lundi 8 juin 2015

9 juin 1824 : Champollion découvre la collection Drovetti à Turin

Ramsès II tenant le sceptre héqa et coiffé du khepresh - Musée égyptien de Turin

Champollion a pris la diligence à Lyon et plusieurs jours lui ont été nécessaires afin de rejoindre Turin. Il est impatient de découvrir les trésors égyptiens que Sa Majesté, le roi de Sardaigne, vient d'acquérir. Il s'agit de la première collection "Drovetti", rassemblée par le Consul de France en poste en Égypte. Champollion vient en faire le catalogue "descriptif et raisonné". Sa demande, adressée par courrier le 15 février 1824 au chevalier Lodovico Costa, secrétaire d'État sarde, a été acceptée selon les termes qu'il avait lui-même proposés : "Je rédigerai votre catalogue de manière satisfaisante, j'ose l'espérer. Son impression ne serait pas une dépense pour votre gouvernement, puisque ce catalogue serait recherché partout : je ne demanderais pour cela qu'une indemnité de mes frais de voyage et de séjour..."

La "Drovettiana", dont : "les grosses pièces sont arrivées de Gênes sur des fardiers d'artillerie, est installée dans le beau palais dessiné au XVIIe siècle par Guarino Guarini en vue d'y établir un collège de Jésuites, puis transformé en Académie des sciences. Vastes salles, larges galeries, hauts plafonds, cours majestueuses, c'est un beau cadre pour la beauté..."

Statue d'Amenhotep II présentant les vases nou 
Musée égyptien de Turin

Dans le courrier qu'il adresse à son frère Jacques-Joseph, le 14 juin, il exprime ainsi son immense émerveillement : 
"Dès le 9, je fis mon entrée dans le Musée égyptien, et, depuis ce jour, j'y ai passé la plus grande partie de mon temps. Tu es, sans doute, fort impatient d'en avoir des nouvelles. Je te dirai en une phrase du pays : “questo è cosa stupenda” ; je ne m'attendais pas à pareille richesse. Je trouvai la cour garnie de colosses en granit rose et en basalte vert. Un groupe de 8 pieds représentant Amon-ra assis et ayant à ses côtés le roi Horus, fils d'Aménophis II de la XVIIIe, est d'un travail admirable ; je n'avais encore vu rien de si beau. Dans l'intérieur, encore des colosses ; une superbe statue colossale de Misphra-Thoutmosis, conservée comme si elle sortait de l'atelier du sculpteur ; un monolithe de 6 pieds de hauteur en granit rose, représentant Ramsès le Grand assis sur un trône, entre Amon-ra et Neith, travail exquis. Un colosse de Moeris, basalte vert d'une exécution étonnante ; une statue en pied d'Aménophis II ; une statue de Phtha du temps du même prince. Un groupe en grès, le roi Amenhotep et sa femme, la reine Atari ; une statue de Ramsès le Grand, plus que nature travaillée comme un camée, basalte vert magnifique. Sur les montants de son trône sont sculptés, en plein relief, son fils et sa femme. Une foule de statues funéraires en basalte, grès rouge, grès blanc, calcaire blanc, granit gris, parmi lesquelles est un homme accroupi portant sur la tunique quatre lignes de caractères démotiques. Au milieu de tout cela plus de 100 stèles de 4, 5 et 6 pieds de hauteur, un autel chargé d'inscriptions et une foule d'autres objets.
Ce n'est encore là qu'une partie de la collection ; il reste à ouvrir 2 ou 300 caisses ou paquets ; 47 manuscrits sont seulement déroulés ; la collection en renferme 171..."

Tout au long des huit mois qu'il passera à inventorier la "Drovettiana", Champollion ira d'émerveillements en émerveillements : "Je ne sais en vérité où le temps passe. Je ne perds pas un moment et cependant les jours fuient..." 

Il débute ses descriptions par la statuaire de la XVIIIe dynastie : "Mon but en décrivant ces statues est d'en tirer tout ce qu'elles offrent de moyens pour reconstruire en totalité cette dynastie. J'y démontrerai l'accord de monuments avec la Table d'Abydos et la concordance avec Manéthon et la Table Royale." 

Ainsi, comme le définit si justement Jean Lacouture : "Le linguiste se transforme en historien... Mais l'historien se double constamment d'un esthéticien passionné, presque militant."

Grâce à Champollion, la France achètera, trois ans plus tard, la seconde collection Drovetti (1970 pièces). Elle constituera, avec la collection Salt (4014 pièces), le fonds de la division des antiquités égyptiennes du musée Charles X inauguré à Paris le 15 décembre 1827.

marie grillot

sources :
Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988
Champollion, présenté par Robert Solé, collection autoportaits, Perrin, 2012

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