Le roi Fouad décida que ce scandale devait prendre fin et ordonna la construction d’un grand mausolée de granit rose et de bronze, tombeau digne, par son architecture et sa richesse, des illustres souverains et dont il devait devenir le dernier abri. Pendant l’érection de ce monument, les momies furent soustraites à la vue du public ; une grande salle du Musée du Caire les recueillit. On les coucha dans des cercueils de bois précieux, et la porte de cette nécropole provisoire ne s’ouvrit plus désormais que pour de hautes personnalités autorisées par le roi Fouad lui-même à aller rendre, sous la conduite du grand chambellan, une protocolaire visite aux maîtres des dynasties disparues.
À la Chambre des députés, cette année-là, la discussion du budget sur les dépenses à engager pour les momies pharaoniques donna lieu à des débats aussi passionnés qu’inattendus ; les ténors wafdistes déclarèrent sans ménagement que les anciens tyrans d’un très lointain passé ne méritaient pas une si coûteuse sépulture. (...)
Entre le Wafd et le Palais, une bataille s’engagea sur le mausolée collectif des pharaons. Fouad gagna la première manche : en grande cérémonie, les momies furent déposées dans le monument qu’on leur avait préparé. À peine le souverain eut-il rendu le dernier soupir que ses adversaires politiques préparèrent leur revanche. À mi-mai 1936, devenus largement majoritaires au parlement, ils firent voter une loi déménageant les pharaons, les renvoyant au Musée national et annonçant le prochain transfert à leur place du corps de l’illustre Saad-Zaghloul décédé en 1927."
Momies de Séthi Ier et Ramsès II photographiées par Emile Brugsch en 1881 après leur arrivée à Boulaq ; "salon de Deir el Bahari" au musée de Guizeh (de 1890 à 1902) |
Lorsqu’Étienne Drioton arrive à la tête du service, "quelle ne fut pas sa surprise de trouver, dans le salon, les rois et les reines de l'Ancienne Égypte, bien rangés les unes contre les autres !” “Ce voisinage ne m’incommodera pas outre mesure, répondra-il aimablement à ses collaborateurs fortement ennuyés et qui s'activaient à préparer de nouvelles salles pour ces pauvres dépouilles ballottées comme de vulgaire paquets."
La vie rue Mariette Pacha s'installe donc en cette curieuse compagnie. "Et tous les matins, le bon abbé disait sa messe devant les pharaons couchés à ses pieds ; l’autel et son crucifix encadré de deux cierges étaient dressés au fond de la pièce. “Dominus vobiscum…” “Et cum spiritu tuo”, répondait la vieille maman du célébrant, seule admise à cet office quotidien. Une dernière et large bénédiction : “Ite missa est”. Mme Drioton mère, passait à travers les cercueils pour aller préparer le petit déjeuner de son chanoine de fils. Les cierges éteints, les pharaons retrouvaient le calme de leur éternité.”
MC
La majeure partie du texte provient de Trente ans au bord du Nil (Lieu commun, 1987), un ouvrage du journaliste Gabriel Dardaud (1899-1993), qui fut nommé directeur de l'AFP au Caire en 1944, et expulsé d'Égypte en 1956 lors de l'affaire du canal de Suez.
Compléments avec :
- Une passion égyptienne, Jean-Philippe et Marguerite Lauer, Claudine Le Tourneur d'Ison, Plon, 1996
- Etienne Drioton - l'Égypte, une passion, Michèle Juret, édité par Gérard Louis, 2013
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