jeudi 9 octobre 2014

Tawfiq al-Hakim, un magistral écrivain


Né le 9 octobre 1898, dans la banlieue d'Alexandrie, Tawfiq al-Hakim connaît une jeunesse aisée, avec toutefois des restrictions imposées par un père autoritaire : 'juge érudit qui exige de ses enfants un sérieux égal au sien', et par la mentalité rigide de sa mère, issue de l’aristocratie turque.

Envoyé au Caire pour ses études secondaires et universitaires, il y entame, après l’obtention de son baccalauréat, une formation en droit, tout en suivant des cours de théâtre et de musique. 

En 1925, sa licence de droit en poche, il part pour la France, afin d’y préparer une thèse de doctorat à la Sorbonne. Mais il abandonne ses études pour ne plus s’intéresser qu’au théâtre en fréquentant les salles les plus prestigieuses. Bilan du séjour : après trois années passées à Paris, il retourne au pays… bredouille, sans doctorat ! Mais il sait désormais que la littérature sera sa voie, avec l’ambition de transformer le théâtre égyptien en comblant un vide entre les traditions populaires de la comédie burlesque ou mélodramatique, en vogue à l’époque, et les versions traduites des chefs-d'œuvre dramatiques européens.

Le parcours littéraire de ce pionnier de la littérature arabe moderne, disparu le 26 juillet 1987, est ponctué de diverses responsabilités : magistrat à Tanta, Damanhur, Dasuq, Far Sukur, Itay al-Barud et Kom Hamadah ; directeur des enquêtes au ministère de l'Éducation ; directeur du Service d'information du ministère des Affaires sociales ; directeur de la Bibliothèque nationale (poste que lui confie l’éminent écrivain, alors ministre, Taha Husayn) ; membre de l'Académie de la langue arabe ; membre du Conseil supérieur des Arts et des Lettres ; représentant de l’Égypte auprès de l’Unesco… 

Son oeuvre : "n’a jamais été aussi contemporaine qu’aujourd'hui" écrivait Alban de Ménonville dans "Al-Ahram Hebdo" du 8 mai 2013.

Tawfiq al-Hakim a puisé son inspiration dans des considérations philosophiques universelles, mais également, et sans doute surtout, dans son observation des réalités et transformations sociales de son pays, en particulier lors de la révolution de 1952, permettant à certains critiques d’établir des comparaisons avec la situation actuelle de l’Égypte. 

"Récemment, poursuivait Alban de Ménonville, plu­sieurs critiques ont relu Al-Hakim à la lumière des troubles qui ont précédé le 25 janvier 2011. Sa pièce de théâtre 'Praxis ou Le Problème du pouvoir' écrite en 1954 relate, vers sa fin, la sortie des masses indignées contre les élites et leur cor­ruption 'comme une mer rebelle', tandis que le peuple plonge dans la pauvreté."

Ses ouvrages ont fait l’objet de traductions et présentations en anglais, au nombre desquelles nous relevons deux publications récentes de l’American University in Cairo Press : "The Essential Tawfiq Al-Hakim", édité par Denys Johnson-Davies, AUC Press, 2013, et "Return of the Spirit", traduit par William M. Hutchins, AUC Press, 2013.

En langue française, par contre, c’est pour le moins la disette. Certes, quelques oeuvres ont fait, par le passé, l’objet de traductions, mais une recherche sur internet de ces références se termine généralement par un décourageant "épuisé". On appréciera donc avec d’autant plus de ferveur littéraire : L'oiseau d'Orient" (Nel, 2011, 176 pages), "L’âne de sagesse", (L’Harmattan, 2000, 119 pages), et surtout le "Journal d'un substitut de campagne en Égypte" (éditions du CNRS, collection Terre Humaine, 2009, 306 pages).

"Nommé en 1928 magistrat à Faraskour, l’auteur note dans (ce dernier ouvrage) ses aventures de justicier au pays des fellahs, avec un humour mordant mêlé à un permanent souci d’humanité et de tolérance. Doué d’un esprit aigu d’observation qu’il met au service de ses enquêtes criminelles, il fait revivre le peuple de la vallée du Nil, avec ses peines, ses joies, et son sens admirable de la solidarité. Un impitoyable réquisitoire contre la misère humaine et la corruption, un portrait déchirant de l’Égypte des humbles, un grand témoignage anthropologique par l’un des géants de la littérature arabe. Un remarquable classique de la collection 'Terre Humaine', dirigée par Jean Malaurie".

"Un livre essentiel parce qu’il y a là plus d’Égypte et plus de vérité que dans toute la bibliothèque inspirée par le peuple inimitable de la vallée du Nil." (Jean Lacouture)

"Un document politique qui se situe au-dessus des théories et des idéologies, il est le témoignage d’un homme qui n’a jamais cessé de s’inquiéter du sort de son peuple dont il ne s’est jamais séparé malgré l’écriture et la gloire." (Tahar ben Jelloun) (Quatrième de couverture)” (présentation de l’éditeur)

"Tewfik El-Hakim se place au point de jonction entre la recherche esthétique et le sens de la réalité populaire. Sa sensibilité alexandrine, sa culture profonde et une créativité perpétuellement en éveil ont fait de lui le chef de file d’un renouveau esthétique profondément enraciné dans le terroir national." (Sazdel Yassine, "L’Atelier d’Alexandrie", 1969)

Si l’ancrage dans le terreau de l’authenticité, joint à un regard à la fois universel et contemporain, est bien la marque des grands maîtres en littérature,Tawfiq al-Hakim en fait assurément partie.

Marc Chartier

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