vendredi 19 juin 2015

Au Louvre, un portrait du Fayoum provenant de la collection Salt


Portrait (dit "du Fayoum") représentant une femme de la famille gréco-égyptienne de Pollius-Soter
peinture à l'encaustique sur planche de tilleul - seconde moitié du IIe siècle ap. J.-C.
provenance indiquée : "Thèbes (Égypte) ?" - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 2733-3
(par acquisition de la Collection Henry Salt en février 1926) - photo © Musée du Louvre, dist. RMN / Georges Poncet


C'est assurément une très belle dame qui nous observe du fond des âges… Son visage, à l'ovale doux, est très légèrement tourné vers sa droite. Il est éclairé par un regard tout à la fois profond et lointain, un peu interrogatif aussi. Ses grands yeux sombres sont en amande. Le blanc de l'œil, joliment rendu, met en valeur l'iris noisette bordé, en bas, d'un trait clair et brillant, semblable à l'esquisse d'une larme. Tout en haut de la pupille noire, l'artiste a ajouté un point de peinture blanche…


Les paupières sont traitées dans un ton plus soutenu que la carnation. Si les cils sont discrets, les sourcils eux, sont fournis, épais et noirs. "Le volume du nez est indiqué par une large ombre peinte à gauche et par la ligne claire de l'arête" précise le Musée du Louvre. 


La bouche est fermée, le sourire à peine dessiné, - mais peut-être est-ce plutôt là une expression habituelle. Les lèvres sont peintes dans une belle nuance de "vieux rose". La lèvre supérieure est surmontée d'un trait de peinture blanche qui en épouse le contour.


Même si le bois a travaillé, même si la peinture s'est altérée, la carnation, plutôt claire, demeure tendre et douce.

Portrait (dit "du Fayoum") représentant une femme de la famille gréco-égyptienne de Pollius-Soter
peinture à l'encaustique sur planche de tilleul - seconde moitié du IIe siècle ap. J.-C. 
provenance indiquée : "Thèbes (Égypte) ?" - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 2733-3 
(par acquisition de la Collection Henry Salt en février 1926) - photo © Musée du Louvre, dist. RMN / Georges Poncet

La coiffure est apprêtée. Les cheveux, d'un brun sombre laissent le front apparent ; ils sont bien disciplinés par une raie médiane, puis envoyés vers l'arrière, dégageant ainsi les oreilles. Ces dernières sont ornées de boucles, composées de deux perles blanches certainement enfilées sur un anneau d'or de forme ovale. Quant à son collier, un ras de cou, il est composé de larges mailles d'or. Il s'agit-là d'un type de parure que l'on retrouve très fréquemment dans les portraits du Fayoum.

Les nuances étudiées des vêtements participent à la douce harmonie qui émane de ce portrait. "Elle est habillée d'une tunique et d'un manteau de la même couleur rose. Un étroit clavus noir décore la tunique sur l'épaule droite. Les contours et les plis du manteau sont indiqués par des longues touches violettes qui descendent de l'épaule gauche sur la poitrine" (Musée du Louvre). 

Cette femme qui a vécu au deuxième siècle après J.-C. appartenait à une classe aisée car seuls les plus fortunés pouvaient s'offrir des rituels funéraires de qualité… Mais quelle vie a-t-elle eue ? A-t-elle été aimée ? A t-elle souffert ? A-t-elle été pleurée à sa mort ? 
Portrait (dit "du Fayoum") représentant une femme de la famille gréco-égyptienne de Pollius-Soter
peinture à l'encaustique sur planche de tilleul - seconde moitié du IIe siècle ap. J.-C. 
provenance indiquée : "Thèbes (Égypte) ?" - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 2733-3 
(par acquisition de la Collection Henry Salt en février 1926) - photo © Musée du Louvre, dist. RMN / Georges Poncet

A cette époque, après avoir été grecque, l'Egypte est devenue romaine … et cosmopolite : Égyptiens, Grecs et Romains se mêlent … Les nouveaux "maîtres du pays" ont adopté les coutumes funéraires de l'Egypte pharaonique et les Romains ont introduit l'art du portrait. 

