Ingénieur agronome égyptien d’origine grecque, fils de l'égyptologue Albert Daninos Pacha, Adrien Daninos (Alexandrie, 1er avril 1887 - Le Caire, 23 septembre 1976) eut le premier l’idée, en 1948, de la construction d’un haut barrage de retenue des eaux du Nil égyptien.
Pour commémorer la disparition de ce visionnaire dont le projet allait avoir une influence majeure sur le destin du peuple égyptien, "Égypte actualités" a fait appel au talent du romancier-historien Gilbert Sinoué qui a aimablement répondu à notre sollicitation.
Qu’il en soit ici à nouveau très cordialement remercié.
Le texte qui suit est extrait de son livre “Le colonel et l’enfant-roi”, éditions J. C. Lattès, 2006
"Sept jours après le coup d’État, soit le 30 juillet 1952, un homme aux cheveux hirsutes fait irruption dans le quartier général de Koubbeh où sont réunis les Officiers libres. Il est reçu par Ali Sabri.
Ce dernier examine l’intrus avec une certaine méfiance. Sa mise n’est pas nette et il semble en proie à une fébrilité peu ordinaire.
- Je m’appelle Daninos, commence l’homme. Adrien Daninos. Ingénieur agronome. Je suis d’origine grecque, né en Égypte. J’aimerais vous soumettre un projet qui serait de la plus grande utilité pour notre pays. je vous prierai de bien vouloir l’étudier sérieusement.
Si, malgré ses réticences, Sabri invite l’homme à poursuivre, c’est uniquement parce que le nom de Daninos ne lui est pas inconnu. Il est lié à l’une des plus illustres familles grecques implantées en Égypte au début du XIXe siècle. Le père, Albert Daninos, personnage fortuné, a même été promu pacha par le roi Fouad.
- Je vous en conjure, reprend le Grec. Ne faites pas comme d’autres Égyptiens ou Européens qui, lorsque je leur ai soumis mon projet, ont cru que je n’étais pas sain d’esprit. Sachez que toute ma fortune s’élevait à cent feddans et que j’ai tout vendu pour me consacrer à la préparation du plan que je vais vous exposer. Sachez aussi que je me suis rendu plus d’une fois en Europe pour soumettre mon idée aux gouvernements étrangers et les persuader de la mettre à exécution. Toutes mes tentatives ont été vaines ! Et je n’ai pas eu plus de succès auprès des ministres de Fouad ou de Farouk. On m’a accusé de démence, à tel point qu’aux yeux de tous, j’étais devenu un véritable aliéné… Vous me comprenez ?
Sabri répond par un signe approbateur, mais en vérité, il est dépassé.
- Continuez, je vous prie.
- Depuis une semaine, tout a changé en Égypte. La révolution me redonne un peu d’espoir. C’est pour cela que je me suis permis de venir vous voir.
Daninos dépose un épais dossier sur le bureau de son interlocuteur et enchaîne :
- Voici tout mon travail. Mon seul rêve est de le voir se concrétiser. Cela me consolerait des sacrifices que j’ai dû m’imposer jusqu’ici.
Sabri promet de transmettre le mystérieux projet, mais demande :
- Dites-moi au moins en quoi consiste votre idée.
- Un barrage ! Le plus grand barrage du monde !
- Un barrage ?
Une fois que le Grec se fut retiré, Sabri, mû par un pressentiment, décide de confier le dossier aux ingénieurs du quartier général, parmi lesquels le colonel Mahmoud Younès. Après une étude rapide, et au grand étonnement du Conseil de la révolution, Younès déclare que le projet Daninos n’a rien d’utopique."
La suite est connue : "Le haut barrage d'Assouan, édifié sur le Nil en Haute-Égypte, a finalement été réalisé avec l'aide des Soviétiques (...). Constituant l'un des plus importants barrages du monde - avec une hauteur de 111 mètres et une longueur de 3 800 mètres - il a été inauguré le 15 janvier 1971, après onze années de travaux, par le président égyptien Anouar al-Sadate et le président du Soviet suprême Nikolaï Viktorovitch Podgorny. Sa capacité de stockage est de 169 milliards de mètres cubes d'eau." (Encyclopaedia universalis). Un certain Adrien Daninos avait vu loin. L’avenir allait lui donner raison...
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