vendredi 26 septembre 2014

Tractations … monumentales

"Façade du temple de Louxor, vers 1800" - Aquarelle de François-Charles Cécile (1766-1840)
 photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Les frères Chuzeville
Les deux obélisques ont été donnés à la France par Méhémet Ali le 29 novembre 1830.
Celui de l'ouest a été érigé le 25 octobre 1836 place de la Concorde à Paris. 
Le second est resté à Louqsor suite au "renoncement" de François Mitterrand le 26 septembre 1981 

C'est en signe de bonne entente et afin de faire rayonner l'histoire de son pays que Méhémet Ali confirme, le 29 novembre 1830, le don des obélisques de Louqsor à Louis-Philippe souverain des Français. La France est désireuse d'embellir Paris, de l'orner de monuments somptueux, témoins de civilisations anciennes, et tenter ainsi de rivaliser avec Rome ou toute autre grande capitale européenne.

Mais il convient de remonter légèrement dans le temps afin de mieux retracer l'histoire.

"Dès le règne de Louis XVIII (1815-1824), les autorités françaises négocient avec Méhémet Ali pour acquérir l'un des obélisques de Thoutmosis III installés à Alexandrie et surnommés les Aiguilles de Cléopâtre".

Alors qu'il débarque à Alexandrie en août 1828, Jean-François Champollion souhaite les examiner. Il rend ainsi compte de sa visite : "J’arrivai enfin auprès des obélisques, situés devant le mur de la nouvelle enceinte qui les sépare de la mer dont ils sont éloignés de quelques toises seulement. De ces monuments, au nombre de deux, l’un est encore debout et l’autre renversé depuis fort longtemps. Tous deux en granit rose, comme ceux de Rome, et à peu près du même ton, ils ont environ soixante pieds de hauteur, y compris le pyramidion. […] Ainsi les obélisques d’Alexandrie remontent aux temps pharaoniques, comme la beauté de leur travail suffirait d’ailleurs pour le démontrer, et ont été sculptés à trois époques différentes, mais toujours dans la 18e dynastie. Ce sont les premiers voyageurs européens ou les premiers Francs établis à Alexandrie qui auront donné à ces monuments le nom d’Aiguilles de Cléopâtre, appellation aussi inexacte que le nom de Colonne de Pompée, appliqué à un monument des bas temps romains. […] Je suis allé plus souvent […] aux obélisques de Cléopâtre, dont celui qui est debout appartient au roi, qui devrait bien le faire prendre. Le voisin, renversé dans le sable, appartient aux Anglais".
"Les pauvres obélisques d’Alexandrie. Ils me font pitié depuis que j’ai vu ceux de Thèbes"
(Lettre de Jean-François Champollion du 4 juillet 1829)

Une constatation scientifique, factuelle, un peu froide même, dont on déduit - connaissant l'enthousiasme dont peut être capable Champollion - que le "coup de cœur" n'a pas eu lieu…

Le 24 novembre 1828, alors qu'il est à Thèbes, il écrit à son frère : "Je quittai la rive gauche du Nil pour visiter la partie orientale de Thèbes. Je vis d’abord Louxor, palais immense, précédé de deux obélisques de près de 80 pieds, d’un seul bloc de granit rose, d’un travail exquis…"

Et, depuis Biban-el-Molouk, le 25 mars 1829, il renvoie cette lettre dans laquelle on sent bien que sa préférence se dessine : "Je reviens encore à l’idée que, si le gouvernement veut un obélisque à Paris, il est de l’honneur national d’avoir un de ceux de Louxor (celui de droite en entrant), monolithe de la plus grande beauté… C’est devant le pylône nord du Ramesséion de Louxor que s’élèvent les deux célèbres obélisques de granit rose, d’un travail si pur et d’une si belle conservation. Ces deux masses énormes, véritables joyaux de plus de soixante-dix pieds de hauteur, ont été érigées à cette place par Ramsès le Grand […]."
La colonnade du temple de Louxor avec les statues colossales de Ramsès II et les obélisques de Ramsès
Comte de Forbin - Voyage dans le Levant en 1817 et 1818 (Paris: Delaunay, 1819)

Et, dans sa missive du 4 juillet 1829, il est déterminé et même entêté : " Les pauvres obélisques d’Alexandrie. Ils me font pitié depuis que j’ai vu ceux de Thèbes. Si on doit voir un obélisque à Paris, que ce soit un de ceux de Louxor. Mais je ne donnerai jamais mon adhésion (dont on pourra fort bien se passer du reste) au projet de scier en trois un de ces magnifiques monolithes. Ce serait un sacrilège : tout ou rien."

L'avis de Champollion est écouté par le roi. Diplomates et négociateurs entrent alors en action.

"Le 6 février 1830, pour négocier la cession des obélisques de Louxor, une ordonnance royale nomme le baron Taylor, commissaire du roi auprès du vice-roi d’Égypte. Il est reçu en audience par Méhémét Ali le 31 mai. Dès le 3 juin, il donne son accord officieux - confirmé officiellement le 29 novembre 1830 - pour le don à la France des deux obélisques de Louxor."
"Entrée du Temple de Louqsor avec vue sur le pylône, les colosses et l'obélisque 'est'"
 Aquarellle d'Hector Horeau publiée en 1841 dans "Panorama d'Égypte et de Nubie" 

L'obélisque de droite, après un long et périlleux transport, a été érigé place de la Concorde à Paris le mardi 25 octobre 1836. Quant à son jumeau, il demeure dressé dans le ciel d'Égypte.

En effet, le 26 septembre 1981, François Mitterrand - quelques mois seulement après son élection à la présidence de la République française - a renoncé officiellement au second obélisque du temple de Louqsor et l'a "rendu" à l'Égypte.
"Érection de l'obélisque de Louxor sur la place de la Concorde, le 25 octobre 1836"
par François Dubois (1790-1871)

À Louqsor, à Paris, et dans les autres villes où ils sont érigés, les obélisques ne cessent de rayonner et de témoigner de la puissance et de la grandeur de la civilisation pharaonique et de l'admiration inégalée qui lui est portée.

marie grillot

sources : 
Lettres de M. Champollion le jeune, écrites pendant son voyage en Égypte, en 1828 et 1829 Champollion, Jean-François (1790-1832). 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5772928d/f8.image.r=Denderah.langFR
Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988
Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836), Musée National de la Marine
http://www.musee-marine.fr/sites/default/files/dp_obelisque.pdf 

L'obélisque (ouest) du Temple de Louqsor a été érigé au centre de la Place de la Concorde
 le 25 octobre 1826 devenant le plus ancien monument de Paris


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