Jean-Jacques Rifaud naît à Marseille le 28 novembre 1786 dans une famille "aisée, sans être dans l'opulence". L'enfant se passionne peu pour sa scolarité mais montre des dispositions artistiques certaines. Il est placé en apprentissage auprès du sculpteur François-Barthélémy Chardigny qui lui inculque une excellente formation.
Alors qu’il n’a que 17 ans, il entreprend un tour de France, un "compagnonnage", vivant de son métier aux différentes étapes de son voyage. En 1805, il découvre Paris où il travaille dans plusieurs ateliers. "Sa première rencontre avec l'Egypte pharaonique, il la fait le ciseau et la gouge à la main, en sculptant des sphinx ailés et des palmettes dans l'acajou des fauteuils et des guéridons, chez un grand fournisseur de palais napoléoniens" nous apprend Jean-Jacques Fiechter dans "La moisson des dieux - La grande aventure de l'égyptologie".
Réfractaire à l'armée, il tente d'être réformé, mais doit quand même se rendre en Espagne, où semble-t-il, il est amené à déserter. Son appartenance à la franc-maçonnerie lui permet de bénéficier de la protection de grands d'Espagne. Il se rend ensuite à Chypre puis met cap sur l'Egypte où il débarque, à Alexandrie, en janvier 1814.
Bernardino Drovetti (Barbania 4 janvier 1776-Turin 1852)
Consul de France en Egypte de 1804-1811 puis de 1821 à 1829
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Dès son arrivée, il se présente à l’antiquaire italien, consul de France en Égypte, Bernardino Drovetti qui lui réserve un très bon accueil. Ils entretiennent rapidement de très bonnes relations : "Avec Rifaud, Drovetti a enfin quelqu'un avec qui il peut partager sa passion pour les antiquités égyptiennes" (Jean-Jacques Fiechter). Drovetti l'introduit auprès de nombreuses personnalités et lui présente également son nouveau "collaborateur" Frédéric Caillaud.
Alors que Rifaud est approché par le consul anglais Henry Salt qui souhaite le recruter, Drovetti estime qu'il ne peut se permettre de perdre un tel allié ; il se décide alors à engager "son turbulent ami aux mêmes conditions" et il ajoute "votre travail sera pour la France et non pour l'étranger" (Jean-Jacques Fiechter).
En septembre 1816, Rifaud fait voile vers Thèbes où il s’installe pour mener des fouilles … Giovanni Battista Belzoni (qu'il appellera plus tard "son plus cruel ennemi") s'y trouve également.
En un accord plus ou moins implicite - mais "violé" bien des fois, ils se partagent le terrain… L'équipe de Bernardino Drovetti, consul général de France, avec notamment Jean-Jacques Rifaud et Frédéric Caillaud "travaille" - plutôt sur la rive est, tandis que celle d'Henri Salt, consul d'Angleterre, qui emploie principalement Giovanni Battista Belzoni, "œuvre" sur la rive ouest. Mais dans cette course effrénée à la découverte, la concurrence est telle qu'elle induit des pratiques peu respectueuses. Les protagonistes de cette "guerre des consuls" ne s'embarrasseront pas de scrupules !
Statue de Sethi II - Nouvel Empire, XIXe dynastie
Découverte en 1818 dans le temple d'Amon à Karnak par Jean-Jacques Rifaud
Musée Egyptien de Turin (Collection Drovetti -1824) - C 1382
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Rifaud découvrira un nombre impressionnant de statues, monuments et artefacts divers qui ornent aujourd'hui les plus grands musées d'Europe, notamment Turin et le Louvre. En effet, Turin achètera, en 1824, la première "drovettiana" ; sur le socle d'une statue "d'Osymandias", on peut lire encore aujourd'hui, en lettres gravées "Découvert par Jean Rifaud, sculpteur au service de M. Drovetti, à Thèbes, 1818". Trois ans plus tard, sous l'impulsion de Champollion, le Louvre, se portera acquéreur de la seconde collection Drovetti (1970 pièces).
