Christiane Desroches-Noblecourt dans la Vallée des Reines Photo de Jean-Louis Clouard |
Le 23 juin 2011,
Christiane Desroches-Noblecourt nous quittait.
Fouillant les sables,
explorant les tombes, sauvant les temples, cette grande dame, la
"pharaonne" comme elle était souvent appelée, a occupé le devant de
la scène pendant plus de 70 ans, et a, en quelque sorte, "féminisé"
le monde de l'égyptologie.
Elle s'est fait un
nom, elle a beaucoup écrit, on a également beaucoup écrit sur elle…
En ce jour
anniversaire de son départ, Jean-Louis Clouard, qui a travaillé près d'elle
pendant 25 saisons en tant que photographe de la mission conjointe CNRS-CEDAE
sur Thèbes-Ouest a accepté de nous livrer ses très beaux souvenirs.
Égypte actualités : Comment s'est passée votre première rencontre avec Christiane Desroches-Noblecourt ?
Jean-Louis Clouard : J'avais exposé, dans mon magasin d'optique-photographie à Paris, une grande photo que j'avais prise à Abou Simbel. Elle l'a regardée intensément, puis elle est entrée ... J'imagine qu'elle a du se dire : "C'est ce gars qu'il me faut"... et elle m'a proposé de rejoindre son équipe. Pour elle il était évident que je ne pouvais refuser. Moi, j'avais 35 ans... et je réalisais mon rêve !
ÉA : Après des années passées sur divers chantiers, notamment en Nubie, c'est grâce aux ressources du CNRS-CEDAE, conjuguées au mécénat de Germaine Ford De Maria, qu'elle prend, dans les années 80, la tête de la mission de "rénovation" de la Vallée des Reines. Comment menait-elle ce projet ?
JLC : Après une conférence à Genève, une dame est venue la voir, afin de savoir comment elle pouvait apporter son aide dans ses chantiers. Cette femme, c'était Germaine Ford de Maria qui, après plusieurs héritages, jouissait d'une énorme fortune. Christiane Desroches-Noblecourt lui a présenté ce projet de rénovation de la Vallée des Reines. Elle lui a alors demandé un projet sommé à minima et un projet élevé : elle a accepté le devis supérieur. C'était un budget énorme : il a permis d'acheter des tracteurs, des remorques, d'embaucher une main-d’œuvre très importante. C'était une aubaine incroyable, et Christiane Desroches-Noblecourt en a assuré la totale mise en oeuvre.
ÉA : Comment se comportait-elle sur ce chantier qui a été, pendant de nombreuses années, le plus conséquent d’Égypte : était-elle directive ? pédagogue ? Je fais ici référence à l'une de ses confidences : "Comme je parlais arabe, tous les soirs après avoir fait trimer les fouilleurs, je leur faisais des commentaires sur nos découvertes."
JLC : Nous étions une vingtaine de chercheurs (égyptologues, architectes, anthropologues, ...) dans la mission qui a compté jusqu'à 160 ouvriers. Avec nous, elle était directive oui, mais "adroitement" directive, et toujours admirablement secondée par Christian Leblanc. Elle arrivait à convaincre sans affrontement, elle évitait les conflits. C'était une grande "diplomate".
Avec les ouvriers, elle était maternelle. Comme elle parlait tout aussi bien l'arabe littéraire que l'arabe de "Gourna", elle avait plaisir à apprendre des mots d'argot, elle discutait avec eux, elle les faisait rire souvent. Le soir, c'était elle qui soignait ceux qui avaient été blessés dans la journée. Il y en avait toujours 6 ou 7 qui faisaient la queue pour faire soigner leurs bobos, mais c'était surtout pour avoir le plaisir de discuter avec elle ! Par contre, elle refusait toute les invitations ; elle ne voulait prendre le risque de n'en vexer aucun.
Ce refus, elle l'expliquait par sa charge de travail. Et c'est vrai qu'elle travaillait, elle travaillait tout le temps ! Je ne sais pas quand elle dormait. À la maison de Malgatta où la mission était logée, il y avait de la lumière dans sa chambre toute la nuit. Et le matin, dès 5 h, elle était présente au petit déjeuner, avec sa permanente impeccable ! On se demandait si elle avait dormi. Elle était d'une rigueur magnifique, d'un courage exceptionnel, c'était un exemple pour nous tous.
Dans sa maison de retraite, à la fin de sa vie,Christiane Desroches-Noblecourt montre
cette photo d'elle, prise par Jean-Louis à Amada, en Nubie, en 1995 |
ÉA : Pensez-vous que ce surnom de "pharaonne" n'était pas usurpé ?
JLC : Ce surnom lui a été donné par les journalistes. Elle feignait de s'en offusquer, mais au fond, je crois bien que son ego en était flatté. Elle était ainsi assimilée à Hatshepsout qui avait su s'imposer et prendre le pouvoir.
Mais le surnom qu'elle préférait, c'est certain, était "Oum Simbel", la mère d'Abou Simbel, celle qui a sauvé le temple.
ÉA : Pouvez vous partager avec nous quelques souvenirs particulièrement forts ?
JLC : Toute l'équipe de Malgatta avait été invitée par le Centre Franco-Égyptien d'Études des Temples de Karnak (CFEETK) à Karnak. La réception avait lieu dans un endroit paradisiaque, l'ancienne maison de Legrain au bord du Nil (détruite depuis) où Jean-Claude Golvin, le directeur du Centre, projetait le premier film numérique de la reconstitution du temple. Un moment magnifique avec karkadé et whisky... À la fin de l'après-midi, elle m'a guidé dans le temple, parmi les colonnes et les pylônes, et elle a conté, de magnifique façon, tout ce qu'elle avait envie de conter. Elle était heureuse de partager son savoir, c'était un moment de pure générosité. Elle donnait son savoir avec bonheur.
Lorsque notre visite a été terminée, nous sommes revenus au CFEETK, mais nos collègues étaient déjà repartis. Nous étions donc seuls pour regagner la rive Ouest. À bord de l'embarcation de l'IFAO (Institut français d'archéologie orientale) qui avait servi à l'équipe lors des travaux de sauvegarde des temples de Nubie, nous avons traversé le Nil à ce moment si particulier où se couche le soleil... Alors que la nuit tombait de façon féerique, elle s'est mise à me raconter ses souvenirs de Nubie, le travail, les personnes rencontrées, c'était extraordinaire, inoubliable…
ÉA : On vous doit l'un de ses portraits les plus célèbres : quelle fierté en tirez-vous ? Vous souvenez-vous de la circonstance ?
JLC : C'était lors de l'une de ses deux dernières campagnes. Elle travaillait sur la grotte sacrée de la Vallée des Reines et avait donné rendez-vous à tout le monde dès l'aube. Elle était perchée sur un monticule (c'était une grande dame, mais de petite taille !). Elle tournait le dos à la grotte et regardait la vallée, la lumière était extraordinaire ! Elle a beaucoup aimé ce cliché.
Et j'aime que cette magnifique rencontre, cette présence qui a enrichi ma vie, qui lui a donné un sens, qui a commencé par une photo, perdure par et avec cette autre photo…Propos recueillis par Marie Grillot
Un immense merci à Jean-Louis Clouard qui a le magnifique projet de mettre par écrit ses souvenirs et de numériser ses photos.
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