Portrait juvénile inédit de Jean-François Champollion, paru dans la “Grammaire égyptienne” |
En ce 14 septembre 1828, depuis Alexandrie qu'il s'apprête à quitter, Jean-François Champollion écrit à son frère : "Mon départ pour le Caire est définitivement arrêté pour demain, tous nos préparatifs étant heureusement terminés, ainsi que ce que je puis appeler l'organisation de l'expédition, chacun ayant sa part officielle d'action pour le bien de tous. Le docteur Ricci est chargé de la santé et des vivres ; M. Duchesne, de l'arsenal ; M. Bibent, des fouilles, ustensiles et engins ; M. Lhôte, des finances ; M. Gaëtano Rosellini, du mobilier et des bagages, etc. Nous avons avec nous deux domestiques et un cuisinier arabes ; deux autres domestiques barabras ; mon homme à moi, Soliman, est un Arabe, de belle mine, et dont le service est excellent.
Deux bâtiments à voile nous porteront sur le Nil ; l'un est le plus grand maasch du pays, et il a été monté par S.A. Mehemed-Ali : je l'ai nommé l'Isis ; l'autre est une dahabié, où cinq personnes logeront assez commodément ; j'en ai donné le commandement à M. Duchesne, en survivance du bon docteur Raddi, qui doit nous quitter pour aller à la chasse des papillons dans le désert lybique. Cette dahabié a reçu le nom d'Athyr : nous voguerons ainsi sous les auspices des deux déesses les plus joviales du Panthéon égyptien… Notre santé se soutient, et l'épreuve du climat d'Alexandrie, qui est une ville toute lybique, est d'un très bon augure.
Nous sommes tous enchantés de notre voyage, et heureux d'avoir échappé aux dépêches télégraphiques qui devaient nous retarder. Les circonstances de mauvaise apparence ont toutes tourné pour nous ; quelques difficultés inattendues sont aplanies : nous voyageons pour le Roi et pour la science ; nous serons heureux partout.
Je viens à l'instant (huit heures du soir) de prendre congé du vice-roi. S.A. a été on ne peut pas plus gracieuse ; je l'ai priée d'agréer notre gratitude pour la protection ouverte qu'elle veut bien nous assurer. Le vice-roi a répondu que les princes chrétiens traitant ses sujets avec distinction, la réciprocité était pour lui un devoir. Nous avons parlé hiéroglyphes, et il m'a demandé une traduction des inscriptions des obélisques d'Alexandrie. Je me suis empressé de la lui promettre, et elle lui sera remise demain matin, mise en langue turque par M. le chancelier du consulat de France. S.A. a désiré savoir jusqu'à quel point de la Nubie je pousserai mon voyage, et elle m'a assuré que nous trouverions partout honneurs et protection…"
Dans la lettre suivante, il retrace son voyage et raconte sa première vue des pyramides : "Le 19 au matin, nous vîmes enfin les Pyramides, dont on pouvait déjà apprécier les masses, quoique nous fussions à huit lieues de distance. A l'occident, les Pyramides s'élèvent au milieu des palmiers ; une multitude de barques et de bâtiments se croisent dans tous les sens ; à l'orient, le village très pittoresque de Schoraféh ; dans la direction d'Héliopolis le fond du tableau est occupé par le mont Mokattam, que couronne la citadelle du Caire, et dont la base est cachée par la forêt de minarets de cette grande capitale. A trois heures, nous vîmes le Caire plus distinctement. (...)
On a dit beaucoup de mal du Caire ; pour moi, je m'y trouve fort bien ; et ces rues de 8 à 10 pieds de largeur, si décriées, me paraissent parfaitement bien calculées pour éviter la trop grande chaleur."
Il visitera les mosquées, s'émerveillera devant de nombreux édifices qui lui feront écrire que "le Caire est encore une ville des Mille et une Nuits". Il visitera la Citadelle, le fameux puits de Joseph, la ménagerie du pacha…
Entre deux visites "protocolaires", il se rendra à Memphis, à Sakarrah, Dahschour et Guizeh, avant de mettre "le cap sur Thèbes, où, écrit-il, je serai vers la fin d'octobre, après m'être arrêté quelques heures à Abydos et a Dendérah".
Car c'est bien Thèbes qu'il attend de toutes ses forces… et il l'écrit en ces termes fougueux dont la conclusion est sublime "Nous cinglerons à force de voiles pour la Haute- Egypte, mon véritable quartier-général. Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard."
marie grillot
sources
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