lundi 23 juin 2014

18 janvier 1881 : la mort du grand Mamour

Auguste Mariette, égyptologue français
(11 février 1821, Boulogne-sur Mer - 18 janvier 1881, Le Caire)

Comment rendre hommage à un homme qui a tant fait pour l'égyptologie ? C'est assurément prendre le risque de faire des impasses, de commettre des oublis. Des lacunes, il ne peut qu'y en avoir tant sa vie a été riche et fructueuse…

Auguste Mariette est né le 11 février 1821 à Boulogne-sur Mer. C'est à l'âge de 21 ans que débutera vraiment sa passion pour l'égyptologie. Professeur de français et de dessin, journaliste, il s'est bien sûr intéressé à la petite collection égyptologique du musée de sa ville… Mais c'est l'étude des archives de Nestor L'Hôte qui sera déterminante. Décédé, à Paris, le 24 mars 1842, celui qui fut l'un des dessinateurs de la mission franco-toscane, l'un des "argonautes" de Jean-François Champollion, laisse une importante somme de notes, documents, dessins, courriers,… qui arrive entre les mains d'Auguste. 
Une page de "Notes et dessins de Nestor L'Hôte" l'un des dessinateurs de la mission franco-toscane
aux côtés de Jean-François Champollion en 1828 , il retournera ensuite deux fois en Egypte

C'est alors qu'il réalise ce qui aurait pu se révéler être un long et fastidieux travail de classement et de tri, qu'il tombe sous le charme de l'Égypte. On lui prête d'ailleurs cette formule : "Le canard égyptien est un animal dangereux. Il vous accueille bénignement, mais si vous vous laissez prendre à son air innocent et que vous le pratiquiez familièrement, vous êtes perdu : un coup de bec, il vous inocule le venin et vous êtes égyptologue pour la vie."

Mariette apprend les hiéroglyphes, le copte, l'araméen et le syriaque. À 28 ans, il quitte son poste de professeur et "décroche" une mission au Louvre. En 1850, le musée l'envoie au Caire pour acheter des manuscrits coptes. 
La grande galerie du Serapeum illuminée - eau-forte d'Arthur Rhoné 
On reconnaît à droite Auguste Mariette (qui a découvert le Serapeum le 12 novembre 1851) et au centre, Théodule Devéria.

Mais ses recherches s'avèrent compliquées… et son centre d'intérêt n'est pas celui-ci. Se souvenant de sa lecture de Strabon "On trouve à Memphis un temple des Sérapis…", il utilise les fonds alloués par le musée pour entreprendre des fouilles à Saqqarah. Il y mettra du temps, devra faire face à des problèmes politiques, financiers, mais la fabuleuse découverte du Sérapéum, la nécropole des taureaux Apis, a lieu le 12 novembre 1851. De cette très difficile mais fructueuse année de fouilles, il enverra au Louvre plus de 7.000 pièces, dont le magnifique scribe.

Il se lance ensuite dans une mission sur le Sphinx de Guizeh. Il est fasciné par le visage de celui que les fellahs appellent "abou-l-houl” ("le père de la terreur"). Il devra déployer patience et persuasion  pour décider ses ouvriers à travailler sur le chantier. Il veut s'assurer que le Sphinx ne renferme pas, comme l'affirme Pline, le tombeau d'Horemheb. Il commence à nettoyer les abords, mais est bientôt contraint d'arrêter faute de moyens. 

En juillet 1854, de retour en France, il se rend compte qu'il a acquis une grande notoriété. Après avoir vu sa caricature dans "Charivari", il dit non sans ironie : "On se moque de moi, pas de doute, je suis célèbre !" 

L'Académie des inscriptions et belles lettres lui rend hommage ; il est nommé "attaché à la conservation des antiquités égyptiennes au Louvre". On lui assure un avenir universitaire, mais l'Égypte lui manque. 