Pendant ces longues années passées en Egypte, Rifaud - qui "s'est fait un nom" - rencontrera bon nombre de personnes faisant le voyage en Orient … ainsi le Comte Carlo Vidua, écrira de lui "S’il existe encore un M. Rifaud Provençal, sculpteur, homme actif et obligeant, il vous conduira partout".
En 1823, il quitte la Haute-Egypte pour fouiller dans la province du Fayoum, puis de 1824 à 1826 dans le Delta, une zone encore inconnue des archéologues. Il se consacre notamment à l'ancienne Tanis, où il découvre onze statues royales et deux grands sphinx de granite rose qui se trouvent aujourd'hui au musée du Louvre. Le croquis qu’il fait du site sera d'ailleurs utilisé par Jean Yoyotte, lors des fouilles qu'il dirigera de 1965 à 1985.
Le temps est venu de quitter l'Egypte : "Absent de la France depuis plus de vingt-cinq années, écrira Rifaud au terme de son séjour sur les rives du Nil, je suis resté en Égypte jusqu'à la fin de 1826, occupé à étudier la langue, les usages et les mœurs. J'ai parcouru en tous sens cette terre classique des arts, recherchant ses monuments enfouis sous le sable, observant ses productions, traçant les plans de ses villes détruites, relevant la carte de ses provinces ignorées."
"Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, ou Itinéraire à l'usage des voyageurs qui visitent ces contrées" publié par Jean-Jacques Rifaud en 1830 |
En 1827, il rentre à Marseille d'où il rappelle à Forbin la promesse qu'il lui avait faite de lui procurer un poste dans un musée. Il espère également voir la création d'un musée consacré à ses travaux et recherches, mais aucun de ces deux projets n'aboutira. Il cherche alors à publier le "fruit de ses travaux", à savoir une abondante collection de croquis, mais les souscripteurs font défaut. Rifaud parcourt alors l’Europe (Royaume-Uni, Russie, Hollande, Allemagne, Belgique…) à la recherche de soutiens financiers pour pouvoir publier son grand ouvrage, le "Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, ou Itinéraire à l'usage des voyageurs qui visitent ces contrées", dont il prévoit "5 volumes de texte in 8° ornés de 300 planches représentant les mœurs de ces contrées, costumes, cérémonies religieuses et autres fêtes, amusements et monuments, plans topographiques, histoire naturelle, et tout ce qui a rapport à l'industrie et à l'agriculture des habitants".
Un premier volume est publié en 1830 : il est considéré comme "l’un des tout premiers guides de voyage". Les autres, malheureusement, ne verront jamais le jour.
"Les errances de Jean-Jacques Rifaud vont le mener à Genève durant les derniers mois de sa vie. Voyageant toujours avec ses manuscrits, il espérait encore pouvoir terminer son oeuvre. Ses précieux documents ont été trouvés, dans la chambre où il est mort, le 9 septembre 1852, au n° 6 de la rue Winkelried. Rifaud n'ayant pas d'héritiers, ils furent mis sous scellés, puis vendus aux enchères six mois plus tard, le 26 mars 1853, avec le reste de ses biens.
Lors de cette vente, une quarantaine de documents furent achetés "par le chancelier Marc Viridet qui les revendit à la Bibliothèque [de Genève]. Nous ne connaissons pas la nature exacte de ces documents. Il pourrait aussi bien s'agir des planches de dessins que des manuscrits, voire des deux.” (Bibliothèque de Genève, Département des manuscrits et des archives privées). Par ailleurs, 189 de ses lithographies sont conservées dans les collections de la Société royale d'Archéologie, d'Histoire et de Folklore de Nivelles et du Brabant wallon au Musée communal de Nivelles.