Peint du vivant du modèle, le portrait était, lors de la momification placé sur le visage du défunt (ou parfois déposé tout à côté). Il arrive qu'il soit peint sur une toile de lin, mais le support est, le plus souvent, une planche de bois (tilleul, figuier, cèdre ou sycomore) qui a été préalablement lissée et enduite. L'esquisse est ensuite exécutée en rouge ou en noir. "Puis le portrait était réalisé au moyen de pigments minéraux et végétaux liés avec de la cire chauffée (encaustique) ce qui permet un travail lent et minutieux se traduisant par de petites touches rapprochées pour le visage, le cou et la coiffure, le vêtement étant en revanche traité à larges coups de brosse". La "détrempe" qui utilise un liant à base de gomme végétale est également utilisée "elle donne un caractère plat et graphique au portrait et traduit le modelé par un réseau de fines hachures entrecroisées". Parfois, les deux techniques sont conjuguées à bon escient par le peintre. Les couleurs généralement utilisées sont le blanc, le noir, le rouge, deux ocres. La feuille d'or est souvent appliquée, parfois dans les cheveux, parfois en couleur de fond et toujours pour rendre l'éclat des parures et bijoux. 

Ce portrait, lui, est peint sur une planche de tilleul de 31 cm x 20 cm dont les coins supérieurs sont "biseautés". Le Louvre précise que : "La planchette de bois, extrêmement fine, a été collée sur une planche moderne probablement avant son entrée dans ses collections". Et il analyse ainsi la qualité de l'oeuvre : "Ce portrait permet d’apprécier la finesse de la technique à l’encaustique. L’une des spécificités est que le peintre pose d’abord les couleurs foncées, ici de l’ocre sombre sur les carnations et la chevelure, puis modèle progressivement le volume du visage, en appliquant des couches de plus en plus claires".

La plupart de ces portraits, datés du Ier au IVe siècle, proviennent du Fayoum, une oasis qui se trouve au sud-ouest du Caire. Ils ont, pour la majorité d'entre eux (plus de 1000), été découverts vers 1888 par l'éminent égyptologue anglais William Matthew Flinders Petrie. Le lieu de cette découverte leur a donné son nom, ceci, même s'ils proviennent d'une autre nécropole… En effet, leur "usage" s'est répandu, et on les a retrouvés ensuite tout au long du Nil.
Portrait (dit "du Fayoum") représentant une femme de la famille gréco-égyptienne de Pollius-Soter
peinture à l'encaustique sur planche de tilleul - seconde moitié du IIe siècle ap. J.-C.
provenance indiquée : "Thèbes (Égypte) ?" - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 2733-3 
(par acquisition de la Collection Henry Salt en février 1926) - photo © Musée du Louvre, dist. RMN / Georges Poncet

Celui-ci est arrivé au Louvre avec la collection Salt, achetée par Charles X - sur les conseils avisés de Jean-François Champollion - en février 1826.

Il faisait partie d'un lot de cinq portraits que Champollion a ainsi présentés dans sa "Notice descriptive des monuments égyptiens du musée Charles X" (p. 121 – réf. 17 à 21)  : "Portraits peints à l'encaustique sur des planchettes de cèdre extrêmement minces, représentant des individus de la famille gréco-égyptienne de Pollius-Soter, archonte (magistrat) de Thèbes sous le règne de l'Empereur Hadrien". 

La provenance indiquée par le musée - où il a été enregistré sous la référence 2733-3 -, demeure, elle, "interrogative" : " Thèbes (Égypte) ?".

marie grillot

sources : 
Portrait de momie
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010035043
Portraits de femmes en Egypte, il y a 1800 ans
https://www.museumlab.fr/exhibition/06/about.html
Champollion, Jean-François, Notice descriptive des monuments égyptiens du musée Charles X par M. Champollion le jeune,... (seconde division), Impr. de Crapelet (Paris), 1827 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1040365n/f139.item
Portraits de l'Égypte romaine - RMN, 1998
Jean-Christophe Bailly, L'apostrophe muette - Essai sur les portraits du Fayoum, Hazan, 1997
Susan Walker et Morris Bierbrier, Ancient Faces : Mummy Portraits from Roman Egypt, British Museum Press, 1997


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