Le 25 octobre 1913, à Karnak, Georges Legrain et son équipe fouillent près du Xe pylône lorsque soudain : "On reconnut dans la terre le haut d'une tête de grande statue en granit noir ... Cette statue fut dégagée rapidement ; c'était la belle image d'un scribe accroupi, sur l'épaule et le pectoral droit duquel étaient gravés les cartouches d'Amenophis III. Les textes gravés sur le papyrus que le scribe tient déroulé devant lui et ceux du socle m'apprirent qu'il s'agissait du célèbre Aménothès fils de Hapi... La suite de la fouille amena, quelques instants après, la découverte d'une autre statue du même personnage, exactement semblable à la première. Elle avait été décapitée par la chute d'un bloc du pylône. La tête fut retrouvée à quelques mètres à l'ouest. Le sommet du crâne a été endommagé quelque peu par le choc. La statue elle-même s'était inclinée vers le nord" relate le découvreur. Deux autres statues de scribe (identifiées plus tard à Paramessou, futur Ramsès I), un peu plus petites que les premières, sont découvertes tout à côté. "Ces statues ont été évidemment trouvées à leur place antique où elles avaient été déposées de longs siècles avant l'écroulement du pylône" (Georges Legrain, "Au pylône d’Harmhabi à Karnak", ASAE 14).
Georges Legrain remarque que les statues "portent toutes à la même place, au milieu du papyrus déroulé, des traces de frottement qui ont fait disparaître une partie du texte hiéroglyphique gravé". Poussant plus loin son analyse il attribue ces usures "à la coutume qu'ont encore les Orientaux de passer leur main sur les objets qu'ils vénèrent, icône, statue, mur, habits portés par un prêtre ou cheikh. L'objet est frotté ou lissé par le fidèle".
L'exécution des statues d'Amenhotep fils de Hapou est parfaite et reflète l'art très raffiné du règne d'Amenhotep III. Hautes de 1,30 m, elles sont taillées dans du granite noir (ou gris selon les études) - parfois dénommé "granodiorite" -, au poli extrêmement lisse. Elles le représentent assis, les jambes croisées en tailleur. Il est coiffé d'une perruque "à mèches ondulées terminées par des boucles qui recouvre son front, s’arrêtant au-dessus de ses sourcils épais, et s'évase vers les épaules en recouvrant le haut des oreilles" précisent Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian, dans leur "Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire"). Son visage est d'une symétrie parfaite et les manques de son nez n'enlèvent rien à sa grande beauté. Les lèvres sont pleines et charnues, le menton volontaire.
Les sourcils sont bien dessinés et, semble-t-il, révélateurs : "Certains détails, comme les sourcils arqués qui se terminent en une courbe élégante et la bouche large et mince, que l'on observe uniquement sur cette série de statues reflètent à n'en pas douter le véritable aspect d'Amenhotep, fils de Hapou" analyse Lawrence M. Berman dans "Aménophis III, le pharaon-soleil".
Les yeux en amande sont très étirés, le regard est baissé vers le papyrus qu'il tient : il semble absorbé par ce qu'il lit ou écrit ...
Sa palette de scribe pend à son épaule gauche. Les seins sont marqués et l'on note des bourrelets sur l'abdomen.
La qualité de la pierre lui donne une apparence rassurante traduisant, tout à la fois, la douceur et la force : "Le sculpteur a réussi à exprimer à la fois la jeunesse et la réussite du personnage, à travers le visage harmonieux et le modelé vigoureux du torse aux plis de graisse saillants" (Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian).
Dans sa main gauche, il tient le rouleau de papyrus dont la partie initiale est déroulée, alors que sa main droite devait tenir un calame.
Le texte du papyrus de la première statue est relatif : "aux travaux exécutés par Aménothès, fils de Hapi". Le texte du papyrus de la seconde est plus curieux, car il se rapporte : "à la célébration de la première fête panégyrique d'Amenophis III" (Georges Legrain, ASAE 14).
Quant à l'inscription se trouvant sur la base de la statue, elle "invite les dévots du temple de Karnak à faire appel à Amenhtep fils de Hapou, pour qu'il intercède en leur faveur auprès d'Amon" (Lawrence M. Berman).
