vendredi 10 octobre 2014

Un barrage à deux branches pour irriguer le Delta


Évidemment, depuis qu’Assouan lui a volé la vedette, le barrage dit “du Nil”, construit à la hauteur de la ville d’al-Qanater Al-Khaïriya (28 km au nord du Caire), n’a pas droit aux mêmes égards touristiques.

Et pourtant, sa raison d’être mérite d’être soulignée : "Maintenir toute l’année à la même hauteur, lisons-nous dans le guide Baedeker (1908), le niveau du fleuve dans le Delta et au-dessus, tout en remplaçant les anciennes machines d’irrigation qui exigent un grand nombre de bras, et en supprimant les obstacles qui s’opposent à la navigation pendant les mois d’étiage."

Le "barrage du Nil" est double puisque le fleuve a décidé en cet endroit d’emprunter deux voies, l’une des deux branches s’orientant vers Damiette, l’autre bifurquant vers Rosette. La partie orientale est la plus longue : elle mesure 522 mètres et possède 71 vannes. Celle correspondant à la branche de Rosette a 438 mètres de long et comporte 61 portes d’écluse. 

L’idée d’une retenue d’eau à cet emplacement est fort ancienne. Elle remonte à Bonaparte, auquel on attribue ces mots : "Un jour viendra où I'on entreprendra un travail d'établissement de digues barrant les branches de Damiette et de Rosette au ventre de la vache (*), ce qui, moyennant des batardeaux, permettra de laisser passer successivement toutes les eaux du Nil dans une branche ou dans I'autre et de doubler ainsi l’inondation."

Le premier véritable initiateur du projet est Linant de Bellefonds. Mais la mise en oeuvre qu’il conçoit est jugée trop coûteuse, puisqu’elle inclut une dérivation du fleuve. L’ingénieur sera donc renvoyé à ses chères études, tout en ayant le mérite d’avoir dissuadé Méhémet Ali Pacha de détruire rien moins que les Grandes Pyramides de Guizeh pour en récupérer les pierres qui, au demeurant, auraient représenté un excellent matériau pour la construction du barrage ! D’autres relations historiques attribuent toutefois cette idée saugrenue à Abbas 1er, successeur de Méhémet Ali, le contradicteur étant alors l’ingénieur Dieudonné Eugène Mougel.

Ce dernier succède en effet en 1843, soit dix ans après le début du chantier, à Linant de Bellefonds. Son plan, qui consiste à œuvrer directement dans le lit du fleuve, est accepté. Le satisfecit du souverain lui vaut le titre honorifique de Bey. Mais les événements seront moins favorables par la suite : le projet, consistant à édifier, dans un mauvais sous-sol, deux ponts-barrages reliés par un quai sur chacun des deux bras principaux du Nil, s’avère lui aussi trop coûteux. Mougel est à son tour remercié et le chantier est abandonné en 1867, d’autant plus aisément qu’un ouvrage d’une autre envergure monopolise l’attention du gouvernement égyptien : le percement du canal de Suez.

C’est seulement de 1885 à 1890 que le barrage est achevé, avec l’intervention des Britanniques Colin Scott-Moncrieff et William Willcocks. Avec ses vannes, grandement améliorées, pouvant maintenant contenir jusqu'à 4 mètres de colonne d'eau, il est en état de prouver son utilité pour les travaux d’agriculture au coeur du Delta. Au moins jusque dans les années 1930, car il doit, suite à une mauvaise implantation, être consolidé à plusieurs reprises. En 1936, un second barrage est construit à deux cents mètres en aval par la société britannique McDonald Gibbs & Co. ; il est inauguré en décembre 1939.

En amont, le vieux barrage, qui a failli coûter à l’Égypte ses plus glorieuses pyramides, est maintenant un lieu de promenade verdoyant privilégié des Cairotes qui s'y rendent en navette fluviale.

"Le site du Barrage du Delta abrite aussi un musée de l’irrigation. Installé dans l’ancienne résidence de l’ingénieur en chef du barrage, ce musée possède une collection de maquettes des principaux ouvrages d’art du pays. L’ensemble retrace l’évolution de la technologie des barrages depuis 1860 jusqu’à nos jours. Il est en projet que les monuments d’Al-Qanater et ses vastes jardins d’antan soient développés et restaurés dans le cadre d’un appel lancé par Mohamad Abdel-Zaher, gouverneur de Qalioubiya. L’initiative vise à mettre en valeur cette zone touristique et à l’inclure dans la carte générale du tourisme en Egypte." (Dalia Farouq, "Al Ahram Hebdo" - 05/02/2014)

(*) Le Delta commence au nord de la ville du Caire, à quelque 150 km de la côte méditerranéenne, en un lieu, une 'pointe' que les Égyptiens nommaient (nomment ?) "le Ventre de la vache" ("Batn el-Baqara").

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