, il ne faut pas oublier que de nombreuses personnes à travers le monde n'auront jamais l'opportunité de voyager en Égypte : c'est en grande partie pour elles que j'ai voulu, dès le départ, que le site soit complètement bilingue français-anglais. Pendant dix ans, Jon Hirst m'a aidé en traduisant les pages en anglais. Après son départ, c'est l'égyptologue néo-zélandais Peter Sullivan qui a bien voulu se charger de ce travail.
Ahmes-Nefertari

ÉA : On trouve sur www.osirisnet.net l'étude approfondie de sites, temples, tombes, de Saqqarah à la Nubie en passant par Amarna et bien sûr Thèbes. Comment choisissez-vous vos thèmes d'études ? Par affinité ? Par période ?

TB : Il y actuellement 75 tombes présentées de manière détaillée, auxquelles s'ajoutent des articles sur des sujets ciblés, comme de petits temples parfois méconnus, ou certaines parties d'un grand temple. Mais le travail sur les tombes est devenu prioritaire, et je ne peux pas tout faire. Les sujets annexes que je traite maintenant ont un rapport avec les tombes et m'évitent de devoir me répéter trop souvent dans des monuments différents ; par exemple j'ai consacré un article au culte d'Aménophis 1er et de la reine Ahmes-Nefertari parce qu'on le retrouve dans de nombreuses tombes thébaines.
Je choisis la tombe que je vais traiter en fonction de plusieurs critères, le principal étant la documentation photographique dont je dispose. J'essaie ensuite de varier les sites même si cela m'oblige à passer sans arrêt d'une époque à une autre avec le risque - toujours présent - d'anachronisme. D'autres facteurs entrent en ligne de compte : la richesse du monument, qui va déterminer la quantité de travail nécessaire, le fait qu'il soit ouvert ou fermé au public et… mes affinités personnelles.
Une autre activité très chronophage, mais à laquelle je tiens beaucoup, est la confection de la Newsletter mensuelle d'osirisnet, qui présente les principaux événements survenus dans le domaine de l'égyptologie durant le mois écoulé. Cette lettre d'information a un grand succès si j'en crois le nombre d'inscrits.

ÉA : Vous rendez-vous sur place régulièrement ? Est-ce difficile de faire ouvrir les demeures d'éternité, d'obtenir les autorisations de photographier ? 

TB : Je ne peux plus voyager comme je le voudrais pour des raisons de santé. De toute façon, il est devenu quasiment impossible d'obtenir des autorisations de visite de tombes fermées au public.
L'essentiel des documents photographiques que j'utilise provient des collections d'égyptophiles qui, ayant compris l'importance de notre projet, ont bien voulu les partager avec tous les amoureux de l'Égypte ancienne par l'intermédiaire d'osirinet. La liste des principaux contributeurs se trouve sur la page "projet" du site. Nous devons tous les remercier de leur générosité.
J'en profite pour lancer un appel : si vous possédez des images de qualité de tombes ou de mastabas, pourquoi ne deviendriez-vous pas contributeur ?
Près de 100 références pour la tombe de Rekhmirê - photo Marie Grillot

ÉA : Comment se déroule la publication d'une tombe ? Le relevé photographique est-il suivi d'une plongée dans le "Porter & Moss" pour en connaître les principaux "contributeurs" ou "documenteurs" ? Ce travail de documentation, c'est un travail solitaire ou bien avez-vous des collaborateurs, des personnes-ressources ? Les égyptologues vous laissent-ils facilement accès à leurs travaux ?

TB : En effet le premier travail est la recherche de documentation sur la tombe. C'est une phase qui peut durer plusieurs semaines, car la lecture d'un article peut fournir de nouvelles références et de fil en aiguille on peut atteindre un nombre conséquent de références : la tombe de Rekhmirê en comporte près de 100. Le "Porter & Moss", s'il reste une référence incontournable, ne fournit cependant pas une bibliographie à jour.
La recherche se fait par le web bien sûr, mais aussi grâce à l'aide de "documenteurs" (joli néologisme), dont les deux principaux sont Raymond Betz et Georges Engel, ce dernier fournissant également une aide indispensable pour la lecture des textes en allemand, une langue que je maîtrise mal. Certains égyptologues collaborent également en fournissant aimablement des copies de leurs articles, ou des photos.Que tous veuillent bien trouver ici l'expression de ma gratitude. 

ÉA : Les descriptions que vous présentez sont extrêmement précises, toujours parfaitement rédigées, on sent bien que vous décryptez toute la symbolique des scènes, que vous pénétrez les relations que les anciens Égyptiens entretenaient avec leurs dieux : c'est à chaque fois une symbiose totale ?

