mardi 8 juillet 2014

La cachette des momies royales - histoire d'une découverte (4)


4e épisode : 
Les momies rentrent au musée


Les vertiges de Brugsch - Les momies arrachées aux entrailles de la montagne

Alors qu'il tente de faire un inventaire de cette découverte, Brugsch est pris de vertiges. Est-ce la chaleur ? Ou plus sûrement, le fait de contempler ces pharaons illustres qui, après 3000 ans de silence, renaissent de leur éternité ? Une idée est cependant très claire : il faut vite protéger ces trésors et, pour lui, ils ne le seront que lorsqu'ils seront évacués et mis en sécurité au musée de Boulaq.

"Les frères Abd el Rassoul avaient si bien gardé leur secret que les habitants de Louxor et de Gournah furent aussi surpris que les Européens par le nombre et l'importance des momies. Déjà leur imagination s'échauffait : ils parlaient de caisses remplies d'or, de colliers en diamants, en rubis, de talismans. Il fallait agir vite si l'on ne voulait pas s'exposer à des tentatives de vol ou peut-être même à des attaques à main armée." 

En un temps record, 200 fellahs sont embauchés pour déménager la cachette. Brugsch tient la liste de tous les objets qui en sortent, il est méfiant : "Les Arabes sont forcés de descendre nus : j'empêche de cette manière qu'on vole de petits objets." En 48 heures, tout est exhumé. Les anciens pharaons sont arrachés à leur montagne, à leurs ténèbres, à leur obscurité, pour être transportés vers le bateau du musée. 

Un cortège funéraire - des femmes échevelées - des momies traitées comme du "poisson séché"

Encadré par la police, c'est un long cortège funéraire qui descend de Deir el-Bahari vers les berges du Nil. Il faut parfois 12 hommes pour porter les lourds sarcophages. Le 14 juillet, le bateau à vapeur du musée "Le Menshieh", chargé de sa précieuse et insolite cargaison, quitte Louxor. On raconte que, massée sur les rives du Nil, une foule immense accompagna les dépouilles des anciens pharaons : les hommes tirant des coups de fusil, les femmes échevelées se frottant le visage et la poitrine avec du sable tout en poussant des cris de deuil (scène qui n'est pas sans rappeler celle des pleureuses dans les tombes thébaines).
Il est relaté aussi que toute cargaison arrivant au Caire devait être taxée selon un barème précis. Aucun traitement spécial n'est prévu pour le transport de momies. Aucune rubrique non plus… si bien que l'employé met fin à son casse-tête en les déclarant comme du… "poisson séché" !

Momies exposées, momies déménagées, momies démaillottées

Les sarcophages, les momies, les matériels funéraires des pharaons appartenant à diverses époques (Seconde période intermédiaire, Nouvel Empire, Troisième période intermédiaire) entrent au musée de Boulaq. Il se révèle vite trop exigu pour accueillir l'ensemble du contenu de la DB320. Lors de sa fermeture, en 1889, les momies sont transférées - avec l'ensemble des collections - au palais de Giza, où elles restent jusqu'en 1902, date à laquelle elles rejoignent le magnifique bâtiment de l'actuel musée égyptien du Caire, place Tahrir. 

Momie de Séthi Ier

Le "démaillottage" des momies est un "spectacle" très "en vogue" à l'époque (on se souvient d'ailleurs que Maspero en a organisé plusieurs à Paris, lors de l'Exposition universelle de 1867). Le 1er juin 1886, en présence du Khédive d'Égypte, de nombreuses personnalités, et de Maspero, Brugsch et Bouriant, la momie de Ramsès II est démaillottée. En 1886, c'est Brugsch qui entreprend le "démaillottage" de la momie de Thoutmosis III. Il se justifiera ainsi auprès d'un Maspero mécontent : "Pour la momie de Thout III, j'étais forcé de la dérouler pour sauver l'inscription !" Nous devons à Brugsch, qui s'est spécialisé dans la photographie, les clichés les plus "parlants" des momies de la DB320. 

Il faut aussi noter - même si cela semble difficilement compréhensible aujourd'hui - qu'en 1883, alors que le musée manque de fonds, le Service des Antiquités est autorisé à vendre des pièces. Plusieurs oushebtis provenant de la DB320 sont ainsi cédés, ainsi que des amulettes, des momies, des sarcophages…

La DB 320 : un apport considérable à l'égyptologie

Sans cet "épisode", quelles chances aurions-nous eues de connaître les momies des plus grands pharaons, dont la momie - et par là même le visage - du grand Ramsès ? Quelles probabilités aurions-nous eues d'appréhender l'histoire de toutes ces "momies" transportées de tombe en tombe pour éviter la profanation dans les périodes troublées de la XXIe dynastie ? Aurions-nous pu contempler toutes les merveilles exposées dans les salles 46 et 47 du musée du Caire ?

Avec la découverte de la DB320 l'Égypte, le monde de l'égyptologie, et par delà, le monde entier s'est enrichi de la connaissance, parfois même de l'existence de ces grandes figures du passé. 

marie grillot 

Illustration : Extraction des sarcophages - dessin d’Émile Bayard

sources : 
Maspero Gaston, Les momies royales de Deir el-Bahari
Maspero Gaston, Rapport sur la trouvaille de Deir el-Bahari - Institut Egyptien - bulletin n° 2 - 1881
Gaston Maspero, Elisabeth David, Pygmalion, 1999
Reeves Nicholas, Wilkinson Richard H., The complete valley of the kings 
Rommer John, La vallée des rois
Carter Howard, La fabuleuse découverte de la tombe de Toutankhamon
Ceram C.W., Des dieux, des tombes, des savants
Dauber Maximilien, Un village au bord du Nil
Ehlebracht Peter, Sauvez les pyramides
Montet Pierre, Isis ou à la recherche de l'Egype ensevelie
Vercoutter Jean, A la recherche de l'Egypte oubliée

2 commentaires:

  1. Merci pour ce "périple" des momies royales;... j'attends avec impatience le cinquième épisode.

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    1. merci Michèle pour votre lecture tellement enthousiaste !!!!! je me rends compte que j'ai omis l'épisode du passage des momies par le salon du 6 rue Mariette Pacha, entre le musée de Guizeh et le musée égyptien place Tahrir … et juste une petite suite, un peu différente, mais toujours avec la famille Abd el Rassoul http://egyptophile.blogspot.fr/2014/08/bab-el-gasus-un-au-dela-trouble-pour.html?q=Rassoul

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