Il y revient en 1857 afin de préparer la future visite du prince Napoléon. Il reçoit un excellent accueil de Saïd Pacha qui souhaite lui faciliter la tâche. Il se permet alors de l'alerter sur une nécessaire préservation et sauvegarde des monuments pharaoniques. Plus que réceptif sur ce sujet, Saïd Pacha édite alors un décret dont voici un extrait : “Monsieur Mariette veillera au salut des monuments… Il dira aux moudirs des provinces que le roi leur interdit de toucher toute pierre antique…" 

Il met à sa disposition une dahabiah - le "Sammanoud" - avec laquelle il remontera le Nil. Il s'arrête sur tous les grands sites qu'il expertise. Il prévoit 35 chantiers de fouilles qui emploieront plus de 2.500 hommes. Après Memphis et Saqqarah, Thèbes, Deir el-Bahari, s'ajoutent Esnah, Edfou, Denderah, Abydos, et puis Tanis.
À Saqqarah, Auguste Mariette assis sur le mur d'un mastaba contemple l'une de ses découvertes

Il découvrira les oies de Meïdoum, le mastaba de Ti, le jardin botanique de Karnak, la pyramide de Pepi… Et comment ne pas citer les bijoux de la reine d'Ahotep et des statues parmi les plus célèbres : le Cheikh el-Beled, le Kephren en diorite verte avec le faucon royal protecteur, Rahotep et Nefret, et tant d'autres…

En 1858, il est nommé "Mamour" : directeur des antiquités égyptiennes. Afin d'exposer tous les artefacts découverts, la création d'un musée devient vite l'une de ses priorités. En 1861, il fait construire, à Boulaq, au bord du Nil, le "musée d'antiquités égyptiennes de S. A. le vice-roi", inauguré par Ismail Pacha en 1863 ; il en sera directeur jusqu'à sa mort. 
Le musée de Boulaq, désiré et créé par Auguste Mariette, a été inauguré par Ismail Pacha le 16 octobre 1863,
le succès sera immédiat - photo L. Fiorillo

En 1867, la conception du pavillon égyptien de l'Exposition universelle de 1868 à Paris lui est confiée. Il y présente de nombreuses antiquités et sera confronté à la délicate affaire du collier d'Ahhotep que l'impératrice Eugénie souhaite absolument conserver. Il s'y opposera courageusement - mais avec tact et diplomatie - et le collier pourra revenir en Égypte !

Auguste Mariette a conçu le livret et dessiné les costumes de l'opéra "Aïda" de Verdi
qui devait être donné le 1er novembre 1869 dans le cadre de l'inauguration du Canal de Suez 
mais les trompettes d'Aïda ne retentiront pas à l'Opéra du Caire : c'est "Rigoletto" qui sera joué 
"Aïda" ne sera présenté dans la capitale égyptienne que le 24 décembre 1871

Mariette est également sollicité pour écrire le livret de l'opéra "Aïda" de Verdi. Il accomplit ce travail avec passion et sérieux. "Aïda préoccupait l'illustre égyptologue autant que ses chères antiquités" peut-on lire. Il en créera aussi les décors et les costumes, se remettant à l'aquarelle. Il souhaite que tout soit en parfaite concordance historique, il travaille jusqu'à la consonance du nom des personnages !

En 1869, l'impératrice Eugénie arrive en Égypte pour l'inauguration du canal de Suez. L'histoire des bijoux est alors oubliée et Mariette la guidera tout au long d'une croisière la menant, elle et sa suite, sur les sites pharaoniques de la Vallée du Nil.

Pour l'exposition universelle de 1878 à Paris, Auguste Mariette est encore sur tous les fronts ! Il doit relever un nouveau défi : présenter non seulement l'Égypte pharaonique, mais aussi l'Égypte "sous les Arabes et les Ottomans, et sous la dynastie régnante"…
Auguste Mariette, égyptologue français
(11 février 1821, Boulogne-sur Mer - 18 janvier 1881, Le Caire)

Mariette, "personnalité haute en couleurs" lit-on souvent… mais n'est-ce pas là, parfois, tout ce qui caractérise un "grand homme" ? Ceux qui l'ont côtoyé en témoignent chaleureusement, avec des mots choisis, qui traduisent si bien la dimension du personnage … “Mariette-Bey nous reçut à bras ouverts ; c'est un des hommes les plus complets qui soient au monde : savant comme un bénédictin, courageux comme un zouave, patient comme un graveur en taille douce, naïf et bon comme un enfant, quoiqu'il s'emporte à tout propos, malheureux comme on ne l'est guère, et gai comme on ne l'est plus", se souvient Edmond About (Le fellah : souvenirs d'Égypte, 1869). "Il était riche d'esprit naturel et le calembour lui venait d'instinct à la bouche", indique son proche collaborateur et ami Heinrich Brugsch… Mais il apparaît qu'il savait aussi faire preuve d'une grande modestie : "Il était incapable de traduire ses découvertes en notoriété" rapporte Ernest Renan.

