jeudi 21 août 2014

Georges Legrain : Karnak était son domaine, Karnak était sa maison

Georges Legrain (à gauche) avec le compositeur Camille Saint-Saens 
près du scarabée géant en granit rose de Karnak (1912)

Georges Legrain, fils d'un ouvrier typographe, est né à Paris le 4 octobre 1865. De 1883 à 1890, il est élève aux Beaux-Arts, fréquente l'atelier du peintre Jean-Léon Gérôme, et suit des cours à l'École du Louvre, à la Sorbonne et au Collège de France. Après avoir soutenu une thèse sur l'étude d'un papyrus en démotique, il part pour l'Égypte en 1892. Le "Who Was Who in Egyptology" fait ainsi état de ses premières missions : "il travailla pour l'IFAO en 1892 : il copia des graffitis autour d'Assouan, les trésors du monastère de Saint-Siméon et des scènes dans les tombes de Qubbet el-Hawa, 1892-1897; il a également réalisé beaucoup d’enregistrements dans la région située entre Assouan et Kom Ombo, où il a commencé avec Bouriant et d’autres à reproduire intégralement le temple; il était à El-Amarna, 1893-1894, les résultats de son travail étant utilisés dans le livre de Bouriant; il a également fourni des illustrations à l'aquarelle des bijoux des princesses de Dahshur dans la publication de de Morgan; il fut nommé inspecteur-dessinateur, 1894; il fit d'autres copies à Kom Ombo et découvrit également la nécropole archaïque de Gebel el-Silsila, 1894-1895".

En 1895, Jacques de Morgan, alors directeur du service des antiquités, le nomme à la "Direction des travaux de Karnak" qu'il vient de créer (et qui deviendra le CFEETK*).
Georges Legrain (Paris 4-10-1865 - Louqsor 22-8-1917) 

Il devient dès lors "l'homme de Karnak" comme Pierre Montet sera l'homme de Tanis ou Jean-Philippe Lauer l'homme de Saqqarah.

Pendant 22 ans, de 1895 à 1917, chef de chantier, ingénieur, architecte, déblayant ici, excavant là, remontant colonnes et piliers, assainissant, consolidant, il mettra à jour des pans entiers d'histoire.

Dans l'œuvre considérable qu'il mène, aidé d'une centaine d'ouvriers seulement, il connaît de lourdes épreuves mais aussi de grandes satisfactions.
Le 3 octobre 1899,  11 colonnes de la salle hypostyle de Karnak s' effondrent 

Le 3 octobre 1899 est certainement l'un des jours les plus dramatiques de sa carrière… En début de matinée retentit un bruit assourdissant qui sème la terreur des lieues à la ronde : 11 colonnes de la salle hypostyle se sont effondrées… Il cherche méthodiquement les raisons et les causes de ce drame afin de pouvoir les neutraliser. Puis, courageusement, il s'emploie à relever les colonnes, à les consolider et à les stabiliser.

Maspero parle en ces termes des travaux de Legrain : "Si Ramsès II revenait inspecter les travaux qui s'exécutent en ce moment à Karnak, il pourrait s'imaginer d'abord que rien n'est changé dans son Égypte. (...) Il faudrait pourtant qu'il n'y regardât pas de trop près, ni qu'il essayât de régler la manœuvre ; ses ordres, énoncés en égyptien excellent, du moins j'aime à le croire, ne diraient rien à nos contremaîtres, et M. Legrain, qui dirige la besogne en jaquette grise et en casque de liège forme champignon, ne lui rappellerait en aucune façon feu le grand-prêtre d'Amonrâ, roi des dieux." (“Ruines et Paysages d'Égypte”, en date du 24 janvier 1901).
Statue d'Amenhotep, fils d'Hapou, âgé découverte par Georges Legrain
devant la face nord du VIIe pylône de Karnak, le 24 octobre 1901
granit gris - Musée égyptien du Caire - JE 36368 - CG 42127 

Le 24 octobre 1901, devant la face nord du VIIe pylône de Karnak, il découvre, renversée, le visage contre terre, la tête tournée vers l'est, la magnifique  statue en granit gris d'Amenhotep fils d'Hapou âgé (Musée égyptien du Caire - JE 36368 - CG 42127).

En 1903, au nord-ouest de la cour du VIIe pylône, a lieu l'incroyable découverte de ce qui est connu comme "La cachette de Karnak". 
En 1903, au nord-ouest de la cour du VIIe pylône, Georges Legrain découvre "La cachette de Karnak"

"Pendant un an et huit mois, nous avons pêché des statues dans le temple de Karnak... Sept cents monuments en pierre sont déjà sortis de l'eau, et nous ne sommes pas encore à la fin", rapporte Gaston Maspero en 1905. Le chantier se poursuit jusqu’en 1907 et, au total, ce sont plus de 700 statues, 17.000 bronzes et de nombreux autres objets qui sont mis au jour. La plupart des objets rejoignirent le Musée du Caire. 

C'est également en 1907 que Georges Legrain fait, près du lac sacré, une autre découverte extraordinaire : le magnifique scarabée en granit rose d'Aménophis III.

Du 25 octobre 1913, alors que son équipe fouille près du Xe pylône, il fera ce récit : "On reconnut dans la terre le haut d'une tête de grande statue en granit noir ... Cette statue fut dégagée rapidement ; c'était la belle image d'un scribe accroupi, sur l'épaule et le pectoral droit duquel étaient gravés les cartouches d'Amenophis III. Les textes gravés sur le papyrus que le scribe tient déroulé devant lui et ceux du socle m'apprirent qu'il s'agissait du célèbre Aménothès fils de Hapi...
A gauche, les deux statues en granit représentant Pa-Ramessou en scribe - futur Ramsès Ier - 
et à droite les deux statues d'Amenhotep fils d'Hapou découvertes près du Xe pylône de Karnak, le 25 octobre 1913 par Georges Legrain - Musée égyptien du Caire 

La suite de la fouille amena, quelques instants après, la découverte d'une autre statue du même personnage, exactement semblable à la première... Deux autres statues de scribe (identifiées plus tard à Paramessou), un peu plus petites que les premières, sont découvertes tout à côté". 

