Sistre dans les mains d'une divinité - Temple d’Abydos |
Le sistre est très certainement l'instrument de musique le plus lié à l'Égypte pharaonique. Le son de crécelle qu'émet cet attribut de la déesse Hathor lorsqu'il est agité est censé reproduire celui qu'elle engendre, sous sa forme de vache, lorsqu'elle marche dans les fourrés de papyrus. Une autre interprétation : "lie son usage au rite 'd'arracher les papyrus', réservé, à l'origine au culte hathorique".
Le tintement du sistre est divinement paré de vertus magiques : il est capable d'apaiser les dieux, d'éloigner les mauvais esprits et d'attirer la protection.
Si les prêtres ritualistes l'agitent lors de cérémonies, il est plus généralement un instrument "féminin". Il est en effet l'attribut des déesses (Isis, Hathor, Bastet, ...) et des reines, et : "les grandes dames d'Égypte le tiennent presque toujours à la main. C'était, pour elles, bien plus un insigne de fonctions qu'un objet usuel à portée de la main. Toutes ces dames, en effet, tenaient à honneur de faire partie de la 'maîtrise' du grand temple de leur ville, soit à titre de chanteuses si elles avaient de la voix, soit à titre de joueuses de sistre et de crotale si elles ne pouvaient ambitionner davantage".
Sistre de la chanteuse d'Amon et d'Isis, Hénouttaouy
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11201
Dernières dynasties pharaoniques et époque ptolémaïque (vers 1069 - 30 av. J.-C.)
Le sistre, instrument officiel et rituel, scande et rythme les cérémonies. Victor Loret, éminent égyptologue et éminent musicologue l'a étudié de façon très précise : "D'abord, les Égyptiens possédaient non pas un sistre, mais deux sistres, de forme et de nature très différentes. Chacune de ces deux espèces de sistre avait un nom spécial, ce qui indique que c'étaient là, aux yeux des Égyptiens, deux instruments bien distincts...
Bien que les artistes égyptiens aient donné aux sistres, sur les bas-reliefs, une grande variété de formes, on peut ramener d'une manière générale toutes ces formes à deux types caractéristiques. Ces instruments n'ont qu'une partie commune, le manche, qui, dans les deux types, est surmonté d'une tête féminine à oreilles de bubale, laquelle est la tête de la déesse Hathor. Quant au reste, les deux sistres diffèrent complètement l'un de l'autre.
Le premier, auquel les Égyptiens donnaient le nom de 'sakhm',
était en bois à l'origine, plus tard en porcelaine ou en terre émaillée. Le second, nommé 'saischschit', était entièrement en métal. Dans le sistre sakhm, deux ou trois tringles horizontales supportaient chacune plusieurs anneaux. Ces tringles étaient fixes, et c'étaient les anneaux seuls qui, en se heurtant les uns les autres quand on agitait l'instrument, produisaient le bruit voulu.
Dans la tombe de Sennefer (TT 96 - Vallée des Nobles - Nécropole thébaine Sentnefer, nourrice royale tient dans la main le sistre hathorique |
Dans le sistre saischschit, il n'y avait pas d'anneaux, du moins à l'origine. C'étaient les tringles elles-mêmes qui se mouvaient de droite à gauche et de gauche à droite, dans des trous percés assez grands pour leur permettre de glisser aisément. Les extrémités reployées de ces tiges servaient à les empêcher de tomber, mais surtout à produire un bruit métallique lorsqu'elles frappaient contre le cadre elliptique qui les supportait."
Le sistre est très fréquemment reproduit sur les murs des temples et dans les scènes des hypogées. Les plus anciennes représentations sont relevées dans des tombes de la VIe et VIIe dynasties à Dendérah, et à Béni-Hassan dans un tombeau du Moyen Empire (XIIe dynastie).
D'autre part, dans l'étude "Petrified Sound and Digital Color : A Hathor Column in the New Ptolemaic Galleries", publiée en août 2016 par le Metropolitan Museum of Art, Dieter Arnold, Ann Heywood et Sara Chen développent cette interprétation fort intéressante : "L'instrument de musique représentait de façon si caractéristique la déesse qu'il inspira les constructeurs de temple de la 18ème dynastie à utiliser des colonnes reprenant la forme de cet emblème dans les temples des divinités féminines. La forme de base du chapiteau en forme de sistre apparaît également dans de nombreuses variations et combinaisons avec d'autres formes de chapiteau sur les colonnes et les piliers carrés. De telles rangées de colonnes de sistres pourraient également être comprises comme une sorte de "barrière sonore pétrifiée" jouant doucement de la musique autour du sanctuaire d'Hathor et évoquant magiquement l'apparence de la déesse."
Plus tardivement, le sistre s'est répandu dans le bassin méditerranéen et a notamment accompagné les cultes isiaques du monde gréco-romain.
Si son usage a perduré dans les premiers rites de l'Égypte copte, il a ensuite totalement disparu de la gamme des instruments de musique...
sources :
Encyclopédie de la musique et dictionnaire du conservatoire – Première partie : Histoire de la musique - Égypte - Note sur les instruments de musique de l'Égypte ancienne par Victor Loret, Delagrave (Paris), 1931
http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k123719d/f8.image.r=loret
https://www.academia.edu/11123352/Agiter_les_sistres_enquête_lexicographique_autour_des_sons_d_un_objet_musical_particulier_en_Égypte_ancienne
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1951_num_4_1_3159_t1_0183_0000_4
“À la recherche de l'ancienne musique pharaonique”, par Ilona Borsai. Conférence donnée au Centre du Livre, Le Caire, 5 Avril I967. Publiée ensuite dans les Cahiers d'Histoire Égyptienne, Vol. XI, Le Caire, 1968, pp. 25-42http://www.coptic.org/music/borsa.htm
Petrified Sound and Digital Color: A Hathor Column in the New Ptolemaic Galleries, August 12, 2016, Dieter Arnold, Curator, Department of Egyptian Art ; Ann Heywood, Conservator, Department of Objects Conservation ; and Sara Chen, Draftsperson, Department of Egyptian Art (Metropolitan Museum of Art, New York)
https://www.metmuseum.org/blogs/now-at-the-met/2016/hathor-column
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