En ce début de matinée du 3 octobre 1899, un bruit assourdissant fait trembler Louxor et retentit jusqu'à la West Bank. Onze colonnes de la salle hypostyle du grand temple d'Amon à Karnak viennent de s'effondrer, s'entraînant parfois mutuellement dans leur chute.
Voici les extraits du rapport rédigé par Georges Legrain, conservateur-dessinateur du Service des Antiquités, chargé par Jacques de Morgan, puis Victor Loret, d'effectuer les travaux de conservation de Karnak.
"Le 3 octobre 1899, vers 9 heures du matin, le surveillant Youssef Ahmed, qui était en tournée au mur d'enceinte est du temple, entendit un grand bruit semblable au tonnerre. Il courut aussitôt vers le temple et arriva assez à temps dans la salle hypostyle pour voir les colonnes 23 et 32 jetées le long du pylône de Ramsès. Le gafir Ahmed Suléiman, qui était au pied de l'obélisque de Thotmès, y était demeuré, apeuré et ne vint que quand le bruit fut éteint. Il entendit des chocs répétés et successifs"
Georges Legrain découvre un spectacle terrible, une vision apocalyptique de la plus belle partie du temple. On peut imaginer ce qu'il ressent alors qu'il diagnostique les dégâts. Les constatations sont édifiantes quant à la violence de l'événement : "La colonne n° 47 penchait vers l'est. Elle était reliée à la colonne 38 par deux lourdes pierres d'architraves qui ont suivi la colonne 38 dans sa chute vers l'ouest. Il a donc fallu pour cela qu'il y ait eu un arrachement violent, une poussée énorme capable de déplacer plus de 50,000 kilog. de pierre sur un point d'appui d'un mètre carré de surface environ. De fait, deux fragments se sont détachés d'un des deux blocs et demeurent encore sur le haut de la colonne 47 qui, elle, n'a nullement souffert de l'accident du 3 octobre 1899. Par contre les blocs de l'architrave ont été lancés contre la colonne 46 où ils se sont brisés. La colonne 46 penche depuis d'une façon inquiétante. (...) La colonne 44 reçut une architrave en plein corps. Les morceaux se sont disjoints, et la face sud-est est mutilée comme si un boulet de gros canon l'avait frappée. (...) La colonne 26 souffrit davantage. Frappée par la colonne 27 à la base de sa quatrième assise, elle céda, s'inclina. Chose plus grave encore, la deuxième et la troisième assise se fendirent, et un segment de plus du tiers de la superficie totale se détacha."
Une commission d'enquête est instituée afin de rechercher les causes du désastre. Elle se réunit sur place le 18 octobre et commence ses investigations. "Après un examen d'ensemble des lieux où la catastrophe s'est produite, la Commission a réglé la marche de ses travaux de la manière suivante : 1 - Constatation des faits ; 2 - Recherche des causes qui ont déterminé la chute ou l'ébranlement des colonnes ; 3 -Étude des moyens de consolidation qu'il y a lieu d'adopter pour prévenir de nouveaux dommages et réédifier, si possible, les colonnes tombées ou inclinées."
Quant aux causes, elles peuvent être de plusieurs ordres : "M. Legrain, dans son rapport, après Mariette pacha et les égyptologues qui ont écrit sur Karnak, émet l'idée d'un nouveau tremblement de terre local. Nous devons dire que nous n'avons recueilli aucun renseignement qui puisse confirmer cette hypothèse." Mais il n'est nullement nécessaire de recourir à une cause étrangère pour justifier la chute des colonnes 29 et 38, dont les fondations sont dans un état de décomposition tel que toute défaillance de quelques moellons arrivés à leur terme de résistance suffisait parfaitement à amener un défaut de stabilité capable de produire le renversement. Ceci étant encore aggravé par ce fait que les fondations sont de dimensions plus faibles que les colonnes elles-mêmes.
Enfin le moment où cet accident s'est produit semble justifier cette hypothèse. Le lavage de la salle hypostyle venait d'être fait et les eaux s'étaient retirées plus rapidement que d'habitude, ainsi qu'il résulte du rapport de M. Legrain, sans doute par suite de la baisse rapide du Nil. Seules quelques mares d'eau étaient restées dans la salle, qui se sont épuisées d'elles-mêmes par infiltrations en quelques jours. Les fondations se vidant de leur trop plein d'eau, rien de plus logique qu'un tassement, dans ces conditions, se soit produit brusquement."
Des mesures drastiques de sauvetage et de consolidation sont alors adoptées car : "la plupart des colonnes sont menacées, et ce que l'accident du 3 octobre a montré de leurs fondations doit donner la plus grande inquiétude pour l'avenir. Il faut absolument pouvoir visiter les fondations des colonnes et le plus souvent les réparer ou les refaire en totalité, si l'on veut être assuré de conserver la salle hypostyle encore quelques siècles."
Georges Legrain passera le reste de sa vie à consolider, reconstituer et remonter les colonnes de la salle hypostyle…
marie grillot
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