samedi 30 août 2014

La "Tête de princesse amarnienne" du Louvre : un titre, un numéro, mais elle demeure anonyme

Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre E 14715 (par acquisition de 1937)
"C'est au début de 1937 que le Conseil des Musées Nationaux a autorisé l'entrée au Louvre de ce nouveau spécimen de l'art d'el-Amarna" : c'est ainsi que Charles Boreux (directeur du département égyptien du Louvre de 1929 à 1946) annonce l'arrivée de cette princesse ! 

L'artisan talentueux qui a sculpté ce visage, haut d'à peine plus de 16 cm, a su lui insuffler une très forte personnalité. Son port de tête confirme la noblesse de sa naissance alors que son expression traduit le charme de sa jeunesse, conjugué à une tristesse latente, presque boudeuse. 

Il a apporté un soin tout particulier au traitement de sa charmante coiffure qui devait être à la dernière mode de l'époque… Dans "Les statues égyptiennes du Nouvel Empire", Christophe Barbotin la décrit ainsi : "Perruque ronde, cachant les oreilles, à mèches tubulaires rayonnant à partir du centre de la  tête. Tresse latérale serrée par un bandeau, à mèches fines traitées en zigzags. Le tiers inférieur de la tresse est constitué des terminaisons verticales des mèches précitées". Il précise en outre que "ce type de coiffure est très parfaitement attesté à la XVIIIe dynastie, notamment pour les filles d'Akhénaton".
Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 14715 (par acquisition de 1937)
photo © 2001 Musée du Louvre / Georges Poncet

Ses grands yeux sont bordés de noir avec une ligne de fard qui se prolonge ; ses sourcils sont parfaitement dessinés. Son visage est ovale, mais avec des joues "rondes et douces" (Dorothea Arnold) qui vont en s'affinant vers un menton plutôt arrondi. Ses lèvres délicatement ourlées n'esquissent aucun sourire, et l'expression générale du visage retranscrit une certaine gravité. 

Cette sensation est très certainement accentuée par son état "fragmentaire" et par les souffrances "physiques" qu'elle affiche. La couche de peinture ocre-rouge qui recouvrait le visage a en grande partie disparu laissant le calcaire "à vif". L'extrémité du nez est abîmée, les épaules manquent, les traces du collier bleu se sont estompées, les plis de la robe de lin sont à peine perceptibles… Elle est à jamais mutilée, à jamais séparée de son corps.
Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 14715 (par acquisition de 1937)
photo © 2001 Musée du Louvre / Georges Poncet

Que nous aimerions connaître son histoire ! Que nous aimerions que ce visage nous parle ! Que nous aimerions connaître son identité… 

Les égyptologues ont des avis partagés sur sa "filiation" : une fille d'Aménophis III, selon Christiane Desroches Noblecourt ; une fille d'Akhenaton, selon Robert Hari ; plus précisément Méritaton pour Marc Gabolde. Pourquoi ces hésitations ? Peut-être parce que sa coiffure est "typiquement" amarnienne, alors que son visage n'en a pas les principales caractéristiques ?
Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre E 14715 (par acquisition de 1937)

Voici des extraits de l'intéressante étude rédigée en 1938 par Charles Boreux : "Une nouvelle tête amarnienne du Musée du Louvre". Il y traduit, avec beaucoup de sensibilité, ce que nous ressentons ou pressentons. "La nouvelle tête du Louvre ne saurait constituer qu'une présomption - basée sur la ressemblance présentée par cette coiffure avec la coiffure habituelle des filles d'Aménophis IV - que cette tête appartenait bien, en effet, à une statuette figurant l'une de ces princesses. Cette présomption, toutefois, est si grandement confirmée par l'aspect général de l'oeuvre qu'elle équivaut, croyons-nous, à une certitude ; en dernière analyse, l'argument de style, si l'on peut dire, prime ici, comme il arrive si souvent, tous les arguments archéologiques dont on essaie de l'appuyer. Pour peu que l'on examine un instant le profil… son nez légèrement busqué - dont la mutilation qu'a subie la partie droite laisse suffisamment subsister, cependant, la courbure caractéristique - surtout son menton affaissé, au prognathisme peu accentué, mais qui ne s'en apparente pas moins tout de suite, de façon frappante, à celui d'Aménophis IV, tous ces détails ne sauraient laisser aucun doute, semble-t-il, que nous avons bien affaire ici à l'une des princesses nées de ce roi, et qui avait, comme toutes ses soeurs, hérité de son père son "faciès" si typique… On peut se demander, en revanche, si la tête du Louvre est bien, en effet, celle d'une fille d'Aménophis IV - pourquoi le crâne n'en présente pas cette déformation que ces mêmes artistes, dans les oeuvres en ronde bosse aussi bien que dans les bas-reliefs, ont poussée si souvent jusqu'à la caricature, et dont la nature exacte reste encore à déterminer."
Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre E 14715 (par acquisition de 1937)

