Afin de bien "replacer" cette histoire, il convient de rappeler le rôle tenu par les frères Abd el-Rassoul dans la découverte, en 1871, de la cachette des momies royales, dans le cirque rocheux de Deir el-Bahari (rive ouest de Louqsor). Pendant de nombreuses années, le secret est bien gardé et de précieux objets sont écoulés… Mais en 1881, Mohamed, l'un des frères, sous couvert d'impunité - et du versement d'une somme de 500 livres anglaises - brise le sceau du silence et révèle, au Service des Antiquités, l'existence et l'emplacement de la DB 320 et de son pharaonique contenu. En guise de remerciement à "sa contribution à l'égyptologie", il se voit proposer un poste de chef d'équipe de fouilles à Thèbes. "S'il met à servir le musée la même adresse qu'il a mise longtemps à le desservir, nous pouvons espérer encore quelques belles trouvailles." Propos prémonitoires et justifiés de Gaston Maspero ! En janvier 1891, date où se déroulent ces faits, il n'est cependant plus à la tête du Service des Antiquités où Eugène Grébaut l'a remplacé le 1er juin 1886.
"Pendant que le Service des Antiquités procédait au déblaiement de la terrasse supérieure du temple de Deir el-Bahari, Mohamed Ahmed Abd-el-Rassoul, le dénonciateur de la cachette des momies royales, vint trouver M. Grébaut et lui fit part que… il avait remarqué un point où devait exister un tombeau. Des ouvriers furent placés à l'endroit désigné, où quelques grosses pierres émergeaient de la couche de sable. Ces pierres une fois enlevées on reconnut un dallage bouchant l'orifice d'un puits; plus bas était une couche de briques crues, puis un autre dallage. Le puits était comblé avec un mélange de pierres, de sable, de morceaux d'argile provenant du forage" relate Georges Daressy dans "Les sépultures des prêtres d'Ammon à Deir el-Bahari".
Plan et coupe de la cachette de Deir el-Bahari publiés par Georges Daressy dans "Les sépultures des prêtres d'Ammon à Deir el-Bahari", ASAE 1900 |
Huit mètres plus bas, une première porte fut trouvée puis, onze mètres plus bas, une seconde … Ainsi est découverte ce qui sera dénommé "Bab el-Gasus" qui signifie "porte des prêtres" et qui est également appelé "deuxième trouvaille" de Deir el-Bahari.
Dans son "Guide du visiteur au Musée du Caire, 1902", Gaston Maspero nous apporte les précisions suivantes sur les "occupants" de cette tombe collective : "La plupart des momies emmagasinées dans cette cachette se rattachent à la famille des grands-prêtres d'Amon, qui par moments furent rois à Thèbes sous la XXIe dynastie et dont les membres principaux étaient cachés dans le premier souterrain de Deir-el-Bahari. Elles appartenaient également aux familles sacerdotales, alliées à la famille des grands-prêtres et qui exerçaient héréditairement leurs fonctions dans le temple de Karnak. Elles s'échelonnaient selon une hiérarchie rigoureuse, qui les approchait plus ou moins de la personne du dieu. Certains de ces personnages, admis à la connaissance des dogmes et des rites, étaient les supérieurs des secrets du ciel, de la terre et de l'autre monde, et jouissaient du droit de pénétrer jusqu'au fond du temple. Les autres n'allaient que jusqu'à une distance déterminée à l'intérieur"…
Au cours d'une époque particulièrement troublée, leurs corps avaient été mis à l’abri afin de les protéger contre les nombreuses exactions commises.