Walter Tyndale (peintre orientaliste et auteur de "L'Egypte d'hier et aujourd'hui - 1910) se souvient d'une visite faite au temple de Ptah sous la conduite de Georges Legrain : "Après avoir traversé deux cours, nous pénétrons dans une petite pièce, et y heurtons presque la statue à tête de lionne de la déesse Sekhmet… M. Legrain nous raconta qu'il l'avait trouvée quelques années auparavant dans le même endroit, mais brisée en soixante morceaux. Heureusement, aucun ne manquant, il put la reconstituer et on lui permit de la laisser dans le cadre qui lui convient si bien".

Quant à l'égyptologue Alexandre Moret, il se souvient : "L'Égypte moderne n’échappait pas à sa curiosité passionnée ; à vivre sans cesse avec les fellahs, dont il entendait parfaitement tous les patois, il avait recueilli des notes sur bien des usages et superstitions populaires ; de ces traits de mœurs, dont les touristes pressés n'ont aucune idée, Legrain tira un livre intitulé spirituellement "Louxor sans les Pharaons".
Georges Legrain et son épouse devant leur maison de Karnak en 1897
Copyright Gérard Legrain 

Le 24 octobre 1898, Georges Legrain avait épousé, au Caire, Jeanne-Hélène Ducros, fille d'un pharmacien du Caire, de laquelle il aura deux fils : Gaston Auguste Jules, né 1901 et Jean-Daniel Pierre, en 1907, dont le parrain sera Pierre Lacau. Si la famille avait un domicile au Caire, elle disposait également, à Karnak, d'une maison que Legrain avait fait construire près de la cour ouest du temple. Dans le cadre du projet contesté "Luxor 2030", cette demeure a malheureusement été détruite en 2006, la proposition des égyptologues français de la transformer en un centre de sensibilisation archéologique n'ayant pas été entendue…

Georges Legrain était passionné de photographie. La majeure partie de ses clichés a malheureusement disparu, mais ceux qui restent ont été réunis et répertoriés ; ils constituent un riche témoignage de ses travaux et découvertes et ont fait l'objet d'une intéressante publication (Karnak dans l'objectif de Georges Legrain, Michel Azim, Georges Albert Legrain, Gérard Réveillac, 2004). Il était par ailleurs très proche du photographe Antonio Beato, et, à la mort de celui-ci, il conseillera au service des antiquités de racheter son fonds photographique. C'est ainsi qu'en 1907, le "Fonds Beato" rejoint et enrichit le musée du Caire. 
Georges Legrain (à gauche sur la photo) et l’architecte allemand, Henri Wefels, 
lors du classement des blocs du temple édifié sous Amenhotep 1er

Georges Legrain s’est éteint le 22 août 1917 à Louqsor, il n'avait que 52 ans ; il a été inhumé au Caire. 

Comment, dans cet hommage, ne pas citer cette merveilleuse phrase qui témoigne de la profonde passion qui l'animait : "J'ai pour Karnak une affection toute bête, celle qu’on a pour les enfants (…). On les voit autrement qu’ils ne sont réellement - beaux et bien portants." 
Extrait de Notes et journaux de Georges Legrain (1895-1916)
Acquis en 2014 par le Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre 
Photo Musée du Louvre

Depuis quelques années, le Musée du Louvre est détenteur de documents précieux, riches  d'enseignements ; en effet : "longtemps considérés comme perdus depuis son décès en 1917, les notes et journaux de fouilles de cet égyptologue ont été en partie retrouvés en 2014 et acquis par le département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre grâce au généreux don de M. et Mme Roche. Encore incomplets, ils n'en fournissent pas moins un éclairage exceptionnel sur l'activité de terrain et les découvertes de l'archéologue français entre 1895 et 1916" .

marie grillot

* Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak

sources :
Who Was Who in Egyptology, Bierbier, M., London: Egypt Exploration Society
http://dlib.etc.ucla.edu/projects/Karnak/assets/media/resources/IntroductionToTheTempleOfKarnak/guide.pdf 
http://www.cfeetk.cnrs.fr/fichiers/Documents/Ressources-PDF/documents/K550-LEGRAIN.pdf 
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2880198/texteBrut 
http://egyptopedia.fr/entree.php?lettre=S&entree=Scarabée 
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2004/6/30/patri2.htm 
http://histoire-cnrs.revues.org/3302 
Direction des travaux de Karnak
http://www.cepam.cnrs.fr/spip.php?article307 
"Dictionnaire des orientalistes de langue française", François Pouillon, IISMM-Karthala,2012
"Karnak dans l’objectif de Georges Legrain", par G Revillac et M Azim
https://docplayer.net/52637396-The-cachette-of-karnak-a-research-project-on-georges-legrain-s-discoveries-between-1903-and-1907.html
Georges Legrain, A. Moret, (Journal des Débats, 29 août 1917) Revue Archéologique - Cinquième Série, T. 6 (juillet-décembre 1917), pp. 309-311
https://www.jstor.org/stable/41024509?seq=1#page_scan_tab_contents
GEORGES LEGRAIN
https://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-les-cahiers-de-l-egyptologue-notes-et-journaux-de-georges-legrain-1895-1916.pdf
Historiographie ou archéologie de papier ? Remarques à propos des archives de l’égyptologue Georges Legrain (1865-1917)
https://books.openedition.org/ausonius/596



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