Auguste Mariette vit en Égypte mais effectue de fréquents retours en France pour y retrouver sa famille. Sa vie privée sera jalonnée de drames. Sa jeune épouse décédera, au Caire, du choléra, et il perdra 6 de ses 10 enfants. 
Auguste Mariette posant à Louqsor, 1863 - Photo d'Aymard de Banville

Tout au long de ses années passées sur les rives du Nil, il fait preuve d'un grand courage, ne ménageant pas sa santé, pour atteindre ses buts… Mais à 39 ans, il subit sa première crise de diabète et la maladie ne le lâchera plus. Puis s'installeront des problèmes d'ophtalmie qui ne cesseront de l'handicaper…

Sa santé se détériore lentement. Il s'éteint le 18 janvier 1881 au Caire, alors qu'il n'a que 59 ans. 
Le journal "L'illustration" n° 1982 du 19 février 1881 relate la mort de Mariette Pacha 

À celui qui disait modestement : "J'ai fait deux choses dans ma vie, le Sérapéum et le musée de Boulaq. Je mourrai content et satisfait si je puis ajouter une suite d'ouvrages comprenant la description de mes fouilles à Saqqarah, aux pyramides, Denderah, Abydos, Karnak, Medinet Habou, Deir el-Bahari, au Fayoum, et à Tanis. Là est maintenant le but de ma vie …", l'Égypte fera des funérailles nationales. 

Sa dépouille sera déposée dans un sarcophage du Nouvel Empire placé dans la cour du musée de Boulaq. En 1890, alors que le musée s'avérera trop petit, le Khédive décidera de consacrer son splendide palais de Guizeh aux antiquités égyptiennes. La sépulture de Mariette y sera également transférée.
Le mausolée de d'Auguste Mariette, à Boulaq dès 1881, puis en 1890 au nouveau Musée de Guizeh et enfin depuis 1904 au Musée de Tahir

Puis, lorsque la construction du nouveau "Musée des Antiquités Égyptiennes" est décidée Kasr el-Nil (place Tahrir), la famille de Mariette s'inquiète du devenir du tombeau. Lord Cromer est rassurant et promet : "un crédit de 1000 £É pour transférer le monument, ériger une statue du savant et même donner son nom à une rue du Caire". La cérémonie d'inauguration du monument, en présence de nombreuses personnalités, a lieu le 17 mars 1904. Parmi les hommages reconnaissants rendus à Mariette, celui de son successeur, Gaston Maspero, fut magnifique. Il loua les travaux de son illustre prédécesseur en termes vibrants dont voici quelques extraits : "Karnak fut soustrait aux dévastations des tailleurs de pierre. Abydos secoua son linceul de sable. Edfou et Denderah se débarrassèrent des villages qui les déshonoraient et ils surgirent intacts des immondices..."

Plus récemment, dans la préface du bel ouvrage d’Amandine Marshall consacré à Auguste Mariette, le Docteur Christian Leblanc a rendu à cet homme "exemplaire et impétueux" ce bel hommage : "Du Delta à la Nubie, il aura ouvert la voie à l'exploration "raisonnée" des sites, dont nombre d'entre eux n'avaient été jusque-là que visités ou brièvement décrits"…

marie grillot

sources :
Mariette Pacha, Elisabeth David, Pygmalion, 1994
Des dieux, des tombeaux, un savant : en Égypte sur les pas de Mariette pacha, Somogy, éditions d'art, 2004
Lettres d'Égypte, Correspondance avec Louise Maspero, Gaston Maspero, Seuil, 2003
Gaston Maspero le gentleman égyptologue, Elisabeth David, Pygmalion, 1999
AUGUSTE MARIETTE (1821-1881) Des berges de la Liane aux rives du Nil - Jean-Louis Podvin, L'Harmattan, 2020
Annales du Service des Antiquités de l'Égypte - V (1904)
:"Nestor L’Hôte : des dessins de Champollion au destin de Mariette"
Texte de Louis Bréhier sur Auguste Mariette, dans "L'Egypte de 1798 à 1900" - publié dans "L'Egypte entre guillemets" :
https://textesdegypte.blogspot.com/2020/11/a-defaut-de-ressources-il-avait-la-foi.html?fbclid=IwAR3pTMfBIC2gnbk7_JhBM-JqJwyu4bo2-XbudI1_FQZJmCSYaz95ILvN7pU


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