Planche originale de Jean-Jacques Rifaud publiée en 1830 dans
"Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, ou Itinéraire à l'usage des voyageurs qui visitent ces contrées"
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Grâce aux patientes études et recherches de certains égyptologues, l'important travail mené par Rifaud sort de l'ombre … En 1998, la Société royale d'Archéologie, d'Histoire et de Folklore de Nivelles et de Brabant wallon a édité, sous la direction de Marie-Cécile Bruwier, un livre catalogue "L’Égypte au regard de J.-J. Rifaud" présentant 60 planches lithographiques de Rifaud. En 2014, l'intégralité des planches - connues à ce jour - que Rifaud a consacrées à l’Égypte ont été publiées, sous la direction de Marie-Cécile Bruwier, Wouter Claes et Arnaud Quertimont dans l'ouvrage "La Description de l'Egypte" de Jean-Jacques Rifaud (1813-1826). Qu'il traite des monuments, de zoologie, de botanique, ou bien encore d'ethnographie, son talent s'impose dans chaque "Rifaldiana" !
Et d'après Silvana Cincotti qui consacre ses travaux à "La Collection égyptienne de Turin et le Fonds Rifaud" : "La poursuite de l’analyse des documents conservés dans le fonds Rifaud permettra sans doute à l’avenir d’approfondir nos connaissances sur les premières fouilles qui ont eu lieu à Karnak et également de définir l’origine des oeuvres d’art aujourd’hui conservées au Musée Égyptien de Turin"...
Marc Chartier - marie grillot
sources :
La moisson des dieux - La grande aventure de l'égyptologie, Jean-Jacques Fiechter
Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, Jean-Jacques Rifaud
https://archive.org/details/tableaudelgypte00rifagoog
Interview de Silvana Cincotti à Egypte-actualités sur Jean-Jacques Rifaud, mars 2016
https://egyptophile.blogspot.com/2016/03/silvana-cincotti-jean-jacques-rifaud.html?q=silvana
Les fouilles dans le Musée la collection égyptienne de Turin et le Fonds Rifaud, Cincotti Silvana, Cahiers de Karnak 14, 2013
https://www.academia.edu/4165003/Cincotti_Silvana_Les_fouilles_dans_le_Musee_la_collection_egyptienne_de_Turin_et_le_Fonds_Rifaud
Bibliothèque de Genève - Département des manuscrits et des archives privées - Papiers Jean-Jacques Rifaud
1786-1852
http://w3public.ville-ge.ch/bge/odyssee.nsf/Attachments/rifaud_jeanjacquesframeset.htm/$file/rifaud_jeanjacquesframeset.htm?OpenElement
"La Description de l'Egypte" de Jean-Jacques Rifaud (1813-1826), Marie-Cécile Bruwier, Wouter Claes & Arnaud Quertinmont (dir.)
http://www.safran.be/proddetail.php?prod=RIFAUD
Note sur l'illustration principale :
Le dessin original - réalisé au crayon noir par Jean-Pierre Granger (dessinateur du Comte de Forbin) à l'automne 1818 - se trouve au Louvre (RF399). Il est à noter que, dans "la quasi-totalité des reproductions, le cliché a été inversé". Voici l'interprétation que Jean-Jacques Fiechter ("La moisson des dieux - La grande aventure de l'égyptologie") donne des personnages : Bernardino Drovetti tient le fil à plomb. Appuyé contre la tête colossale à gauche du tableau, enturbanné et barbu, le Comte de Forbin qui fait le pendant à Drovetti. Derrière lui, coiffé d'un turban, Linant de Bellefonds. Etendu à ses pieds, son jeune domestique. A l'extrême gauche, un guide nubien. Derrière Drovetti, on reconnaît le visage énergique de Rifaud. Deux personnages en costumes turcs complètent l'équipe de fouilleurs français : Youssef Rossignana, et, plus en arrière, la haute stature de Lebolo.
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