Amenhotep fils d'Hapou fut "reconnu" de son vivant puis divinisé après sa mort. Originaire d'Athribis dans le Delta, issu d'une famille de condition modeste, il semble avoir gravi les échelons de la connaissance et du savoir. Scribe, architecte, doté d'une grande sagesse, "ses qualités d’administrateur le feront promouvoir aux plus hautes fonctions de la cour. Les travaux qu’il dirigea à Karnak, Louxor et dans la nécropole Thébaine sont les témoins de sa science extraordinaire et marquent l’ampleur de ses responsabilités en tant que maître d'œuvre du roi".
Il fut, très certainement, "l'un des hommes les plus importants et les plus respectés qui ait jamais vécu dans l’ancienne Egypte. Amenhotep, fils de Hapou, a bénéficié des prérogatives presque exclusivement réservées aux membres de la maison royale" rappelle le "Guide du Musée d'art égyptien ancien de Louxor".
Non seulement il eut le privilège de "pouvoir placer ses statues à l'intérieur du plus grand sanctuaire de Thèbes, le temple d’Amon-Rê à Karnak" comme le précise Francesco Tiradritti, ("Les merveilles du musée égyptien du Caire"), mais il put également, comme l'explique Abeer-el-Shahawy ("Luxor Museum"), se faire construire : "une tombe impressionnante dans la nécropole, ainsi qu'un temple funéraire parmi les temples royaux sur la rive ouest du Nil à Thèbes, indiquant à nouveau la grande faveur dont il jouissait auprès du roi. Au cours de la période ptolémaïque, Amenhotep, fils de Hapou, fut reconnu comme un dieu guérisseur et associé au grand sage et médecin Imhotep, qui était l'architecte du roi Djoser. Le scribe a parfois été identifié au dieu grec Asclépios à cette époque, et un sanctuaire a été construit pour lui à Deir el Bahari".
L'emplacement exact de son temple funéraire, dont il ne reste aujourd'hui que des vestiges épars, fut précisé par un sondage effectué, en mars 1934, au nord de Medinet Habou par Clément Robichon et Alexandre Varille de l'Ifao et ils le fouillèrent la saison suivante.
Les statues d'Amenhotep fils de Hapou, ont été référencées JE 44861 et JE 44862. La première est exposée au musée du Caire, quant à l'autre elle était, jusqu'au milieu de 2024, au musée de Louqsor.
Il y a lieu de signaler, qu'une douzaine d'années avant leur découverte - le 24 octobre 1901 précisément - , une statue le représentant âgé de quatre-vingts ans environ, et empreint d'une force tranquille, avait été mise au jour par Georges Legrain, devant la face nord du VIIe pylône de Karnak. Ces statues nous offrent ainsi l'opportunité de mieux connaître ce grand sage en pouvant notamment comparer son "physique" à deux époques différentes de sa vie.
sources :
Georges Legrain, Au pylône d’Harmhabi à Karnak (Xe pylône), Annales du Service des antiquités de l'Égypte - Tome XIV, (ASAE 14), IFAO, Le Caire, 1914, p. 13-44
M. Georges Legrain, Rapport sur les travaux exécutés à Karnak du 25 septembre au 31 octobre 1901, Annales du Service des antiquités de l'Égypte - Tome II, (ASAE 14), IFAO, Le Caire, 1901
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5724454d/f288.item.r=Amenothès.texteImage
Claude Robichon, Alexandre Varille, Le Temple du scribe royal Amenhotep, fils de Hapou, Institut français d'archéologie orientale, Le Caire, 1936
http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k853167p
Guide du Musée d'art égyptien ancien de Louxor, Organisation des antiquités égyptiennes, République arabe d'Égypte, Le Caire 1978
Aménophis III, le Pharaon-Soleil, Réunion des musées nationaux, 1993
https://excerpts.numilog.com/books/9782711875849.pdf
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe von Zabern, 1997
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte, Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
Guide National Geographic, Les Trésors de l'Egypte ancienne au musée égyptien du Caire, 2004
Abeer el-Shahawy, Luxor Museum, The Glory of Ancient Thèbes, Farid Atiya Press, première édition 2005, seconde édition 2007
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