mardi 16 juin 2015

Coton Jumel : une histoire qui tient à un fil



Le nom de Louis Alexis Jumel (1785 -1823) est lié au coton égyptien à longue soie, appelé également “coton Mako”.

Co-fondateur en 1804 de la manufacture de coton d'Annecy (Haute-Savoie), puis fondateur en 1812, dans la même région, de celle de Cluses qui a la particularité de fabriquer ses propres machines, Jumel y met en œuvre ses talents d’inventeur. On lui doit ainsi plusieurs mécaniques complexes pour le travail de la laine et du coton. Puis, pour une raison qui n’est pas entièrement élucidée (mauvaises affaires ? dissensions familiales ?), il quitte tout en 1817 pour l’Égypte. Il a, il est vrai - sans doute est-ce sa véritable motivation -, reçu une invitation personnelle de Méhémet Ali qui souhaite donner un nouvel essor à la culture et à l’exploitation du coton dans son pays afin de contrecarrer une grave crise de pénurie et de cours élevés dans ce secteur de son économie.

Jumel crée tout d’abord une usine de tissage dans le quartier de Boulaq, au Caire. Il l’équipe de métiers à filer, du système dit Mull-Jenny, commandés à Milan. Ils sont mus à l’aide de manèges de chevaux, car, bien que le Nil soit tout proche, son courant est trop faible pour être utilisé comme force motrice.

L’industriel français y emploie de nombreux ouvriers maltais - d’où le nom de “Malta” donné à l’usine. Il habite à côté de l'entreprise, en compagnie d'une esclave d'Abyssinie, qui lui donnera un fils.

En 1820, il crée, dans le village de Matarieh, un champ expérimental qu’il ensemence de graines d’un cotonnier qui deviendra la souche des cotonniers égyptiens dont la culture s’étendra rapidement dans la vallée et de delta du Nil. "Le résultat est spectaculaire, écrit Robert Solé dans "L’Égypte passion française" (1997). Mohammed Ali ordonne alors d’abandonner les coton 'baladi' (indigènes) et de produire de longues fibres, destinées à l’exportation."

"Les premiers essais réussirent complètement. Le vice-roi ayant senti combien cette culture pouvait augmenter la richesse de l’Égypte, l’encouragea par tous les moyens. Il fit établir des puits à roue pour arroser les cotonniers ; il n’exigea l’impôt des fellahs qu’après la récolte, et en déduction du prix ; il reçut leurs cotons à des prix très élevés. En peu de temps, le coton arbuste couvrit les plaines de l’Égypte ; la culture des autres produits fut quelque peu négligée. Rivaux des cotons du Bengale et de ceux de l’Amérique, les cotons d’Égypte allèrent livrer leur lainage blanc et soyeux aux machines à filer de France et d’Angleterre ; au bout de quelques années, l’Égypte put en verser dans la consommation quatre cent mille quintaux.” (Félix Mengin, Edme François Jomard, "Histoire sommaire de l'Égypte sous le gouvernement de Mohammed-Aly, ou récit des principaux événements qui ont eu lieu de l'an 1823 à l'an 1838") 
Publicité de presse 1932 Jumel, les beaux cotons d'Égypte 

Au cours de l'année 1820, la récolte est de 300 kg. En 1821, la production atteint 200 tonnes. Dès 1827, le "Jumel" est vendu à Marseille quatre fois plus cher que les autres cotons produits alors dans le monde. En 1835, la production atteindra déjà 21.300 tonnes. Puis, dans les années 1850, quelque 25.000 tonnes, dont 15.000 achetées par l'Angleterre, 4.000 par la France, et le surplus par la Suisse et l'Allemagne.

Les avis sont partagés sur l’origine exacte du coton portant le nom de Jumel. D’après certains historiens, les graines de cette plante, au duvet long et soyeux, lui auraient été remises par Mako (ou Maho?) Bey el-Orfali, un officier turc qui les aurait rapportées d’Abyssinie ou du Soudan pour les cultiver dans son jardin au Caire. Pour d’autres auteurs, Jumel aurait reçu les graines du Brésil, ou même il les aurait trouvées dans des balles importées de Pernambouc, car : "il n’est pas douteux, précise Auguste Bruckert, le biographe de Louis Alexis Jumel, que le coton Jumel est un 'Gossypium brasiliense' dont la culture prospérait au XVIIIe et au début du XIXe siècle au Brésil". 

Quelle que soit son origine exacte, le "coton Jumel" présente d’emblée d’indéniables qualités qui font la différence dans la fabrication du linge de luxe, des draps de lit, des mouchoirs, des bas de fil, de la popeline, etc. Toutefois, les techniques de production progressant et le marché étant soumis aux inévitables aléas de la concurrence, il perdra progressivement de son prestige au profit d’autres variétés importés de Malte et des États-Unis (le "Sea Island"), ou bien d’hybrides naturels (dont le précieux GIZA 45) créés à partir de diverses espèces, sélectionnés et imposés pour leur qualité.

Louis Alexis Jumel meurt le 17 juin 1823, âgé de seulement 38 ans. Il aura marqué de son empreinte l’histoire du coton en Égypte, dans la mouvance du modernisme que Méhémet Ali voulait insuffler à l’économie de son pays. Désormais, le "jumel" figure dans nos dictionnaires des noms "communs" : un privilège qui est sans doute le "propre" des génies.

Marc Chartier

sources
http://www.wikiwand.com/fr/Louis_Alexis_Jumel
http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k487266m/f37.texteImage.r=Louis%20Alexis%20Jumel

http://www.wipo.int/ipadvantage/fr/articles/article_0106.html 
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1954_num_63_338_15529
Documentation sur le Jumel : Traitant la vie de Louis-Alexis Jumel, son oeuvre, l'Égypte, la biographie du Nil, le Jumel et son application, les conditions d'achat et de vente du Jumel, etc., par Auguste Bruckert, 1942

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