vendredi 29 mai 2015

Tourah : une carrière à marquer d'une pierre blanche

Au pied de la pyramide de Khéops : 
une rangée de blocs de revêtement en pierre de Tourah.

Peut-on imaginer les pyramides du plateau de Guizeh entièrement revêtues de leur parement d’origine, d’une belle pierre lisse et lumineuse donnant à chacun des trois édifices majeurs du site l’aspect d’un diamant ? Bien que le spectacle soit toujours aussi impressionnant, et à quelques détails près que nous devons au “chapeau” préservé de Khéphren, il nous faut aujourd’hui nous contenter de gigantesques escaliers sur les façades des monuments, leur habillage ayant disparu sous les coups destructeurs des bâtisseurs fatimides qui trouvaient là une carrière à bon marché pour la construction de leur ville du Caire. 
Le "chapeau" de la pyramide de Khéphren
Photo : Marc Chartier

Nous savons toutefois d’où furent extraits les blocs de pierre calcaire appareillés sur les façades de la Grande Pyramide et des deux autres merveilles de Guizeh. L’Égypte est riche en carrières de qualité : le Fayoum (calcaire), Assouan (granit), Ouadi Hammamat (grauwacke), etc., mais c’est bien à Tourah - cela est en tout cas communément admis - que les constructeurs pharaoniques allaient s’approvisionner par parachever leurs chefs-d’oeuvre architecturaux destinés à devenir des sépultures royales.
El-Maasara

Les carrières souterraines de Tourah, auxquelles sont habituellement adjointes celles d’el-Maasara, sont situées au sud du Caire, à environ 17 km de Guizeh, sur la rive orientale du Nil. La pierre que l’on en extrait, parfois appelée “pierre blanche d’Anou”, est disposée par strates régulières, ce qui facilite son exploitation. Les strates font de 0,8 à 1,5 m d'épaisseur et sont séparées par de petites couches argileuses.

Blanc, très fin, pas très poreux, le calcaire de ces carrières est d'une grande qualité. Il peut facilement être coupé et, lors de son exposition à l'air, il durcit, en devenant légèrement jaunâtre. "Les plus importantes [des carrières] qui donnaient le calcaire, écrit Maspero, sont à Tourah et à Massarah, presque en face de Memphis. La pierre en était très recherchée des sculpteurs et des architectes ; elle se prête merveilleusement à toutes les délicatesses du ciseau, durcit à l'air et se revêt d'une patine dont les tons crémeux reposent l'œil." ("L'archéologie égyptienne", 1887)

Des inscriptions, parvenues jusqu’à nous et étudiées notamment par Geoges Daressy, attestent de l’activité constante de cette carrière pendant de longs siècles. "Les carrières de Tourah, relève en 1840 Eusèbe François Salles dans "Pérégrinations en Orient", sont ornées de plusieurs sculptures égyptiennes et de quelques stèles où Champollion a lu les noms des pharaons, des rois perses, grecs et des empereurs romains qui firent exploiter la pierre calcaire pour bâtir ou pour réparer tous leurs édifices."
Carrière de Tourah, par Lepsius

Le recours, par les bâtisseurs de pyramides, à la pierre calcaire de Tourah nécessite quelques précisions supplémentaires. Nous les empruntons à l’architecte Jean-Pierre Houdin, auteur de très nombreuses et longues recherches sur la reconstitution du chantier des pyramides : "Depuis le début de la construction en pierre (pyramide de Saqqarah et mastabas) et avec le temps, explique-t-il, les expériences et les connaissances, les Égyptiens sont arrivés à la conclusion qu'ils seraient en mesure de construire de grandes pyramides lisses parfaites grâce aux qualités du calcaire de Tourah (un matériau qu’ils avaient déjà utilisé pour les façades). Le fait est que ce calcaire est à la fois presque blanc, très dense (densité 2,5) et a une granulation très fine, ce qui fait qu’il est très approprié pour le revêtement d'une pyramide. Mais surtout, en plus de cela, ce calcaire est tendre, alors qu'il est encore en strates dans la carrière, et il durcit rapidement après extraction. Comme les principaux outils de taille étaient des ciseaux et scies en cuivre, l'idée la plus logique était de couper et lisser définitivement les blocs de parement directement à la carrière après extraction. Ce faisant, les tailleurs de pierre bénéficiaient de la "tendreté" de la pierre calcaire et épargnaient leurs outils.

Ainsi, en étendant le travail à la carrière pour l'ensemble du parement, les Égyptiens ont imaginé une solution intelligente qui a résolu le problème de la précision : ils ont "préfabriqué" là-bas, bloc par bloc, les quatre faces de chaque assise. La hauteur de chaque assise a été déterminée par la hauteur de chaque strate dans laquelle les blocs ont été coupés. Chaque bloc d'une même assise a été coupé et lissé exactement en même temps que ses deux blocs adjacents (droite et gauche), puis tous les blocs d'une même assise et façade étaient entrecroisés pour vérifier la pente et la hauteur. Puis, et toujours à la carrière, les blocs "préfabriqués" ont été remis à leur place afin de “pré-construire" chaque rangée complète de façade, des marques de carriers étant alors ajoutées, celles-ci portant les informations de pose à l’intention des maçons qui travaillaient à la pyramide. Les Égyptiens ont presque inventé le code-barres.” ("Emhotep" et "Pyramidales" - liens ci-dessous)
Photo des frères Edgar (1905)

Quelque quarante-cinq siècles après leur construction, malgré le nombre incalculable d’études et de recherches qui leur ont été consacrées, les pyramides d’Égypte continuent de susciter notre interrogation sur les techniques mises en oeuvre pour leur construction. Mais surtout, elles n’en finissent pas de nous émerveiller.

Marc Chartier

sources :
http://www.immortelleegypte.com/articles.php?lng=fr&pg=1117
Relevé des inscriptions dans les arrières de Tourah par Georges Daressy :
http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5614870c/f296.texteImage.r=Tourah
http://pyramidales.blogspot.fr/2013/05/sans-explication-valable-pour-la-mise.html
http://emhotep.net/2013/05/09/locations/lower-egypt/giza-plateau-lower-egypt/the-facing-stones-of-the-large-pyramids-an-interview-with-jean-pierre-houdin/


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