Et de poursuivre : "La tête récemment entrée au Louvre peut compter parmi les oeuvres les plus achevées, encore une fois, d'un règne qui nous en a déjà, et en si grand nombre, laissé de si séduisantes. Ce délicat profil de jeune fille ou de très jeune femme ne reflète pas seulement toute la grâce un peu sauvage de l'adolescence orientale ; derrière le visage au charme presque morbide, incliné comme sous le poids de la lourde hérédité paternelle, on lit aussi toute la mélancolie de cette époque amarnienne, secouée dans ses anciennes croyances, et mal affermie encore dans ses nouvelles, si visiblement tourmentée d'une grande inquiétude angoissée devant les problèmes éternels. Et sans doute est-ce par là, surtout, parce qu'elle traduit une sensibilité frémissante si proche de la nôtre, que l'oeuvre nous apparaît, aujourd'hui encore, si profondément et si directement émouvante."
Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre E 14715 (par acquisition de 1937)

Dans "Les antiquités égyptiennes au Musée du Louvre", Jacques Vandier estime que la princesse "traitée dans un style adouci… plus aimable et plus humaine", appartiendrait plutôt "à la fin du règne".

Quant à Christophe Barbotin, il s'exprime ainsi : "L'expression boudeuse, le léger prognathisme, le collier très enveloppant sont propres à l'art amarnien. L'absence de déformation de la tête qui caractérise ordinairement les filles d'Akhénaton… ne constitue donc pas un argument contre la datation amarnienne".

Ainsi cette jeune princesse ne cesse de susciter de nombreuses questions… qui demeurent, pour la plupart sans réponse… Mais ce qui est assuré, c'est qu'elle émeut … et nous ne pouvons que souscrire à ce que, dans son ouvrage "Reines du Nil", Christian Leblanc écrit sur ces artistes de la "cité du Globe Aton" qui ont su "communiquer cette extraordinaire impression de réalisme et de naturalisme, si touchante et si frémissante de vie, qui caractérise avec tant de génie l'époque amarnienne".
Tête d'une princesse de la famille d'Akhenaton - calcaire peint - XVIIIe dynastie 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre E 14715 (par acquisition de 1937)

Charles Boreux, qui semble décidément être totalement séduit, exprime cette analyse aussi sensible que subtile  : "Il est vrai que, devant une oeuvre comme la tête du Louvre, il est sans doute préférable de s'abandonner au charme qu'elle dégage, plutôt que de vouloir, à tout prix, préciser sa signification exacte ; et c'est tout au plus si l'on est en droit, en essayant d'analyser l'émotion qu'elle suscite, d'essayer en même temps d'accroître encore, sinon l'intensité, tout au moins la qualité de cette émotion elle-même."

La princesse inconnue, qui appartenait auparavant au collectionneur Hagop Kevorkian, est exposée dans la salle 638 consacrée "Au temps d'Akhénaton et de Néfertiti", sous le n° d'inventaire E 14715.

marie grillot

sources :
Tête de princesse amarnienne
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010006984
Charles Boreux, Une nouvelle tête amarnienne du Musée du Louvre, Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 36, fascicule 1-2, 1938. pp. 1-26
doi : https://doi.org/10.3406/piot.1938.1927
https://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1938_num_36_1_1927
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6116439t/f7.image.r=tête%20amarnienne.langFR 
Jacques Vandier, Les antiquités égyptiennes au musée du Louvre, Musées Nationaux, 1970
Guillemette Andreu, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L'Egypte ancienne au Louvre, Hachette, 1997
Arnold, Dorothea, Lyn Green, James Allen, The Royal Women of Amarna : Images of Beauty from Ancient Egypt, Dorothea Arnold, Metropolitan Museum of Art (New York, N.Y.), 1999
https://books.google.fr/books?id=sGLFwVkljQMC&pg=PR12&lpg=PR12&dq=Harkness+edward+queen+Tiye&source=bl&ots=MulVu6vNWS&sig=zL2tg-zHcQ2Ia-ra5NSPtbXaYtE&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjl5ua_oY7KAhWCQxoKHX_qBXYQ6AEIMjAC#v=onepage&q=yellow&f=false
https://www.metmuseum.org/art/metpublications/The_Royal_Women_of_Amarna_Images_of_Beauty_from_Ancient_Egypt
Christophe Barbotin, Les statues égyptiennes du Nouvel Empire : Tome 1, Statues royales et divines, Editions Khéops, Musée du Louvre éditions, 2007
Christian Leblanc, Les Reines du Nil, Bibliothèque des Introuvables, 2009
Christophe Barbotin, Les statues égyptiennes du Nouvel Empire au Louvre : une synthèse, Université de Strasbourg, 2017
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01880296/document

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