Georges Daressy, qui est mandaté pour superviser la découverte, raconte : "Des caisses de momies étaient déposées dans toutes les parties de ces catacombes. Près de l'entrée, tout était dans le plus grand désordre : en deux endroits le passage était absolument obstrué, trois cercueils ayant été placés de front et d'autres empilés sur ceux-ci ; il fallait ramper pour franchir ces obstacles... Plus loin, les cercueils étaient disposés sur un double rang, le long des parois, laissant un passage libre au milieu, la tête tournée en général vers le puits. Ils alternaient sans règle aucune avec les coffrets à 'ouchabtious', les Osiris renfermant les papyrus, les vases et canopes, etc. Sur le sol étaient épars des fruits, des fleurs, des statuettes funéraires échappées de caisses brisées… Les chambres du fond étaient littéralement bondées ; on se demande comment on avait pu y faire pénétrer tant de cercueils…"
Un scénario, identique à celui de la découverte de la DB 320 dix ans plus tôt, se répète. Daressy, conscient de l'immensité de la tâche, est extrêmement prudent et organisé : "Pour empêcher la détérioration des objets, je priai M. Grébaut d'interdire l'entrée de la cachette en dehors des ouvriers… Tant qu'il resta des objets dans le souterrain, je ne quittai pas l'endroit, passant la nuit sous une tente dressée à côté de l'orifice du puits. L'enlèvement des objets commença le 5 février. Dans la galerie, je prenais note des cercueils au fur et à mesure de leur extraction... A leur sortie du puits, les objets étaient reconnus par MM. Grébaut et Bouriant ; deux fois par jour, une longue procession se mettait en marche vers le fleuve, les ouvriers portant sur des civières les sarcophages et les caisses dûment clouées contenant les petits objets. Le 3 février, la galerie du fond du puits était entièrement vidée… En résumé, il est sorti de la cachette : 153 cercueils, 110 boîtes à statuettes funéraires ; 77 statuettes osiriennes en bois, en majeure partie creuses et renfermant un papyrus ; 8 stèles en bois ; 2 grandes statues en bois (Isis et Nephthys) ; 16 canopes, ainsi que paniers, éventails, sandales, guirlandes de fleurs, poteries…"
L'enlèvement des objets dura jusque dans les premiers jours d'avril. Les cercueils sont ensuite transportés vers le bateau du musée qui les mène vers le musée de Gizeh où certaines momies sont exposées, d'autres seront également démaillotées.
Mais l'aventure des prêtres et divines adoratrices n'est pas encore terminée…"En 1894, le Gouvernement égyptien ayant gracieusement offert aux Puissances étrangères un certain nombre de cercueils, seize lots de valeur sensiblement égale, composés chacun de quatre ou cinq pièces, furent tirés au sort par les représentants des Puissances" (Georges Daressy, ASAE 8). Un envoi de cercueils a été fait plus tard au Vatican… C'est ainsi que des prêtres d'Amon reposent aux quatre coins du monde, certains même dans la Ville éternelle …
En 2016, lors d'une conférence tenue au Caire sur "La Découverte oubliée de la tombe des prêtres et divines adoratrices d’Amon", Al-Tayeb Abbas, qui étudiait les inscriptions externes des sarcophages alors qu'il était professeur à l’Université de Minya apportait ce touchant témoignage en mentionnant cette phrase qui apparaissait sur plusieurs sarcophages : "Merci de nous laisser jouir de la seconde vie"…
marie grillot
sources :
Daressy G., "Les sépultures des prêtres d'Ammon à Deir el-Bahari. Appendice I, Plan et coupe de la cachette de Deir el-Bahari. Appendice II, Disposition des cercueils dans la cachette", n°1, pp. 141-148, ASAE, Le Caire, 1900.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57251820/f1n324.texteBrut
http://www.cesras.org/Places/Bab-el-Gasus/DCerceuils01.html
Guide du visiteur au Musée du Caire, Gaston Maspero, 1902 , Institut français (Le Caire)
https://archive.org/details/guidemuseecaire00masp/page/n6/mode/2up
The Bab el-Gusus Tomb and the Royal Cache in Deir el-Bahari, A. Nivinski, JEA 70 (1984)
Christian Leblanc et Angelo Sesana, Le Bel Occident de Thèbes Imentet Neferet, De l'époque pharaonique aux temps modernes - Une histoire révélée par la toponymie, L'Harmattan, 2022
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