Le temple d'Ellesiya in situ, en Nubie |
Dès 1954, sous l'impulsion de Nasser, le projet de construction du barrage d'Assouan se concrétise, entraînant à court terme l'immersion de la Nubie, région riche en monuments pharaoniques. La prise de conscience - qui devient vite internationale, grâce notamment à l'UNESCO - amène à la conclusion évidente qu'un tel patrimoine archéologique ne peut ni ne doit disparaître. En janvier 1955, le Département des antiquités de l'Égypte envoie une mission d'experts en Nubie, alors que le Centre de documentation pour l'histoire de l'art et de la civilisation de l'Égypte ancienne, créé par Christiane Desroches Noblecourt, et de nombreux instituts de différents pays, mènent également des études. Au vu des rapports et conclusions, un plan de sauvegarde des monuments les plus importants est établi et un appel de fonds est lancé afin de le mener à bien. La grande campagne de sensibilisation, orchestrée internationalement, est couronnée de succès et les aides en provenance de divers États permettent le sauvetage des principaux monuments de Nubie.
Une vingtaine seront ainsi démontés, puis réédifiés, dans un site préservé, à l'abri des eaux, alors que quatre quitteront définitivement le pays.
Par un décret du 1er octobre 1959, le Gouvernement de la République Arabe d'Égypte décide d'offrir un temple aux quatre pays qui ont le plus contribué à sauver le patrimoine, à la condition qu'ils soient exposés dans des musées ou des centres ouverts au public.
Alors que Dendour partira vers les États-Unis, Debod vers l'Espagne, Taffah vers les Pays-Bas, Ellesiya prendra la route de l'Italie.
Le temple d'Ellesiya in situ, en Nubie |
En mai 1962, en effet : "l’Italie avait été sollicitée pour tenter de sauver l’un des temples nubiens. À la suite d’une inspection des autorités égyptiennes en Nubie et d’une mission de Turin, il fut décidé que le sauvetage du temple d’Ellesiya serait une contribution italienne au sauvetage des monuments nubiens. Après avoir considéré plusieurs offres, la mission de Turin fut informée en août 1964 que l’Organisation des antiquités égyptiennes était prête à assurer le sauvetage du temple en utilisant son propre personnel et ses ressources techniques, proposition qui fut acceptée par les autorités italiennes. En janvier 1965, le projet fut officiellement approuvé par le Gouvernement égyptien, l’Égypte assurant le sauvetage d’Ellesiya pour le compte de l’Italie et, en avril, la province et la ville de Turin acceptèrent de prendre les dépenses à leur charge."
Ce petit temple d'Ellesiya - ou speos car il est creusé dans la falaise - a été bâti par Thoutmosis III vers 1450 av. J.-C. Il est dédié : "au dieu nubien Horus de Miam (Aniba) et à son épouse, la déesse Satis. Les reliefs représentent le roi faisant offrande et accomplissant les gestes rituels devant les divinités secondaires qui accompagnaient les dieux principaux de la chapelle comme Horus de Bouhen, Hathor d’Ibchek et aussi le roi Sésostris III du Moyen Empire, divinisé. Bien qu’ayant souffert un peu de l’érosion due à l’eau, les reliefs, assez bien conservés, donnent une idée du grand art égyptien classique de la XVIIIe dynastie."
Le temple d'Ellesiya in situ, en Nubie |
Le sauvetage du speos, situé 200 km au sud d'Assouan, se fera dans l'urgence. Les crues inhabituellement fortes de 1964 et 1965 bouleverseront le planning établi et il ne sera sauvé qu'in extremis alors que le réservoir du lac commence à se remplir.
Voici le récit haletant relaté dans le rapport de l'Unesco : "En une seule journée le terrain marécageux pouvait devenir infranchissable. Il n’était pas question d’atteindre le speos par l’arrière puisqu’il était creusé dans une falaise escarpée. Le professeur Silvio Curto a fait le récit des opérations de sauvetage, mais il a omis de mentionner les conditions de travail dans la fournaise de l’été nubien avec des températures qui descendaient rarement au-dessous de 45 ou 50 °C à l’ombre, quand par extraordinaire il y avait de l’ombre, et avec une boue glissante et un grès absolument brûlant qui firent de cette expérience une véritable torture pour tous ceux qui la vécurent. Dans cette situation désespérée, le représentant du Service des antiquités chargé des travaux imagina un expédient remarquable. À la surface de l’eau, il fit avancer une grande barge métallique d’un faible tirant d’eau que ses hommes pousseront au prix d’immenses efforts avec des perches. Sur cette plate-forme flottante, placée devant la façade du temple, à droite de l’entrée, il fit transporter par des barques l’équipement électrique nécessaire aux travaux, des provisions et des ouvriers au nombre d’une cinquantaine qui s’installèrent sur un rebord rocheux de quelques mètres carrés seulement, à gauche de l’entrée. Le 19 juillet, la barge s’échoua, isolée du reste du monde. Travaillant à partir de cette plate-forme, utilisant des grues et des scies à pierre, un générateur électrique et des projecteurs, en vingt jours de travaux frénétiques vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les ouvriers découpèrent à la perfection toutes les inscriptions de la façade, tous les reliefs et même la moitié supérieure du socle intérieur. Ils chargèrent les blocs sur la barge un par un. Il y en avait soixante-six, ayant en moyenne un volume d’un mètre cube et un poids d’une tonne ; quelques-uns étaient même plus gros. Cinq jours plus tard, le Nil commença à monter et, bientôt, la barge flotta et put être remorquée jusqu’à Ouadi es-Séboua où l’on mit en sûreté son précieux chargement."
Le temple d'Ellesiya, offert par l'Egypte à l'Italie, a été "remonté" dans le Musée égyptien de Turin |
Le temple arrivé à Turin en 1967, "en morceaux", a été patiemment remonté ; il enrichit par sa présence les importantes collections du Museo Egizio.
marie grillot
sources :
http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001548/154883eb.pdf
http://english.ahram.org.eg/NewsContentPrint/9/0/46243/Heritage/0/Egypts-pharaonic-temples-exhibited-abroad-relate-t.aspx
Jean Leclant, “Abou Simbel et la Nubie, vingt-cinq ans après”, in: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 130e année, N. 4, 1986. pp. 686-700.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1986_num_130_4_14439
“Le speos d'El-Lessiya”, CEDEAE, le Caire, 1968
http://nefercoco.free.fr/lessiya.html http://weekly.ahram.org.eg/2009/940/heritage.htm
http://whc.unesco.org/fr/activites/173/
http://www.egiptomania.com/antiguoegipto/fotos.asp?foto=museos/museo_egipcio_de_turin/templo_de_ellesija/temploellesija0005.jpg
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