samedi 15 août 2020

Un hippopotame retrouvé dans les bandelettes de la momie de Reniseneb

Hippopotame debout - faïence - Moyen Empire - XIIe dynastie - vers 1814 - 1805 av. J.-C. - règne d'Amenemhat IV
découvert en 1910 par Lord Carnarvon et Howard Carter dans le puits de la tombe de Reniseneb - CC 25
sur le secteur des "Birabi", près du temple d'Hatshepsout
Metropolitan Museum of Art de New York n° d'entrée 26.7.898 (par acquisition, en 1926, de la Collection Carnarvon) - photo du musée

Cet hippopotame, d'une hauteur de 5,7 cm et d'une largeur de 5 cm, est travaillé en ronde bosse, dans cette faïence bleu-vert, si particulière à l'Egypte ancienne. Jean-Pierre Corteggiani nous présente ainsi quelques détails de la technique de fabrication : "la 'faïence égyptienne', matière noble que les anciens appelaient 'la brillante', n'est pas une argile supportant un émail stannifère, mais une fritte recouverte d’une glaçure de verre". Cette "fritte" peut être de différentes couleurs mais, précise Gaston Maspero : "Le bleu l'emporta dans les manufactures thébaines, dès les premières années du Moyen-Empire. C'est, d'ordinaire, un bleu brillant et doux, imitant la turquoise ou le lapis-lazuli".

L' "Hippopotamus amphibius" était l'espèce la plus répandue du paysage nilotique. Son corps, lourd et massif, à la peau glabre, est campé sur quatre courtes pattes qui semblent écrasées par son poids. On imagine la pesanteur de ses déplacements "terrestres", son poids écrasant tout sur son passage… 
Hippopotame debout - faïence - Moyen Empire - XIIe dynastie - vers 1814 - 1805 av. J.-C. - règne d'Amenemhat IV
découvert en 1910 par Lord Carnarvon et Howard Carter dans le puits de la tombe de Reniseneb - CC 25
sur le secteur des "Birabi", près du temple d'Hatshepsout
Metropolitan Museum of Art de New York n° d'entrée 26.7.898 (par acquisition, en 1926, de la Collection Carnarvon) - photo du musée

Son cou, gras et plissé, soutient sa tête massive. Stylisée - mais réaliste -,  elle est pourvue d'yeux ronds et proéminents, d'oreilles et de narines ridiculement petites et d'une gueule puissante "pouvant s'ouvrir jusqu’à 180 degrés". Les lignes principales des yeux, des oreilles et narines sont rehaussées d'un trait fin de peinture noire. 

De ce mammifère totalement dépourvu de grâce, les artisans d'alors ont su restituer une représentation douce au regard… Certains ont même eu le génie de représenter, à la peinture noire sur son corps, les principaux éléments de son milieu naturel : lotus, papyrus, oiseaux ou encore de papillons… "Des ornements circulaires intrigants apparaissent également, il peut s'agir de représentations stylisées de fleurs vues d'en haut, mais il a également été suggéré qu'il s'agit de représentations de flotteurs utilisés dans la chasse à l'hippopotame. Cette dernière explication n'est pas entièrement satisfaisante, bien que ces flotteurs soient généralement représentés sous une forme triangulaire ou allongée" précise Isabel Stünkel dans "Hippopotami in Ancient Egypt", faisant référence à celui-ci.
Hippopotame debout - faïence - Moyen Empire - XIIe dynastie - vers 1814 - 1805 av. J.-C. - règne d'Amenemhat IV
découvert en 1910 par Lord Carnarvon et Howard Carter dans le puits de la tombe de Reniseneb - CC 25
sur le secteur des "Birabi", près du temple d'Hatshepsout
Metropolitan Museum of Art de New York n° d'entrée 26.7.898 (par acquisition, en 1926, de la Collection Carnarvon) - photo du musée

Comment expliquer l'attention portée à ce pachyderme par les anciens égyptiens : ne véhiculait-il donc pas que crainte et peur ? 

L'interprétation d'Élisabeth Delange ("Des Animaux et des Pharaons") est intéressante : "L’hippopotame était partie intégrante du paysage nilotique. Dès la plus haute époque, on éprouva le besoin de le représenter afin de maîtriser symboliquement sa force destructrice… Déposé dans la tombe, l’hippopotame prenait une tout autre signification, devenant la figure symbolique du soleil qui surgit de l’onde au matin de la création. C’est pourquoi il accompagnait le défunt dans sa 'résurrection'". 

Dans son "Dictionnaire de mythologie égyptienne", Isabelle Franco explique parfaitement l'intelligence avec laquelle cette "dualité" a été conjuguée : "L'hippopotame était redouté … Face à cette puissance incontrôlable les égyptiens ont adopté une double attitude. D'une part, ils ont utilisé l'image de fécondité associée à la femelle hippopotame en l'attribuant à certaines déesses protectrices de la maternité, comme Taourèt - Thouéris ou Ipèt. D'autre part, ils ont combattu les influences néfastes véhiculées par le mâle en les anéantissant par des procédés magiques".
Hippopotame debout - faïence - Moyen Empire - XIIe dynastie - vers 1814 - 1805 av. J.-C. - règne d'Amenemhat IV
découvert en 1910 par Lord Carnarvon et Howard Carter dans le puits de la tombe de Reniseneb - CC 25
sur le secteur des "Birabi", près du temple d'Hatshepsout
Metropolitan Museum of Art de New York n° d'entrée 26.7.898 (par acquisition, en 1926, de la Collection Carnarvon) - photo du musée

