De l'équipement funéraire de Ramsès II, on connaît surtout le cercueil anthropoïde en bois de cèdre (Musée du Caire - JE 26214 - CG 61020), retrouvé dans la Cachette royale de Deir el-Bahari (DB 320) en 1871/1881 qui, bien qu'ayant conservé sa momie, ne lui appartenait pas … Il est moins connu que des centaines de fragments de son sarcophage en calcite, fracassé par les pilleurs, ont été retrouvés dans sa tombe de la Vallée des Rois (KV 7) par Christian Leblanc, révélant qu'il avait bénéficié du même type de sarcophage que son père Séthy I (exposé au Sir John Soane’s Museum de Londres)... Depuis quelques mois, grâce à l'acuité des recherches menées par l'égyptologue Frédéric Payraudeau, l'on découvre que celui qui régna sur le Double Pays pendant 66 ans, possédait un sarcophage de granite dans lequel avait dû être déposé celui de calcite. Une nouvelle "approche" des inhumations royales des débuts de l'ère ramesside se dessine alors qu'une nouvelle page de l'histoire post-ramesside, avec ses remplois, se lit dans des palimpsestes…
MG-EA : Frédéric Payraudeau, les égyptologues produisent chaque année de nombreuses études scientifiques, comment en êtes-vous venu à vous intéresser à celle concernant un fragment de sarcophage en granite, d'1,70 m de long et de 8 cm d'épaisseur, découvert en 2009 par l’archéologue égyptien Ayman Damrani dans le dallage d’un monastère copte d'Abydos ?
FP : Il se trouve que ce grand fragment de sarcophage a été réutilisé par le grand prêtre d’Amon Menkhéperrê de la XXIe dynastie, période qui est au cœur de mes recherches sur la Troisième Période intermédiaire depuis longtemps. Je me suis donc tout naturellement intéressé à l’article publiant le monument en 2017. C’était en soi une belle découverte, indiquant notamment que la tombe du grand prêtre doit être à Abydos.
Frédéric Payraudeau, égyptologue, a identifié en 2024 ce fragment de sarcophage en granite retrouvé à Abydos en 2009, comme appartenant au sarcophage originel de Ramsès II - Photo Kévin Cahail |
MG-EA : Est-ce le type d'inscriptions hiéroglyphiques, la présence d'un cartouche, la qualité du matériau qui vous ont interpellé ? Et, dès lors, n'ayant jamais eu ce fragment entre les mains, sur quels éléments avez-vous pu travailler ? Quelle a été votre démarche d'étude ?
FP : La pièce était fort intéressante et d’une telle qualité qu’elle appartenait forcément à l’élite, comme l’avaient vu mes confrères égyptiens et américain, mais je n’étais pas satisfait de la lecture des textes. Il faut dire que la gravure sur granite, lorsqu’il est mal conservé, est très difficile à comprendre lorsqu’il y a superposition de textes. J’ai travaillé d’abord sur les photos de l’article lui-même, puis, pour éliminer toute incertitude, sur des photographies de travail que m’a très aimablement transmises Kevin Cahail. La gravure du cartouche en premier a alors été certaine, et la lecture du nom de couronnement de Ramsès II a suivi.
Photo du cartouche gravé sur le fragment du sarcophage (par Kevin Cahail) Dessin du cartouche de Ramsès II, surchargé du nom du grand prêtre Menkhéperrê (par Frédéric Payraudeau) |
MG-EA : Ce sarcophage a été remployé, sous la XXIe dynastie, par le grand prêtre Menkhéperrê : sa "biographie" est-elle bien documentée ?
FP : Le grand prêtre Menkhéperrê est un personnage bien connu, il a été pontife d’Amon et général en chef de la Haute-Egypte pendant pratiquement un demi-siècle, sous le règne de son frère Psousennès, pharaon à Tanis, dans la seconde moitié du XIe siècle avant J.-C. A Karnak, il a notamment restauré l’enceinte du temple.
MG-EA : A la fin de l'époque ramesside marquée par le pillage des tombes de la Vallée des Rois, les grands prêtres d'Amon ont restauré puis mis à l'abri les momies royales dans des cachettes afin de les protéger… Peut-on envisager que, un siècle plus tard, leurs successeurs sont venus se "servir" dans le mobilier funéraire demeuré "in situ" ? Pourquoi et comment en sont-ils arrivés à remployer certains sarcophages, même loin de leur lieu d'inhumation (et à Tanis vous en savez quelque chose) ?
C’est bien pire que cela : les grands prêtres ont organisé une partie du pillage de la nécropole. Les vols par des bandes de pillards issus du petit peuple ont été un prétexte pour intervenir dès l’extrême fin du règne de Ramsès XI dans la Vallée des Rois. La volonté de protéger les momies royales a côtoyé celle de s’approprier les trésors qui n’avaient pas encore été pillés. Les ouvriers de Deir el-Medina, dont le rôle ancestral était de creuser et décorer les tombes royales ont vu leurs activités se réorienter vers l’exploitation des richesses de la Vallée des Rois. On en a encore la trace juste avant le pontificat de Menkhéperrê, sous son autre frère Masaharta, qui envoie une équipe dans la Vallée "pour chercher de l’or pour le grand prêtre". Au moment où les équipes de Menkhéperrê viennent récupérer le sarcophage de Ramsès II et un de ceux de Mérenptah pour lui-même et pour Psousennès, ces deux tombes ont déjà été largement vidées par les grands prêtres précédents. L’appropriation de ces objets de prestige, dont les noms des premiers propriétaires n’étaient pas entièrement effacés était un moyen de se relier à ce passé prestigieux. Cet engouement pour l’époque ramesside est aussi visible à Tanis, où la ville est construite, à la même époque, au moyen de matériaux arrachés à Piramsès abandonnée.
MG-EA : Ramsès II avait lui-même "réemployé" de nombreuses statues, gravant son nom, rectifiant les traits de ses prédécesseurs… Son sarcophage, extrait de "la chambre de l'or" de sa tombe, a ainsi été "réemployé", 200 ans après sa mort, pour un grand prêtre… Et on en retrouve ensuite une fragment dans un lieu de culte copte : l'histoire se répète, voire se perpétue ?
FP : L’Egypte ancienne a beaucoup pratiqué le remploi, et pas uniquement pour des motifs économiques, mais souvent pour des raisons culturelles ou politiques. Faut-il rappeler que la plupart des trésors de Toutânkhamon, y compris le célèbre masque d’or ont appartenu auparavant à la reine qui l’a précédé sur le trône ? A Tanis, les colonnes du secteur de l’Est datent de l’Ancien Empire d’après leur module, elles ont été remployées par Ramsès II dans un sanctuaire de Piramsès, puis transportées à Tanis et regravées sous Osorkon II, avant d’être déplacées là où nous les admirons aujourd’hui à la Basse époque ou après... Alors, oui, on aurait tort de penser que les objets antiques n’ont eu qu’une seule vie...
Interview réalisée par marie grillot pour Egypte-actualités et Egyptophile
Frédéric Payraudeau, est égyptologue, maître de conférences à Sorbonne Université, directeur de la Mission Française des Fouilles de Tanis (MFFT)* et vice-président de la Société française d’égyptologie. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont "L'Égypte et la vallée du Nil. Tome 3: Les époques tardives ...", publié aux PUF
Nous le remercions très sincèrement d'avoir accepté de nous consacrer cette interview, ce malgré son emploi du temps et le début de la nouvelle mission à Tanis…
- Espace dédié sur le site de l'EPHE :
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