TB : Pour bien décrire une tombe il faut non seulement de bonnes photographies, une bonne documentation, une connaissance de la période, mais aussi s'immerger dans le monument pour essayer d'en comprendre la logique.
On ignore souvent quelle est la part de liberté dont jouissait le propriétaire pour établir son programme iconographique. Il était probablement assez important, si on en juge, par exemple, par la très originale tombe de Kyky, dit Samout (TT 409) ; à côté de cela, une tombe comme celle de Bénia (TT 343) reste très conventionnelle, sans doute aussi par choix. Avec l'habitude, on arrive presque à ressentir l'état d'esprit du propriétaire. Même s'il y a de nombreux points communs, chaque tombe, chaque mastaba est unique.

ÉA : Vous avez écrit - me semble-t-il - que votre travail ne sera terminé que lorsque vous aurez publié la totalité des tombes… Ces dernières années, le Service des Antiquités ne cesse d'annoncer de nouvelles découvertes, donc… de plus en plus de travail pour vous ? Mais ce que l’Égypte nous livre, à chaque saison de fouilles, c'est une joie sans cesse renouvelée n'est-ce pas ? 

TB : Non, j'ai écrit : "Je considère que ma tâche, qui comble un vide, sera achevée lorsque j'aurai mis en ligne la dernière tombe d'Égypte pour laquelle j'aurai pu réunir une documentation photographique décente." Ce qui est très différent.... Il y a des milliers de tombes en Égypte. En supposant même qu'on m'y autorise, il me faudrait dix vies!
Bien sûr, c'est toujours avec un grand plaisir que j'apprends la découverte d'une nouvelle tombe en Égypte.
Mais, hélas ! je suis quasiment toujours frustré par l'indigence de la documentation photographique qui accompagne l'annonce de ces découvertes. De trop nombreuses missions ne mettent en ligne que quelques photos, parfois de simples vignettes. Et je trouve un peu anormal que, au prétexte d'une publication du monument dans un futur souvent lointain - publication spécialisée et qui sera peu accessible - on prive le public intéressé d'une présentation photographique décente des monuments nouvellement découverts ou restaurés qui, dans l'immense majorité des cas, leur resteront interdits.
"J'avoue avoir un faible pour les scènes de métier" (Th. Benderitter)
Tombe de Rekhmirê - photo Marie Grillot

ÉA : Maintenant que nous nous connaissons mieux, je vais vous poser une question directe : "Sur quelle tombe avez-vous littéralement flashé, Thierry, et pour quelles raisons ?"

TB : Ma tombe préférée est sans hésiter la TT 100 de Rekhmirê. C'est pourquoi je lui ai consacré la plus longue description jamais faite sur osirisnet et pour laquelle j'ai eu la chance de bénéficier d'une couverture photographique complète, près de 650 images. Elle m'a demandé plus de six mois de travail - et encore ai-je choisi de me limiter. Ce n'est pas la plus spectaculaire, mais nulle part ailleurs on ne trouve l'association d'une telle richesse dans les thèmes aussi bien civils que religieux et d'une telle qualité artistique. J'avoue avoir un faible pour les scènes de métier qui se trouvent dans la salle longitudinale : on a l'impression d'y être.

ÉA : Comment pouvez-vous faire tout cela et comment voyez-vous l'avenir d'osirisnet.net ?

TB : S'occuper d'un site de la taille d'osirisnet demande des sacrifices sur les autres activités. Il faut aussi composer avec la vie familiale et les tâches de la vie quotidienne. Je consacre au site la majorité de mon temps. Le courrier des internautes est également très chronophage, puisque je m'astreins à répondre à tous les messages que je reçois.
Avec l'aide de Jean-Pierre Moularde, ingénieur informaticien, nous sommes en train de moderniser l'interface du site et effectuons un gros travail en profondeur pour l'adapter aux nouveaux médias, notamment aux tablettes. À terme, osirisnet devrait, par exemple, pouvoir s'adapter automatiquement à la taille de l'écran sur lequel on le consulte. Ces modifications, commencées il y a plusieurs semaines, devraient être achevées à la Noël. Mais elles prennent du temps.
J'ai encore des dizaines de tombes en attente d'être publiées ; même les plus modestes, ou celles qui semblent ruinées conservent souvent une scène, un détail historiquement important. La magie est à chaque fois au rendez-vous…

Propos recueillis par marie grillot


Note : Que fait un anatomo-cyto-pathologiste ? résumé sur ce site : http://medidacte.timone.univmrs.fr/webcours/umvf/anapath/disciplines/niveaudiscipline/niveaumodule/chapitre1/chapitre1.htm# (choisir §2.1 la démarche diagnostique).

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