Ces représentations de l'animal, debout ou couché, généralement datées du Moyen Empire ou de la Deuxième Période intermédiaire, ont été découvertes dans un contexte funéraire… 

Celui-ci provient de la tombe de Reniseneb - CC 25 - découverte en 1910, par Lord Carnarvon et Howard Carter, lors de fouilles menées dans l'Assassif dans le secteur qu'ils dénomment "Birabi".
La tombe de Reniseneb - CC 25 - photo publiée dans "Five Years' Explorations at Thèbes"
(Lord Carnarvon, Howard Carter, 1912) 

Dans "Five Years' Explorations at Thebes" publié en 1912, Howard Carter précise : "La momie, couchée sur le côté, a été réduite à une poudre noire par combustion spontanée, causée par l'humidité qui avait filtré par le dessus. Elle avait un masque de cartonnage couvrant la tête et les épaules, avec le visage doré, une perruque peinte en jaune et striée de bandes gris-vert, avec des taches noires. Inséré dans les bandelettes, au bas du dos, se trouvait un hippopotame en faïence bleue" …
Hippopotame debout - faïence - Moyen Empire - XIIe dynastie - vers 1814 - 1805 av. J.-C. - règne d'Amenemhat IV
découvert en 1910 par Lord Carnarvon et Howard Carter dans le puits de la tombe de Reniseneb - CC 25
sur le secteur des "Birabi", près du temple d'Hatshepsout
Metropolitan Museum of Art de New York n° d'entrée 26.7.898 (par acquisition, en 1926, de la Collection Carnarvon)  
photo publiée dans "Five Years' Explorations at Thèbes" (Lord Carnarvon, Howard Carter, 1912) 

Si les voleurs n'avaient pas touché la momie, la tombe avait cependant bien été pillée. La fouille livra notamment : une amulette shen en or et cornaline, un collier d'obsidienne et d'or, un ravissant "jeu des chiens et des chacals" en ivoire et ébène, ainsi qu'un miroir. C'est d'ailleurs une inscription hiéroglyphique figurant sur le manche de ce dernier qui permit de mieux connaître le défunt : "'Le Grand des dizaines du Sud, Reniseneb, toujours vivant'. Ce titre de 'Grand des dizaines du Sud' est déjà attesté à l'Ancien Empire et on le retrouve notamment sur la statue de Sepa qui se trouve au Musée du Louvre. Sans doute s'agit-il d'une fonction administrative plutôt que religieuse" précise Christian Leblanc.

A la fin de la mission, lors de la division des trouvailles, Lord Carnarvon se porta acquéreur de plusieurs objets, dont l'hippopotame.

Après son décès survenu en avril 1923, sa veuve, Lady Almina a vendu l'ensemble de sa collection au Metropolitan Museum of Art de New York, en 1926. Cet artefact y a été enregistré sous la référence : 26.7.898.

marie grillot

sources :
Standing Hippopotamus - Thebes, Asasif, Birabi, pit tomb CC 25, burial of Reniseneb, back of mummy, Carnarvon/Carter excavations, 1910
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/545724?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=CC25&offset=0&rpp=20&pos=10
Isabel Stünkel, Hippopotami in Ancient Egypt, Department of Egyptian Art, The Metropolitan Museum of Art, November 2017
https://www.metmuseum.org/toah/hd/hipi/hd_hipi.htm
Gaston Maspero, Guide du visiteur du musée de Boulaq, édition 1883, TYP. Adolphe Holzhausen, Vienne, 1883
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6305105w.texteImage
Gaston Maspero,  Guide du visiteur au Musée du Caire, 1902, Institut français (Le Caire) 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57248808/f444.item.r=gaston+maspero.langFR.texteImage
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, IFAO, Le Caire, 1915 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6572454w/f29.item.r=bracelet.texteImage#
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57248808.texteImage
Jean-Pierre Corteggiani,  L'Egypte ancienne et ses dieux, Fayard, 2007
Catalogue d'exposition Des Animaux et des Pharaons, Le règne animal dans l'Égypte ancienne, présentée au musée Louvre-Lens (4 décembre 2014 au 9 mars 2015), éditions Somogy / Louvre Lens
http://www.louvrelens.fr/documents/10181/755298/Dossier+de+presse+Des+animaux+et+des+pharaons/e4732470-9ae5-4063-b56b-55a467e9dd0b?version=1.1&type=pdf
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion 1999
5th Earl of Carnarvon, Howard Carter, Five Years of Explorations at Thebes, A Record of Work Done 1907-1911, London, Oxford, New York, 1912
https://archive.org/details/fiveyearsexplora00carnuoft/page/58/mode/2up
Thomas Garnet Henry James, Howard Carter, The path to Tutankhamun, TPP, 1992
https://archive.org/stream/HowardCarterThePathToTutankhamunBySam/Howard+Carter+The+Path+to+Tutankhamun+By+Sam_djvu.txt
Mirror of the Chief of the Southern Tens Reniseneb - Accession Number : 26.7.1351
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544234?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=RENISENEB&offset=0&rpp=20&pos=5

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